Tuesday, October 20, 2020

Ces filles qui brûlent à l’enfer du «silissioune»

 

Troquer un enfer contre un autre, c’est ce que font ces jeunes filles en manque. Happées par les drogues dures, elles se rabattent sur « silissione » ( Solvant volatil ) lorsqu’elles n’ont pas les moyens de se procurer leur dose. Une véritable descente aux enfers.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

Nous l’avons rencontré dans l’une des ruelles sinueuses de Derb Sultan. Elle ne voulait pas nous retrouver dans un café ou un lieu public. Arrivée en retard, le souffle haletant, Touria nous adresse, avec bonhomie, un sourire édenté en se fondant en excuses. Ça fait plusieurs jours qu’on fixe et que l’on reporte à la dernière minute nos rendez-vous. Son corps frêle est camouflé sous une tonne de vêtements sportifs, ses cheveux teintés pointent sous son gros bonnet. On dirait qu’elle se cache.

Méfiante au début, la jeune femme se met à l’aise aussitôt et nous raconte son histoire après avoir avoué : «J’ai avalé un comprimé d’extasie avant de venir vous rejoindre question de me détendre», nous lance-t-elle naturellement en riant.  Trente ans, mère d’un enfant, un diplôme d’aide soignante en poche, le visage de Touria conserve malgré les dégâts très perceptibles, les vestiges d’une grande beauté antérieure. « A l’âge de 13 ans, j’étais déjà une bombe. Tout le monde me courtisait et j’étais insaisissable. Mais les mauvaises fréquentations causeront ma perte», nous raconte-t-elle, les larmes aux yeux.

 

 

Pour la jeune femme, le déménagement de ses parents dans le quartier de Kruâa à Casablanca, a été le coup fatal à son avenir. Elève appliquée, elle avait de beaux jours devant elle jusqu’à ce qu’elle découvre « chicha » puis les autres drogues avec ses copines et leurs copains. Commençant par des cigarettes fumées à la sauvette entre deux cours, elle finira par passer des journées et des soirées entières dans des lieux malfamés ; où tout est disponible pour une jolie fille comme elle.

Cocaïne, extasie, cannabis, alcool… elle a tout expérimenté avec une telle gourmandise. « On m’offrait tout et j’étais tout le temps prenante. J’ai même tourné des clips avec des chanteurs de rai. J’était cette blonde aux charmes irrésistibles qu’on veut absolument dans sa clique », raconte Touria avec nostalgie. Menant une vie très animée, un jour elle est victime d’un grave accident avec ses amis tous chootés à bloc.

Drogue démocratisée

Coma profond, hospitalisation, séquelles irréversibles, manque et sevrage mal vécu… la belle Touria en sort à moitié brisée. Sa grossesse hors mariage survenue juste après, finit par la terrasser. Fini le beau temps ! Commence alors une période aride. Charme fané, la compagnie de l’ex-jolie blonde n’est plus aussi attrayante et ses moyens se raréfient progressivement. Commence alors une autre addiction : celle du « silissioune ». Pas cher, disponible, effet garanti… « On plane au moindre coût ». Une drogue démocratisée pour les démunis mais aussi pour les plus riches.

 

 

Car si pour les droguées aux revenus faibles, silissioune est une solution économique, ce produit hautement nocif a d’autres «vertus » pour les plus nantis. « Depuis quelques temps, avant la pandémie et le confinement qui s’en suit,  nous avons commencé à voir des filles chics arriver dans le quartier en plein milieu de la nuit en voitures de luxe. Elles viennent s’approvisionner en tubes de silissioune », nous raconte Youssef. M qui habite à Derb Fokara à Casablanca. D’après Touria, ce produit désormais interdit de vente dans les drogueries de quartiers, permet à ces filles de booster l’effet des drogues dures qu’elles consomment. « Après avoir sniffé de la cocaïne, enchainer avec le silisioune permet de quadrupler l’effet. Ça permet de planer plus haut et plus longtemps », explique Touria sous le regard approbateur de Atika, sa jeune amie qui vient de nous rejoindre.

Descente aux enfers

La vingtaine, un teint blafard, de jolis traits qu’une grande fatigue ternit, Atika n’est pas très bavarde. C’est son amie qui nous raconte son histoire. Accro au silissioune, Atika peut en consommer jusqu’à dix tubes par soirée. « C’est trop même pour un drogué confirmé. Mais la pauvre souffre tellement qu’elle en a besoin pour se déconnecter », regrette Touria, en faisant allusion aux relations louches de la mère d’Atika.  A 10 dhs le tube, il arrive à cette fille de bonne famille de s’offrir à n’importe qui, n’importe où rien que pour avoir sa dose.

«Elle est tellement dans les vaps qu’elle ne se souvient même pas de ce qui lui arrive pourtant c’est une fille gentille de bonne famille qui a été happée par la drogue par mégarde», regrette sa copine ; tandis qu’Atika nous considère avec un regard vitreux. Toujours souffrante, Atika a été hospitalisée il y a quelques mois suite à une crise qui a failli l’emporter. « Le produit hautement toxique lui a bousillé les bronches et les poumons. Ces derniers  ont été tellement encombrés et ça a provoqué une grave infection. Elle était dans le coma lorsque sa mère l’a emmené à l’hôpital», raconte le verbe ému l’amie, qui malgré sa propre déchéance, compatit profondément avec celle d’Atika.

 

 

Destin brisé

Une véritable descente aux enfers qui commence par une simple envie de faire la fête, de faire comme le groupe ou d’expérimenter de nouvelles sensations et qui finit par gâcher toute une vie. C’est ce qui est arrivé à Marwa. Jeune lauréate d’un master en économie, elle tombe enceinte de son copain. Prise de panique, elle s’enfuit avec son amoureux du foyer familial. Le scandale éclaté, son Roméo rentre chez lui et Marwa perd le chemin du retour pour atterrir entre les mains de proxénètes avides de chair fraiche. N’arrivant pas à surmonter sa nouvelle condition de prostituée, elle plonge à corps perdu dans l’enfer de la drogue. Si silissioune reste son moyen de décollage préféré, aujourd’hui elle a « perfectionné » ses procédés en commençant à «fumer» la cocaïne en la mélangeant avec de l’ammoniac.

« Décapant mais hautement nocif. Rajouté au silissioune, c’est un suicide qualifié », juge Simo, le dealer d’extasie qui nous raconte la triste histoire de Marwa. Très à la mode, cette nouvelle manière de consommer la cocaïne qui coute au moins 400dhs le gramme, serait hautement nuisible. Développant le taux d’addiction, elle devient explosive mariée aux substances volatiles. Un enfer double dont les filets se resserrent chaque jour, un plus sur des victimes fatalement consentantes.

Poison banalisé

D’après les travaux de Mohamed Ben Amar, professeur maroco-canadien de pharmacologie et toxicologie à l’Université  de Montréal, ces solvants volatils sont en effet de puissants psychotropes. Facilement disponibles et à très faible coût, leurs effets ressemblent à une intoxication instantanée à l’alcool. D’après le chercheur, leur consommation peut conduire à de sérieux troubles psychologiques, neuromoteurs, respiratoires, cardiovasculaires, hépatiques et sanguins.

« Quelques décès sont survenus au Maroc suite à leur inhalation», note Ben Amar dans son livre « Drogues. La réalité marocaine ». Portant une attention particulière aux solvants volatils appelés populairement « silissioune », le professeur marocain insiste sur leur effet très dangereux sur la santé physique et mentale des consommateurs. « Leurs effets psychotropes et leur neuro-toxicité en font un grand danger. Très répandu parmi les enfants de la rue et les jeunes sujets, ils causent des dommages sérieux et irréversibles au cerveau », met en garde le spécialiste.

 

NB : Les noms des nos témoins ont été changés suite à leur propre demande.

 

Cet article Ces filles qui brûlent à l’enfer du «silissioune» est apparu en premier sur .



via Abdo El Rhazi Ces filles qui brûlent à l’enfer du «silissioune»

No comments:

Post a Comment