Partenaire de scène de Ruben Gonzalez, Herbie Hancock ou Ibrahim Ferrer, le pianiste cubain au style hybride est apprécié pour son jeu percutant et dynamique. L’une des plus grandes références du jazz contemporain a subjugué le public marocain avec sa prestation époustouflante à Jazzablanca.
Sur la scène Anfa, accompagné d’un groupe 100% cubain, Roberto Fonseca a livré pour son premier concert à Casablanca une interprétation magistrale de son dernier album, puisant à la fois dans le jazz, les musiques sud-américaines et les sons de l’Afrique. Une immense découverte pour le public, qui a beaucoup dansé sur les airs de mambo de Santiago de Cuba!
Vous étiez batteur au début. Pourquoi avoir biffurqué vers le piano et pourquoi le jazz ?
Quand j’étais petit, je jouais de la batterie, mais comme mon frère en faisait déjà et qu’on était 5 à vivre dans une petite maison, mon père a eu peur d’avoir un autre percussionniste dans la maison ; donc, il m’a converti au piano. Et comme avec le piano, on peut aussi jouer de la percussion, c’était facile pour moi d’étudier du piano par la suite. De plus, avec le jazz, vous pouvez exprimer qui vous êtes, la manière dont vous êtes, comment vous pensez, comment vous vivez, comment vous sentez et exprimer vos émotions.
Vous avez déjà joué à Fès, c’est votre 2e représentation au Maroc. Comment imaginez-vous le show ?
Ma musique est une musique chaleureuse, je m’attends à ce que les gens puissent la sentir et interagir avec. Le plus important pour moi c’est de partager ma musique avec le public. Vous savez, sur scène, on devient fou, cool, et le public ressent cela.
Parlez-nous de votre collaboration avec Buena Vista Social Club ?
Quand j’étais en train d’enregistrer mon 1er album, j’étais jeune à l’époque, et le groupe avait besoin d’un pianiste, Ruben Gonzalez commençait à être malade et vieux,… je ne réalisais pas qu’il s’agissait du vrai Buenavista Social Club. Quand je suis parti au studio pour enregistrer, j’ai ouvert la porte et j’ai vu Ibrahim Ferrer en face, j’étais bouche bée, je n’avais pas peur, mais c’était énorme ! J’ai écouté la première chanson que j’étais sensé enregistrer, puis j’ai entendu la partie du piano solo, c’était le meilleur morceau que je n’ai jamais entendu avant, puis je me suis dit « wow, on est supposé jouer de cette façon ! ». Après l’enregistrement, on m’a rappelé pour une tournée, c’était juste génial de voir comment les gens réagissaient à la musique cubaine !
Qu’avez-vous appris d’Ibrahim Ferrer ?
J’ai appris à garder la musique simple, car plus elle est simple, plus elle est difficile. Pour un musicien, c’est très compliqué de jouer simple parce que vous devez faire plus avec peu de choses et c’est très compliqué à réaliser parce que vous jouez avec du cœur. En fait, il ne faut pas essayer pas de se vanter et d’avoir la grosse tête en disant « je suis un bon pianiste talentueux et fort » ; le but, c’est d’essayer de dialoguer avec les gens avec vos sentiments, utiliser les instruments pour traduire ce que vous avez en esprit. Et quand les gens ressentent ce que tu dégages, ils deviennent plus ouverts à ta musique. C’est la meilleure façon de partager la musique, ne vous souciez pas des erreurs, n’essayez pas d’être parfait, avec les erreurs, vous obtenez une belle musique et créez des choses nouvelles.
Vous êtes nés dans une famille de musiciens, votre papa est batteur et votre maman chanteuse, c’est un peu la musique qui vous a choisi et non l’inverse ?
Oui, tout à fait, je n’imagine pas que j’aurais pu faire autre chose, on est un pays de musique, Cuba est d’ailleurs une usine de musique, vous pouvez y trouver n’importe quel genre de musiciens, on a une formation classique, on a le rythme et surtout l’héritage de la musique africaine, d’Europe, et c’est ce mélange qui fait qu’on a de bons musiciens.
Votre maman vous a beaucoup influencé ?
Oui, et comme elle me chantait de belles mélodies, je suis devenu un musicien mélodique, et donc ma musique est mélodieuse, pleine de passion. Je n’accorde pas beaucoup d’importance au spectacle, le plus important c’est le partage avec les autres.
Quand avez-vous su que vous vouliez en faire une carrière ?
Au début, j’étais un élève difficile, je n’écoutais pas beaucoup de musique, vous savez, c’est très difficile de devenir un musicien, surtout quand vous avez 7 ans, vous ne pensez qu’à vous amuser ! J’ai commencé à jouer quand j’avais 8 ans, et pendant que mes amis jouaient au base-ball et au foot, moi, je faisais de la musique. J’ai fait souffrir ma famille, mais quand j’ai réalisé que la musique pouvait nourrir mon âme, et qu’à travers elle, je pouvais exprimer mes sentiments, j’ai décidé d’en faire ma carrière. J’avais à l’époque 11 ans, je jouais de la batterie à l’école de musique classique, puis j’ai commencé à jouer du piano, mais comme mon 1er groupe jouait de la batterie, j’ai continué à en jouer un peu, parce que j’adorais le rythme.
C’est ce qui a justement influencé votre façon rythmique de jouer du piano ?
Oui, c’est sûr, je ne joue plus à la batterie, parce que j’ai besoin de beaucoup de temps pour jouer au piano, j’aime aussi composer, faire des arrangements,…
C’est facile pour vous de mixer la musique afro-cubaine avec le jazz ?
Oui, parce que j’ai grandi avec cela, avec toutes ces influences, le matin, je peux écouter du Boléro, puis des heures plus tard du rock, puis du jazz, du funk…tout ce mélange dans ma tête, c’est naturel pour moi.
Vous aimez particulièrement le Boléro. Pourquoi ?
J’adore le Boléro parce que c’est profond, passionnel, simple, et c’est aussi très difficile d’en jouer pour toucher les gens.
Votre cherchez à moderniser la musique traditionnelle et la rendre plus attractive pour les jeunes ?
Il ne s’agit pas de la rendre plus moderne, j’essaie d’utiliser tous les langages, parce que les jeunes sont souvent sceptiques et la considère comme de la vieille musique ; vous avez donc besoin de parler leur propre langage. Si vous pouvez suscitez leur intérêt pour la musique traditionnelle, mais avec des chansons nouvelles, c’est une très bonne chose. Donc, on maintient le traditionnel vivant en usant de leur langage.
Pour créer des choses nouvelles, il faut prendre des risques et ne pas se soucier des erreurs
Quels genres d’artistes vous inspirent ?
Miles Davis c’est le plus grand, parce qu’il avait sa propre voix, son propre style, c’est important. Il jouait du blues, du swing, du funk,… avec 3 notes seulement, les gens pouvaient reconnaître que c’était lui qui jouait. Mon rêve est d’avoir mon propre style, ma propre touche. J’essaie de garder tout simple, c’est ce qu’il a fait lui aussi, et c’est la chose la plus dur.
Votre expérience avec Herbie Hancock ?
C’est un musicien génial, il est un des meilleurs artistes dans l’histoire de la musique. C’est un de mes idoles parce qu’il prend beaucoup de risques, il fait beaucoup de recherches pour crée de nouvelles chansons et essaie de garder la musique fraîche. Il ne fait pas juste le jazz, il joue du funky,…c’est un homme très ouvert d’esprit. D’ailleurs, si vous ne prenez pas de risques, en tant que musicien, vous ne saurez jamais jusqu’où vous pouvez aller !
Vos projets ?
J’ai des projets avec des DJs, des artistes africains, des musiciens de boléros…j’aimerais aussi enregistrer un album avec Fatoumata Diawara en studio, en plus de l’album live qu’on a réalisé en tournée.
via Abdo El Rhazi Roberto Fonseca « C’est très compliqué de jouer simple ! »
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