Un duel inédit et un choc de modèles : voilà ce que les Français ont choisi pour le deuxième tour des présidentielles. Emmanuel Macron arrivé en tête avec 24% affrontera Marine le Pen, avec de grandes chances de l’emporter.
Après de multiples péripéties, c’est donc le duo Emmanuel Macron – Marine Le Pen qui s’est qualifié pour le second tour des présidentielles françaises. C’est une surprise du côté du jeune leader d’En Marche, sur lequel bien peu auraient parié voici un peu plus d’un an lorsqu’il a créé son mouvement. Le premier enseignement de ce scrutin c’est le succès de Macron, si souvent qualifié de « bulle » vouée à l’éclatement imminent. Le candidat mondialiste a réussi son pari de recomposer une vision politique libérale-libertaire autour du centre de l’échiquier politique, celui-là même que François Bayrou, Alain Juppé ou François Hollande avaient été dans l’incapacité de mener à son terme.
De son côté, si sa présence au second tour est un succès pour Marine Le Pen, elle aura finalement réalisé un score éloigné de ses espérances (elle était annoncée à 30% dans certains sondages voici un mois.). Au total elle ne progresse que de 4% par rapport au score de son père en 2002. Au-delà des données brutes, les résultats sont surtout porteurs de grandes tendances de fond. La première est celle du « dégagisme », pour reprendre la formule de Jean-Luc Mélenchon. Tour à tour, Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls, puis le week-end dernier Hamon et Fillon en ont fait les frais.
Le second tour est aussi une illustration de ce phénomène, chaque finaliste exprimant à sa manière un rejet du «système » et des « élites politiques » en place. Cette élection illustre aussi une autre mutation, plus profonde, de nature idéologique. Au clivage entre la gauche et la droite, s’est substitué deux autres lignes de fractures : entre les mondialistes (Macron, Fillon) et les souverainistes (Mélenchon, Le Pen), et entre les élites urbaines et la province (la « France intérieure » comme l’appellent les sociologues.). Ce clivage centre les débats sur la mondialisation et l’immigration, l’Europe et les acquis sociaux. Cette nouvelle ligne de fracture explique l’éviction des deux grands partis qui, depuis près de quarante ans, structuraient la vie politique française. Même si Hamon n’a pas profité du soutien des caciques de son parti et si Fillon s’est empêtré dans les méandres du Pénélopegate, il est progressivement apparu que ces péripéties de surface masquaient en fait une évolution en profondeur des plaques tectoniques idéologiques et programmatiques. Et maintenant ?
Deux France sont face à face et se regardent en chien de faïence. Au coeur des divergences : le rapport des candidats à la mondialisation, perçue par l’un comme une chance, et par l’autre comme une menace pour le système social français. « La mondialisation sauvage met en danger notre civilisation », a ainsi martelé Marine Le Pen, s’en prenant à la « dérégulation totale, sans frontières et sans protections », à l’origine de délocalisations et du règne de l’argent-roi. Des déclarations en totale opposition avec les propos tenus par Emmanuel Macron, pour qui « la mondialisation est une formidable opportunité ».
Marine Le Pen a la volonté affichée de retrouver une souveraineté monétaire et économique. Son programme est ainsi en rupture assumée avec la construction européenne actuelle. Une politique à l’opposé de celle d’Emmanuel Macron, qui souhaite renforcer le libre-échange, en validant le CETA (accord commercial entre l’Union européenne et le Canada), et approfondir l’intégration européenne, via la création d’un budget propre à la zone euro. Mais quelles sont les chances réelles de Macron et avec quelle majorité gouvernera-t-il s’il est élu ? Crédité de 64% des intention de vote au second tour, l’ancien cadre de la banque Rothschild, a peut-être, selon certains observateurs, fêté un peu tôt sa victoire à la Rotonde dimanche dernier avec ses amis Pierre Bergé, Dominique Strauss-Kahn, Alain Minc, Jacques Attali, Bernard Henry-Lévy et autres Daniel Cohn-Bendit. En effet, les lignes bougent, probablement pas assez rapidement pour le voir échouer aux portes de l’Élysée (n’oublions pas que deux jours avant son échec électoral, Hillary Clinton était créditée de 9 points d’avance sur Trump..) mais assez vite pour l’empêcher de mettre aisément en place sa politique libérale-libertaire. Dans le camp des Républicains, la déconfiture puis l’éviction de Fillon se sont doublées d’un fort sentiment d’amertume et d’un désir de revanche. Le rapide ralliement de François Fillon à Macron n’est pas au goût de tout le monde et si cette tendance a été vite approuvée par les juppéistes, qui pressentent que Macron devra faire une ouverture à droite pour pouvoir gouverner, il se dit qu’en coulisse le tandem Sarkozy – Wauquiez aimerait monnayer très cher son ralliement au candidat d’En Marche!
Reste à savoir si ce parti au bord de l’implosion pourra trouver une ligne commune pour les législatives. De nombreux électeurs « de droite » préfèrent déjà voter Le Pen (30%) ou s’abstenir (15%) que de se tourner vers Macron. Avec moins de 7% des suffrages, Hamon et le PS font naufrage. Même s’ils se sont de suite ralliés à Macron, la décrépitude et les rancœurs sont telles qu’il faudra des années à ce parti pour se relever. En outre le soutien de la base n’est pas acquis à l’héritier de Hollande au-delà des présidentielles. Le PS atomisé, Mélenchon se retrouve donc en première place pour défendre les couleurs d’une gauche en manque de repères. La partie ne s’annonce pas facile pour un candidat que tout oppose à Macron en apparence, mais qui a toujours été fidèle à une solidarité de gauche mais dont l’électorat ouvriériste, qui a peur du « grand déclassement » et du « grand remplacement » est poreux et facilement séduit par le FN tendance Philippot ou l’abstention.
Les élections des 11 et 18 juin seront donc le premier test grandeur nature pour le président élu. Ne disposant pas d’une machine de guerre bien huilée comme c’était le cas naguère avec les partis traditionnels, inexpérimenté mais bien entouré par Terra Nova, il devra manœuvrer au plus juste pour engranger des ralliements à gauche et à droite pour réaliser un bon score aux législatives.
via Abdo El Rhazi Macron En Marche vers l’Élysée
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