« Le Maroc peut nous y aider en ouvrant une représentation diplomatique kabyle à Rabat ».
La Kabylie fait partie de l’Afrique du Nord et, en ce moment, cette zone est sujette à des conflits qui compromettent son avenir au moment où il reste encore beaucoup à faire en matière de développement humain. Quelle est la position du gouvernement Kabyle provisoire en exil vis-vis de cette situation ?
Ferhat Mehenni : Les conflits régionaux (Polisario, Palestine, Apartheid) et la lutte contre le sous-développement ont longtemps servi de prétextes au pouvoir algérien pour légitimer la confiscation des libertés élémentaires des citoyens. Ces derniers en étaient les otages. La mondialisation a mis à nu la nullité de l’argument en faisant prendre conscience à tous les peuples que rien ne pouvait garantir la stabilité et la prospérité régionale mieux que le respect des droits humains. Les passifs régionaux en matière de dénis, comme celui dont souffre la Kabylie, appellent, à travers toute la planète, leur apurement pour permettre à l’humanité d’avancer vers un monde de paix et de liberté. Toutefois, il y a lieu de rappeler que les conflits sont le moteur de l’Histoire. Ils sont inévitables. Ils se règlent par la négociation ou par la violence. Généralement, au début, chaque protagoniste pense que la guerre est le seul moyen d’imposer sa solution. Ce n’est que lorsque celle-ci est impossible que l’on se résout à négocier.
Comment imaginez-vous la solution qui pourrait assurer la paix et le développement dans cette région?
La création de l’Algérie par la France est une violence faite aux peuples qu’elle asservit. Ce que l’Histoire a mal fait, sera nécessairement défait, un jour ou l’autre. La solution est dans la restitution de leur souveraineté à la Kabylie, aux Aurès, au Mzab et aux Touaregs pour en faire ce qu’ils voudront. A un moment ou un autre, chacune de ces entités cherchera à se fédérer avec ses voisines sur la base de leurs intérêts communs.
Le conflit qui a le plus duré en Afrique du Nord est sans aucun doute la question du Sahara. L’Algérie qui abrite le Polisario estime qu’il s’agit d’une question de décolonisation. Qu’en pensez-vous ?
Le conflit du Sahara est l’otage des velléités du régime militaire algérien d’imposer son diktat et son leadership sur l’ensemble du sous-continent. Autant dire, que s’il y parvient, ce serait toute l’Afrique du Nord et le Sahel qui seront sous régime militaire. En fait, il y va de sa propre survie. Ou il s’étend, ou il meurt. La marche des peuples vers la démocratie lui fait peur et l’une des meilleures façons de le combattre de l’extérieur est de développer la démocratie autour de lui.
Au vu des changements à la tête de l’Etat et de l’armée, comment voyez-vous l’évolution de la position officielle algérienne ?
La position algérienne n’est pas celle d’un président, quel qu’il soit, mais celle d’un système qui, tant qu’il est là, ne changera pas.
Quelle solution propose le gouvernement kabyle ?
L’Anavad (Gouvernement Provisoire Kabyle en exil) a pour priorité de faire accéder la Kabylie à son indépendance. Il aura son mot à dire sur les conflits régionaux, le jour où la Kabylie sera membre de l’ONU. Le Maroc peut nous y aider en ouvrant une représentation diplomatique kabyle à Rabat.
Peut-on espérer créer enfin le Grand Maghreb dans ce contexte conflictuel ?
Il y a abus de langage dans cette terminologie de « Grand Maghreb ». Permettez-nous de ne pas y souscrire. Cette terre s’appelle la Tamazgha. Ce sont les orientalistes occidentaux, notamment français, qui en ont fait le pendant du « Machrek », une ombre de celui-ci, une sorte de traîne de sa robe de mariée.
Au-delà de cette querelle de sémantique, il y a lieu de savoir que la construction d’un ensemble nord-africain des peuples ne deviendra réalité que lorsque ces mêmes peuples auront tous consolidé leur souveraineté. Penser que cela est possible de nos jours, c’est croire au père Noël. Je dis cela, car les dictatures ne savent pas s’unir. Regardez ce qu’est l’Union Africaine ! L’Europe n’a pu se faire que le jour où tous ses pays se sont démocratisés.
Réunis, les pays du Maghreb constituent une force politique et économique non négligeable. Or cette force est inexistante pour le moment ce qui fragilise les pays de la région qui se trouvent affaiblis dans leur position à l’international. Ne pensez-vous pas qu’on puisse dépasser cet état dans un avenir proche et dans quelles conditions ?
La construction d’un ensemble régional se fait sur la base de nécessités géopolitiques et stratégiques communes. Or, comment voulez-vous construire une unité nord-africaine sur la base d’intérêts, non pas divergents mais conflictuels comme le montrent les cas du Sahara, de l’Azawad, de la Kabylie ou des Amazighs de Libye … ?
En cas d’un conflit libyen généralisé, quelle serait la position de la Kabylie ?
C’est une erreur que de vouloir reconstruire une Libye sur le modèle unitaire et centralisé. La Libye doit être divisée en plusieurs entités qui, une fois reconnues se fédéreront d’elles-mêmes. Imposer par la force des armes un pouvoir, c’est condamner les peuples libyens à une nouvelle dictature, de nouveaux tyrans et de nouvelles atroces épreuves. Devant les enjeux géostratégiques qui se dégagent du conflit libyen où Américains et Russes, confient la sous-traitance aux Arabes, Turcs et Iraniens, nous préférons garder la tête froide et réclamer protection pour les Amazighs de Libye et un Etat pour leur avenir.
De quels moyens dispose le gouvernement d’exil pour protéger les kabyles et éviter qu’ils soient impactés par ce conflit ?
Nous n’avons que la foi en la justesse de notre droit sacré à exister en tant que nation kabyle, confortée par l’adhésion du peuple kabyle à notre combat politique. Nous n’avons aucun moyen matériel, encore moins militaire.
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via Abdo El Rhazi Entretien exclusif avec Ferhat Mhenni, président du gouvernement provisoire kabyle en exil (ANAVAD)
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