Ferhat Mhenni est le président du Gouvernement provisoire kabyle en exil (Anavad). Nous l’avons contacté en France où il réside pour voir avec lui les derniers développement politiques en Algérie et aussi au Sud du Maroc.
Entretien réalisé par Hakim Arif avec l’aide du chercheur en droit privé Hafid Allaki.
lobservateur.info: Le 1er novembre dernier, il y a eu un référendum sur la révision de la constitution en Algérie. Pourquoi la Kabylie l’a-t-elle boycotté ?
Ferhat Mehenni : Ce scrutin n’est pas le seul à avoir été boycotté par le peuple kabyle. Depuis 1999, la Kabylie boycotte toutes les échéances électorales qui remettent en cause sa souveraineté face à l’Algérie. Ces scrutins sont saisis par elle comme des opportunités d’exprimer son rejet et d’exercer son droit à l’autodétermination.
Nous boycottons pour des raisons, simples et claires. Le boycott à 100% de ces élections montre que la Kabylie et l’Algérie ne sont pas un seul et même pays. Ce sont deux entités distinctes, deux voisines qui ne peuvent coexister que sur un même pied d’égalité. La Kabylie refuse de continuer à vivre sous domination coloniale algérienne car elle est née pour être libre et indépendante.
C’est, entre autres motifs, pour cela qu’elle n’a jamais reconnu sa défaite face à l’armée de Mac Mahon en 1857, occasion par laquelle elle fut annexée de force à l’Algérie française. Elle est aujourd’hui plus que jamais déterminée à recouvrer sa pleine souveraineté sur son territoire.
Nous avons besoin de compréhension autour de nous, aussi bien de la part des Algériens que de l’ensemble de nos voisins nord-africains et méditerranéens, voire des superpuissances qui gouvernent le monde. Nous avons produit à cet effet, le Mémorandum adressé au Secrétaire Général de l’ONU et à l’ensemble de la communauté internationale le 28/09/2017 dans lequel nous exprimons les raisons qui fondent notre droit à notre indépendance.
En tournant de nouveau le dos aux élections algériennes, le peuple kabyle revendique clairement son indépendance. Suite à de tels scores référendaires, nous sommes fondés à clamer haut et fort, devant le monde entier, que le président algérien n’a aucune légitimité à exercer une quelconque autorité sur la Kabylie, et nous pouvons ajouter que sa constitution nous est totalement étrangère. Le boycott total d’une élection par la Kabylie est en soi un vote unanime pour sa libération.
Quelles sont les effets politiques de la nouvelle constitution ?
Pour le moment, les effets politiques de cette révision constitutionnelle sur l’ensemble du pays sont nuls. Les Algériens sont habitués depuis 1962, à ce que chaque président intronisé ait SA constitution qui, il faut le savoir, ne diffère en rien de celle de Ben Bella (1963). Pour les 40 dernières années, une nouvelle constitution est une sorte de dot de mariage que le pouvoir militaire offre à son élu. Avec la maladie de Tebboune (Abdelmajid Tebboun, le président en exercice NDR), cette révision constitutionnelle est un coup d’épée dans l’eau. Elle est faite pour un président qui ne gouvernera pas.
Les observateurs se demandent qui gouverne réellement l’Algérie aujourd’hui, surtout que le président.
Depuis 2013, avec l’AVC de Bouteflika, l’Algérie est gérée, au vu et au su du monde entier, par des « forces extraconstitutionnelles ».
Avec la rumeur d’AVC de Tebboune, il y a continuité des oukases et autres coups d’Etat internes et leurs liquidations judiciaires et …physiques.
Ceci a pour conséquence d’enfoncer l’Algérie dans une régression sidérale. Au moment où le monde enregistre des progrès politiques, sociaux, économiques et culturels, en Algérie ce sont les bruits de bottes qui animent la scène politique. Le pouvoir est militaire mais ses clans s’entretuent. Au final, personne ne gouverne réellement sur place.
Toutefois, il y a lieu de se rendre compte que l’Algérie est gérée à partir d’ailleurs. Elle est, géopolitiquement, satellisée autour de l’instable et dangereux leadership moyen-oriental même si c’est toujours la France qui la couve, en raison du poids de l’histoire coloniale. Actuellement se rejoue, entre Erdogan et Macron, un remake du « coup d’éventail » du Dey d’Alger ayant déclenché le débarquement français à Sidi Ferruch, le 14/06/1830.
Tebboune va-t-il revenir alors au pouvoir ?
Seuls ses médecins peuvent le dire. Nos informations, qui peuvent être infondées, encouragent à faire le deuil d’une telle éventualité.
L’Algérie est toujours le sponsor des terroristes du Polisario qui montre des velléités guerrières ces derniers temps. Le pouvoir algérien veut-il vraiment une guerre ? Quel est son intérêt ?
L’Algérie a toujours besoin d’un ennemi externe pour légitimer la répression des libertés et de la démocratie en interne, étouffer les voix de l’opposition. Elle a besoin d’une guerre pour imposer son diktat sur l’ensemble nord-africain et faire valider à l’échelle internationale son statut de puissance régionale.
La Kabylie semble toujours poser un problème au pouvoir algérien, où en est votre mouvement à l’heure actuelle ?
Notre Mouvement a l’adhésion de l’écrasante majorité du peuple kabyle. C’est nous qui avons géré le confinement lors de la première vague et continuons de le faire avec le reconfinement face à la seconde vague du coronavirus. Nous avons apporté une aide sanitaire substantielle à la Kabylie tant du point de vue matériel qu’organisationnel
Malgré la mise sous cloche de la diplomatie au niveau mondial, nous continuons d’écrire et d’appeler des instances internationales, particulièrement celles chargées des droits humains, pour les alerter et les sensibiliser sur la répression des militants kabyles. Ainsi, Lounes Hamzi, un de nos responsables politiques, un homme pacifique, est mis sous mandat de dépôt depuis le 08/09/2020 pour atteinte à l’unité nationale. Une aberration en soi. Lounes Hamzi n’est pas Algérien, il est Kabyle. J’invite toute la Kabylie à le soutenir et à écrire aux instances humanitaires internationales pour leur demander de faire pression sur le pouvoir colonial algérien afin de libérer ce grand homme plein de sagesse et de dignité.
Entre temps, nous avons enregistré des avancées appréciables. Nous avons doté la Kabylie d’un parlement (IMNI), et travaillons sur la validation internationale d’un passeport kabyle, en espérant que le Maroc soit parmi les pays qui vont le reconnaître. D’ailleurs, nous réitérons notre demande d’ouverture d’une représentation diplomatique kabyle que ce soit à Rabat ou El Ayoun.
La communauté internationale est-elle bien sensibilisée à votre lutte ?
Nous faisons tout pour qu’elle le soit.
Que pensez-vous des derniers développements à Guergarat ?
Nous réprouvons l’effusion de sang. Nous avions mis beaucoup d’espoir dans le processus de Genève sous les auspices des Nations Unies. C’était une démarche qui honore le Maroc. Hélas, l’Algérie a tout fait pour l’empêcher d’aller à son terme. Guergarat en est, malheureusement, la conséquence et le Maroc devra probablement faire face à une nouvelle guerre contre le Polisario. La question à se poser serait de savoir pourquoi ce dernier a-t-il choisi ce moment précis pour engager les hostilités dans une entreprise pourtant suicidaire pour lui. Cela est incompréhensible tactiquement dans la mesure où ses parrains algériens se trouvent en pleine crise de confiance interne et externe. Il n’y a plus d’Etat au sens noble du terme. il faut se demander si cette reprise de la guerre ne serait pas une décision du commandement militaire algérien qui aurait besoin d’un acte de diversion pour faire oublier l’absence de leur président et canaliser le mécontentement populaire vers une cause qui n’a jamais été celle des Algériens.
En ces temps de fin du monde, je voudrais, terminer mon propos en saluant la mémoire de deux de mes meilleurs amis marocains qui viennent de nous quitter, Ahmed Adghirni et Mahjoubi Aherdan
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