Fondé en 1992 par le chanteur engagé Amazigh Kateb à Grenoble, le groupe franco-algérien Gnaoua Diffusion, a su garder la même énergie et richesse sonore 25 ans après sa création.
La formation critique de son temps a enflammé la scène de la plage lors de la 20e édition du festival Gnaoua d’Essaouira. Le bruit des vagues s’est allié le temps d’un soirée explosive aux rythmes gnawa, raï et reggae du groupe, avec quelques touches de rock et de hip-hop sur des textes à la fois drôles et critiques chantés en arabe algérien, en français et en anglais, récités en boucle par petits et grands.
Vous vous êtes produit à Essaouira en 1999 puis en 2003. Vous revenez pour la 20e édition, votre concert était une nouvelle fois électrisant. Quel est votre sentiment ?
J’ai encore faim, j’ai encore envie de jouer parce que ce genre de concerts laissent sur sa faim, c’est de l’énergie tellement puissante,… quand il y a autant de gens qui chantent avec toi, et qui portent la musique avec autant d’énergie, ça donne envie de jouer plus longtemps, et peut être de faire une tournée au Maroc, pourquoi pas ? En tout cas, je suis toujours très à l’aise de jouer ici sur scène, parce que je sais qu’on comprend ce que je raconte, je me sens comme à la maison.
Même les jeunes connaissent par coeur vos chansons. Votre public est assez large !
Oui et ça me surprend même en Algérie d’ailleurs. Je pensais qu’il n’y avait que l’ancienne génération qui avait notre âge qui écoutaient notre musique, mais lors de mes derniers concerts, je me suis rendu compte que les ados de 14 ans connaissaient par cœur nos chansons, comme si ça venait de sortir, comme si c’était de leur époque ! En fait, je pense que leurs parents leur ont transmis la passion pour cette musique qui les a bercés. Vous savez, il y a un vrai public pour cette musique, pas seulement au Maroc mais à travers toute l’Afrique du nord, il y a un vrai intérêt artistique de la part d’artistes qui ne connaissaient pas ce genre de musique. Je crois qu’ils commencent à comprendre la graine universelle qu’il y a dans la couleur gnaouie.
Gnaoua pour vous c’est quoi ?
C’est une survivance d’une époque qui a voulu anéantir la culture, l’honneur et la dignité des esclaves, des gens qui ont été déportés, …pour moi, c’est un exemple réel dans l’histoire de verticalité et de contre fatalité. Nous les Arabes, on a beaucoup de fatalisme : « Allah Ghalleb, c’est le destin, Mektoub… » et la musique Gnaoua, elle répond à ça par la patience, l’énergie, les ancêtres, les vocations des anciens, par la verticalité. Ça veut dire : « même si tu m’as mis les chaînes, tu ne pourras pas me mettre les chaînes dans la tête, c’est impossible ! ». C’est ce que je retiens de la musique Gnaoua, c’est vrai, je ne suis pas quelqu’un qui fait une lecture très religieuse de la chose, je n’ai pas cette grille de lecture et je ne veux pas l’avoir, parce que je trouve qu’aujourd’hui, on a une lecture religieuse de quasiment tout. De nos jours, en France, il y a un glissement sémantique incroyable, si je dis : « je n’aime pas les mergezs », ça veut dire : « je n’aime pas les Arabes », si je dis : « je n’aime pas la musique Yiddish », ça veut dire : « je suis antisémite », ….quoi que tu dises, ça induit une idée derrière que tu n’as pas dites, on glisse toujours vers un sens qui n’est pas le sens premier des choses !
Et le reggae, c’est aussi dans le même état d’esprit ?
Vous savez, la Jamaïque, c’est une toute petite île au milieu des Caraïbes qui fait danser le monde entier avec un son. Donc, c’est la preuve que la musique est un super vecteur et que ce n’est pas juste du divertissement ! Pourquoi toutes les armées du monde ont un tambour ? Pourquoi tous les pays du monde ont un hymne national ? La musique fédère, elle est faite pour être collective, c’est un vrai lien social et c’est une vraie respiration pour les gens, donc, ce n’est pas anodin. On ne peut pas laisser le paysage audiovisuel s’appauvrir et se standardiser et devenir complètement stérile et enfermé et en même temps, être progressiste par exemple politiquement dans ses idées ! Il ne faut pas être archaïque en musique et être progressiste en politique, ce sont deux choses qui vont ensemble ; moi, j’ai du mal à séparer les deux. Quand je fais de la musique, c’est comme si j’écris un article pour les gens, je leur parle en permanence.
La musique Gnaouie, c’est un exemple réel dans l’histoire de contre fatalité
Votre musique est toujours aussi contestataire qu’il y a 25 ans. Vous avez toujours cette énergie du gnaoui libertaire ?
Oui, le fond même de cette musique est contestataire, je pense qu’on essaie d’escamoter cela et de ne montrer que le côté folklorique, religieux, soufi ou zaouia, … J’ai souvent demandé à des gnaouis de m’expliquer le sens des textes dans les morceaux qu’ils jouaient et ils me répondaient qu’ils l’ignoraient ! Je pensais que c’était probablement à cause de leur analphabétisme ou bien d’un manque de transmission. Quand je suis allé à Cuba et travaillé avec des musiciens afro-cubains qui jouaient de la musique autochtone (un peu l’équivalent de la musique gnaoua, avec la même structure, les voix, les choeurs, percussions, …), je leur ai aussi demandé le sens de certains mots africains qu’il y avait dans leur musique ; eux aussi, ils en ignoraient le sens ! Puis, quelqu’un m’a expliqué que ces chants-là étaient subversifs et qu’ils étaient faits pour contester le blanc en face. En fait, on lui chantait en face le refus de la féodalité ! Du coup, on ne leur a pas traduit la signification des mots pour qu’ils ne se fassent pas massacrer par leurs maîtres. Ils leur ont donc appris les chants avec une intensité et une rage de liberté,… d’ailleurs, le cri du gnaoui, correspond à cela : « 3iyat », c’est un cri de liberté, et c’est cette intensité là qu’ils ont gardé.
Est-ce que le cri du gnaoui résiste toujours en France avec les malheureux événements qui se sont produits récemment ?
C’est un peu difficile de résister à un rouleau compresseur de cette taille, avec juste de la musique mais je pense que ce n’est pas encore la fin du monde, ce n’est pas pour demain. Je pense qu’il ne faut pas baisser les bras, et même si le rouleau compresseur est de plus en plus gros, il faut que des voix discordantes s’élèvent de toute part. C’est un tout, et donc, oui, le gnaoui a son rôle à jouer là-dedans, dans la résistance bien sûr, parce qu’il est un des porte-voix, mais une seule main n’applaudit pas !
Des projets ?
On prépare un album avec Gnaoua qui verra le jour dans un an, j’ai un autre projet algéro-cubain que j’ai monté avec les latinos autour de la musique afro-cubaine, c’est une espèce de réécriture de morceaux cubains en arabe, ça va sortir vers la fin de l’année, vu qu’on a déjà enregistré la moitié de l’album. Puis, j’ai un projet solo avec quelques chansons que je suis en train de mettre en forme, sur le thème de le milieu carcéral, ce sera essentiellement des chansons de prison, des textes, de poèmes de prisonniers, et ce projet va être dans la foulée des deux premiers.
via Abdo El Rhazi Amazigh Katib, Le Gnaoui insoumis
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