Depuis 1945, c’est la première fois que l’extrême droite fait son entrée, et en force, au parlement allemand. C’est d’autant plus inquiétant que l’AFD, le parti concerné, n’a été créé qu’en 2013 et qu’il n’était pas pris au sérieux, il y a encore deux ans. Les observateurs pensaient, qu’au regard de son histoire nazie, l’Allemagne était vaccinée contre ce courant populiste qui se développe partout en Europe. La digue n’a pas tenu cette fois. Le phénomène migratoire y est sûrement pour beaucoup, mais on ne peut pas en faire l’unique cause de cette poussée nationaliste. Le fait d’accueillir un million de réfugiés a pu attiser les peurs, malgré la réalité du vieillissement de la population et l’opportunité d’une main-d’œuvre qualifiée, il ne faut pas l’oublier, et à bas prix qui plus est.
L’économie allemande se porte bien au niveau des indicateurs, mais recèle des fragilités immenses. Près d’un Allemand sur cinq, 17% exactement, sont considérés comme pauvres ou précaires, alors que le chômage est au plus bas. Quand on regarde les résultats à la loupe, ce sont les leaders les plus pauvres qui ont le plus massivement voté pour l’AFD. L’extrême droite a dépassé les 20% dans la circonscription d’Angela Merkel. Les habitants de l’ex-Allemagne de l’Est, en plus d’être les plus pauvres, n’ont pas été « travaillés » durant des décennies par l’idéologie de la culpabilité par rapport à la seconde guerre mondiale. Ils se sentaient plus les héritiers de l’armée rouge que de la Wehrmacht. C’est un point culturel à ne pas dédaigner. L’accessibilité des idées fascisantes y est beaucoup plus grande.
Cette percée de l’AFD est aussi liée à la trop longue alliance gauche-droite, consensus qui ouvre un boulevard aux extrêmes pour exprimer les mécontentements, et c’est ce qui, visiblement, s’est passé, après une alliance de 8 ans, qui a étouffé le SPD et fragilisé Merkel. Dans la nouvelle configuration, la chancelière devra construire une coalition avec les libéraux eurosceptiques et les Verts. Malgré la culture du compromis de la classe politique allemande, ce n’est pas acquis sur le plan programmatique.
Enfin, quid de l’Europe ? Les rêves du président français d’un budget de la zone euro s’envolent. Les libéraux allemands ne veulent pas en entendre parler. Or, l’Europe est un élément central dans l’alimentation des courants régressifs. Tous les populistes considèrent qu’elle est contre les nations, contre la souveraineté des peuples et est source de la pauvreté des plus démunis. Cette situation de milieu du gué, avec une monnaie unique sans harmonisation fiscale ni sociale, craque de partout. Les prochaines élections européennes risquent de nous réserver des surprisses. La pression migratoire ne va pas diminuer, le terrorisme reste un risque permanent et les politiques publiques créent plus de précarité. C’est pour cela que les extrêmes progressent. Maintenant que même l’Allemagne est concernée, c’est peut-être le moment de chercher des réponses aux peurs qui portent les discours fascisants. Personne ne peut plus considérer qu’il s’agit juste de phénomène passager.
via Abdo El Rhazi L’Allemagne face aux vieux démons
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