Par Dr Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé
Des mesures contraignantes s’imposeront. Il faudrait agir vite pour que ces mesures soient les moins douloureuses possibles. C’est l’épidémie qui tue les humains, qui tue l’économie, qui tue la vie sociale. Les mesures territoriales, comme les mesures barrières, sont là pour sauver les vies, sauver l’économie, sauver les sources de revenus, sauver la scolarité et sauver la vie sociale le maximum possible. A condition : agir à temps, bien cibler, respecter et faire respecter les mesures. L’épidémie tue, les mesures pensées sauvent, et permettent une reprise rapide.
Nous sommes entrés dans une autre phase de la pandémie, et de nouveaux comportements sont nécessaires :
En plus du respect des mesures barrières par la population, et le changement de la stratégie de la riposte suivie par le système de santé pour l’adapter aux nouvelles données épidémiologiques et scientifiques, des mesures territoriales s’imposeront dans les villes et les régions les plus touchées qui connaissent ou connaitront une activité virale très importante.
Ces mesures doivent être strictes, rapides, limitées dans le temps, ciblées géographiquement et adaptées aux données socioéconomiques de chaque région et de chaque tranche de la population. En cas de détérioration de la situation épidémiologique sur le plan national ou dans les principales régions (Casablanca, Tanger-Tétouan, Fès Meknès, Marrakech) les mesures doivent être arrêtées sur le niveau national, et faire des exceptions locales.
L’exemple peut être pris sur Casablanca avec ce qui se fait actuellement et ce qui doit se faire incessamment pour anticiper la brutalité.
En plus du respect strict des mesures barrières, les mesures territoriales
Réguler l’accès à la ville et limiter les départs. Réduire la circulation dans la ville. Appliquer un couvre-feu le plus largement possible. Interdire les rassemblements de quelque nature que ce soit.
Cafés, restaurants, commerces … : un minimum d’activités avec un maximum de mesures, au risque de tout fermer.
Généraliser l’enseignement distanciel dans tous collèges, les lycées et les universités en premier lieu. Les écoles primaires pourraient suivre selon les régions et l’épidémie : la majorité des familles marocaines ont des enfants dans le primaire ce qui rendrait caduque la limitation de la mobilité si les écoles primaires restent toutes ouvertes au présentiel.
Interdiction d’évènements sociaux et rassemblements. Auto interdiction de rassemblements familiaux ou autres. Limitation de mouvement à l’intérieur des villes et entre les villes.
Fermer les mosquées, en premier lieu la prière du vendredi. Encourager le télétravail dans la fonction publique et dans le privé. Réduire le nombre de fonctionnaires et le nombre de salariés en poste, le maximum possible. Assurer une continuité économique sans causer un arrêt total par cause de dégradation grave et brutale de la situation qui conduirait à un confinement général décidé ou de facto.
Les mesures à prendre par le système de santé
- Equiper les structures de santé en oxygène qui sera le nerf de guerre contre la COVID.
- Adopter obligatoirement un double circuit de soins : un circuit COVID et un circuit non COVID pour ne pas différer les autres pathologies aussi meurtrières que la COVID 19.
- Vacciner contre la grippe saisonnière le plus vite possible, le plus largement possible, surtout les professionnels de santé (pour les maintenir actifs, et pour protéger leurs patients fragiles), les personnes âgées, les personnes avec des maladies chroniques ou immunitaires et les femmes enceintes.
- Faudrait s’équiper de tests antigéniques rapides fiables (pas les tests sérologiques) qui donnent des résultats en une demi-heure pour n’isoler et ne tracer que les vrais cas COVID.
- Faute de pouvoir renforcer la capacité de testing, envisager de baser la stratégie sur le « diagnostic par excès »: devant toute suspicion de covid : isoler et confiner les contacts.
- Ceci nécessiterait d’alléger le protocole thérapeutique : les personnes non âgées, sans comorbidité l’isolement seul avec suivi à distance, et hospitalisation si nécessaire est une stratégie largement suffisante.
- Réduire la durée d’isolement : au lieu de 14 jours, passer à 10 jours et dans des cas à 7 jours comme ça se pratique aux USA, en grande Bretagne et en France pour ne citer que ces pays. C’est pour faciliter la prise de cette décision et le respect de son application pour briser les chaines de transmission du virus sans ruiner l’économie, ni les ménages.
- Protéger les personnes âgées et les personnes avec des maladies chroniques : ne fréquenter les autres qu’en cas d’extrême nécessité et avec de mesures de précaution à l’extérieur comme à l’intérieur de chez elles.
Le pourquoi de ces mesures
Chaque jour nous apporte son lot d’informations : la deuxième vague de la COVID 19 est brutale, immense et certainement va perdurer dans le temps plus que la première.
Au niveau national, on va rentrer de plein fouet dans cette deuxième vague cette fin de semaine et la semaine prochaine. Le taux de positivité nous renseignera mieux que le nombre de nouveaux cas détectés (limité par la capacité du testing), encore mieux le nombre de décès enregistrés même si avec trois semaines de retard.
La grippe saisonnière et autres infections respiratoires saisonnières viennent compliquer la situation et surcharger les établissements de santé ;
La capacité hospitalière, de réanimation, de professionnels de santé n’est pas extensible.
L’équilibre entre d’un côté, le nombre des nouvelles contaminations (dans la réalité et non seulement celles détectées), le nombre de cas nécessitant l’hospitalisation et de l’oxygène, et surtout le nombre des cas la réanimation, et de l’autre coté la capacité hospitalière, la capacité d’oxygène, et les places en réanimation, doit être assuré en permanence et d’avance. Il faudrait toujours agir au moins trois à quatre semaines avant le débordement de cette capacité pour éviter l’effondrement du système de santé.
Un effondrement veut tout simplement dire que des citoyens qui sont en détresse respiratoire, qui sont dans des situations critiques ne pourraient être admis à l’hôpital ou à la réanimation faute de places. C’est aussi vrai pour les cas de COVID comme pour les autres cas non COVID : attaque cérébrale, attaque cardiaque, accidentés … Cette situation est inimaginable. Elle ne sera plus une affaire de santé, mais de stabilité et de sécurité de tout le pays. Une telle situation imposerait une auto reconfinement général de facto par la population elle-même, mais dans le désordre. On ne peut se laisser aller vers une telle destinée : nous perdrons des vies, de l’économie, de la scolarité et la vie sociale, avec un délai de reprise beaucoup plus long et plus lent que si on anticipe et on choisit d’arrêter des mesures qui permettront de sauver le maximum de vies, d’économie, de revenus pour les familles, de scolarité et de vie sociale.
Les mesures barrières, les mesures du système de santé sont indispensables, mais insuffisantes pour juguler l’épidémie et réduire le nombre de décès. Quoi qu’on fasse, à un moment la situation épidémiologique dans une ville, dans une région ou au niveau national finira par déborder. C’est déjà malheureusement le cas sur Casablanca.
Une étude publiée le 22 octobre qui a analysé les données de 131 pays a conclu sur l’importance capitale de quelques éléments sur la réduction du taux de reproduction du virus Rt et donc la maitrise de l’épidémie : la fermeture d’écoles, la fermeture des lieux de travail, les interdictions d’événements publics, les exigences de rester à la maison, le rassemblement de plus de 10 personnes, et les limitations de mouvement à l’intérieur du pays.
Les enfants ne sont pas des contaminateurs importants, mais dans une situation épidémiologique à risque, l’école peut être source de propagation. Pour cette raison la rentrée scolaire sur Casablanca a été différée pendant 4 semaines. Et la reprise risque d’être différée. Cela dépendra de l’évolution de la situation et des chiffres.
Faute de grande capacité de testing, (limitée à 20 -25 milles par jour), ce ne sont pas les chiffres de nouvelles contaminations qu’il faudrait suivre, mais celui des décès avec malheureusement trois semaines de retard, la durée moyenne qui s’écoule entre la contamination , l’hospitalisation, le passage par la réanimation avant le déces. Ente temps il faudrait jeter un œil sur le taux de positivité quotidien (nombre de tests positifs sur le nombre total des tests effectués). Ce taux reflète en effet, entre autres, la vitesse de l’épidémie et la capacité de testing. Plus on a un taux élevé, plus il y a de cas positifs et/ou moins on teste par rapport à ce qu’on devrait tester. Avoir en permanence sous l’œil la capacité hospitalière et de réanimation. Ce sont là, les indicateurs qui nous permettraient de décider quoi faire ?
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Abdo El Rhazi Anticiper la brutalité : Un reconfinement ciblé est à nos portes