Par : Henrique Cymerman Benarroch à Doha
« Le Qatar est comme un boxeur léger qui se prend pour Muhammad Ali », affirment les membres des maisons royales d’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis, ainsi que des représentants du gouvernement égyptien, qui ont décidé de boycotter une importante conférence qatarie intitulée « Enrichir l’avenir économique du Moyen-Orient ».
À Doha, on reconnait que la confrontation avec les voisins des maisons royales de quatre des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et Oman (à l’exception du Koweït qui tente une médiation), est sans précédent dans l’histoire de la région.
« Le CCG est mort », dit-on à Doha, où on accuse les princes héritiers de Riyad, Mohammed bin Salman, et d’Abu Dhabi, Mohammed bin Zayed, de violer le contrat historique entre les tribus de chacun des pays et leurs véritables maisons respectives.
« Mohammed bin Salman est un jeune homme plein de testostérone qui a mis onze princes de sa propre maison royale en prison au nom d’une justice qu’il dicte. Il a brisé le lien historique qui existe entre les religieux wahhabites et le gouvernement, plaçant plus d’un millier d’entre eux en prison », a déclaré à La Vanguardia un haut responsable de l’administration qatarie, sous couvert d’anonymat. « C’est terrible ce qu’ils font : ils attaquent les affaires saoudiennes et financent les hommes, contrôlent les médias locaux et arrêtent l’officier principal de la garde nationale, le frère de l’ancien roi, et le gouverneur de Riyad sous prétexte de corruption. »
L’Iran, grand gagnant
À Doha, on affirme que si Bin Salman, également connu sous le nom de Mr. Everything et MBS, continue à mener à bien son projet, les cinq familles royales du golfe resteront dans les cordes. « Le grand vainqueur de tout ce qui nous est imposé est l’Iran, un pays qui, depuis 1979, essaie d’exporter la révolution visant l’hégémonie au Moyen-Orient, à Damas, à Beyrouth, dans certaines parties de la Syrie, au Liban et au Yémen… Les Saoudiens nous poussent vers les bras iraniens. »
L’enjeu de la survie
Le Qatar est le pays des mille et une dots, avec 250.000 citoyens et 2,25 millions d’étrangers, dont 90% sont des immigrés dits «low cost», qui viennent d’Inde et d’Asie du sud-est pour travailler sur tout ce qui est en construction contre un salaire minimum. Ce sont ces immigrés qui construisirent les gratte-ciels et les stades de football destinés à recevoir la Coupe du monde 2022, la première à avoir lieu dans le monde arabe, parfois avec des victimes mortelles parmi les travailleurs.
Cependant, le pays doit maintenant survivre le mieux possible malgré le blocus économique et le boycott terrestre, aérien et maritime imposé par ses voisins du Golfe. Pour atteindre l’aéroport de Doha, avec ce blocus, la seule alternative est de survoler le territoire iranien. Selon des sources qataries, même l’armée américaine transfère du matériel et des soldats vers d’autres régions en survolant l’Iran.
« C’est une nouvelle ère, mais nous sommes déterminés à sortir quelque chose de positif de tout le mal », a déclaré Youssef Mohamad al-Jaidah, directeur exécutif du centre financier du Qatar. « Les pays qui imposent le blocus ont essayé de forcer les entreprises à choisir un camp : soit avec eux, soit avec le Qatar ».
Choix cornélien
Leurs rivaux voient avec envie comment en l’an 2000 le PIB du Qatar qui était de 6 milliards de dollars est passé à 200 milliards en 2015 ; et comment ils ont réussi à créer al-Jazeera, chaîne de télévision qui est devenue la grande télévision d’un petit pays avec une grande influence dans le monde arabe et qui, surtout à l’époque du Printemps arabe, est devenue un acteur majeur des manifestations populaires.
Les voisins du Qatar demandent, entre autres conditions, de fermer al-Jazeera ou qu’au moins son département en arabe adopte une ligne éditoriale plus modérée similaire à sa version anglaise. Mais, jusqu’à présent, cela ne s’est pas produit.
Des sources diplomatiques occidentales rappellent que le pouvoir économique du Qatar provient principalement de l’exportation de gaz et, dans une moindre mesure, de pétrole. « Les Qataris partagent le plus grand gisement gazier du monde avec l’Iran, c’est pourquoi ils dépendent des relations avec Téhéran, et je peux vous dire qu’ils paient des milliards de dollars aux Iraniens pour qu’ils n’exploitent pas le champ. Ils reçoivent de l’argent sans faire d’investissement pour exploiter le gaz, c’est comme vendre sans vendre … Tant que cela sera le cas, Doha ne quittera pas l’Iran », explique un diplomate européen.
Pour le président égyptien Abdelfatah al-Sissi, la ligne rouge franchie par les Qataris a trait à leur soutien aux Frères musulmans, qui jouissent de la liberté de mouvement dans le pays, dont le groupe palestinien Hamas, historiquement lié aux Frères musulmans.
Le patriotisme s’affiche…
Suite de la crise, le pays connaît une vague de nationalisme et l’image de son émir se retrouve dans tous les points de contrôle des passeports de son luxueux aéroport, ainsi que dans de nombreux gratte-ciels de la capitale, Doha. Certains des citoyens les plus patriotes portent maintenant la même image de Sheikh Tamim al-Tani sur le revers de leurs jalabiyas blanches et soignées, et les femmes dans leurs tchadors noirs.
Le Qatar accuse également ses rivaux de promouvoir une fausse campagne d’information pour discréditer le pays. Surtout depuis la création de l’État islamique (EI) en 2014. Le Qatar possède l’une des bases militaires les plus sophistiquées des États-Unis, avec 11.000 soldats, et a été accusé d’être le point de départ des vols de drones vers les bases islamistes en Irak et en Syrie, apportant une aide économique aux groupes djihadistes. « C’est parce qu’ils nous envient », a déclaré un haut responsable des services de sécurité qatari au journal. « Nous avons dans nos prisons plusieurs dizaines de militants de l’EI et d’Al-Qaïda qui nous menacent et menacent toute la région. »
D’autre part, à Doha, on accuse les Saoudiens d’avoir tenté d’envoyer des milices composées de parents de qataris à la frontière entre les deux pays dans une tentative de conquérir le territoire qatari avec les 10.000 hommes de ces tribus. Le haut fonctionnaire de Doha affirme à ce journal que cette invasion a été avortée par l’intervention turque, avec l’ordre du président Recep Tayyib Erdogan de créer une base militaire de 6.000 hommes dans le pays.
À la suite du schisme au sein du CCG, deux nouveaux axes se sont formés au Moyen-Orient, et dans les deux vous pouvez entendre des tambours de guerre. D’une part, l’axe de l’Iran et de la Turquie, soutenu en deuxième ligne par la Russie ; et de l’autre, l’Égypte et l’Arabie Saoudite, avec les Émirats Arabes Unis, Bahreïn et le Koweït derrière, ainsi qu’une relation beaucoup plus étroite avec l’administration américaine et, secrètement, avec Israël, qui développe graduellement le renseignement militaire et les relations commerciales avec certains pays. Le Qatar est au centre d’une tempête de sable dans la région aux conséquences imprévisibles.
via Abdo El Rhazi Le Qatar accuse l’Arabie Saoudite et l’Égypte de le pousser dans les bras de l’Iran
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