L’épreuve du confinement a révélé le meilleur comme le pire de la nature humaine. Sur les réseaux sociaux, une autre forme de violence… à distance est en train de détruire la vie de jeunes filles, à coups de publications et de photos compromettantes.
Par Hayat Kamal Idrissi
L’affaire a commencé au début du mois de ramadan. Des pages et des comptes sur les réseaux sociaux, spécialement Whatsapp et Instagram, bombardaient les fils d’actualité par des photos et des vidéos à contenu sexuellement explicite. Les protagonistes ? « Des jeunes femmes et des filles pour la plupart de Rabat, dont l’âge de certaines ne dépasse pas les 14 ou 15 ans. Une attitude franchement revancharde dont l’objectif principal est de nuire à l’image de ces filles tout en sapant leur réputation », nous explique Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC).
Souffrance silencieuse
Ayant pris connaissance de cette affaire via certaines activistes, l’association s’en est accaparée aussitôt en offrant les services de son centre d’écoute pour femmes violentées. « Elles étaient désemparées, se sentaient perdues, isolées, pétrifiées par la peur des éventuelles représailles de la part de leurs familles. Elles subissaient ce calvaire en silence », rajoute l’activiste.
Derrière cette souffrance, se cachent des coupables anonymes qui créent chaque jour de nouveaux comptes pour attaquer, en toute sécurité, et sans se compromettre pour autant. D’après Abdou, ce sont pour la plupart des ex-copains, des ex-amants oisifs, qui pendant le confinement, se sont découvert des occupations sadiques. « En possession de photos et de vidéos intimes de leurs petites amies, échangées auparavant, ou même se servant sur les comptes personnels de leurs victimes, ces agresseurs n’ont pas hésité à les poster sur ces pages aux noms sacrément péjoratifs (tels « les putes de l’Agdal »). Pire encore, ils les publient en indiquant même le nom et le numéro de téléphone de la victime dans une invitation explicite à l’harcèlement », s’insurge-t-on à ATEC. Revenge-Porn, flaming, slut-shaming, doxing et sextorsion… les agresseurs ne manquent pas d’imagination. « Ils n’ont épargné aucun moyen dépravé pour détruire leurs victimes et assouvir leurs désirs pathologiques de domination et de contrôle », décrit-on à l’ATEC.
Agression à répétition
Des attaques frontales et sans pitié qui ont plongé de nombreuse victimes dans la panique et la dépression, comme nous le confirme Soukaina Zerradi, psychologue clinicienne, opérant auprès des victimes de violence numérique au centre d’écoute de l’ATEC. « Ce qui caractérise la violence numérique, c’est son aspect publique. La victime est doublement atteinte. Elle subie l’agression devant des centaines voire de milliers de « spectateurs ». C’est une atteinte à son intégrité qui se prolonge dans le temps et dans l’espace », explique la clinicienne.
Une agression qui est revécue à répétition et à chaque fois que les photos ou les vidéos sont visionnées par des internautes « voyeuristes ». « Le problème avec la violence numérique c’est son aspect « infini ». Les vidéos et les photos relatant l’acte peuvent être téléchargées, conservées et repartagées. Impossible de s’en débarrasser définitivement et c’est là le côté profondément destructif de ce type de violence surtout pour des victimes aussi jeunes et aussi vulnérables », regrette Bouchra Abdou.
Des propos confirmés par la psychologue qui est en contact direct avec la détresse des victimes et n’en connait que trop l’impact de telles épreuves sur leur santé psychique. « La plupart souffrent actuellement de crise de panique, vivent dans l’angoisse, développent des troubles psychiques allant de l’insomnie à la perte d’appétit en passant par l’isolement et les palpitations. Des symptômes qui peuvent aboutir à de véritables pathologies. Elles peuvent facilement sombrer dans la dépression, si ce n’est déjà le cas pour certaines », énumère la spécialiste. Mais ce n’est pas tout ! Profondément tourmentées, la plupart ont eu des idées suicidaires à un certain moment et sont même passées à l’acte. « La mort devient une issue assez pratique à cet enfer », dévoile Zerradi.
Victimes et coupables
Pire que la détresse d’être agressée sauvagement, d’être offertes malsainement aux commérages sur les réseaux sociaux, ces jeunes filles doivent affronter leur propre esprit. D’après la psychologue, les victimes de la violence numérique doivent surmonter, au préalable, un douloureux dilemme : Elles se considèrent comme coupables. « Elles ne se représentent pas comme étant des victimes. Tout au contraire, elles s’auto-incriminent et trouvent qu’elles sont coupables et responsables de ce qu’il leur arrive. Ce sentiment de honte de soi est encore plus accentué lorsqu’il s’agit d’affronter le regard stigmatisant des autres : La famille, les voisins, la société en général », analyse la psychologue.
Un frein psychique puissant qui empêche d’ailleurs la plupart des victimes d’aller dénoncer leurs agresseurs auprès de la police, comme nous l’affirme Bouchra Abdou. « Elles ont peur du scandale, de qu’on dira-t-on. Elles sont certaines que tout le monde va les considérer comme des filles faciles, des coupables qui ont creusé elles mêmes leur tombe », explique, avec regret, la directrice d’ATEC.
Les prisonnières de la honte
Ne baissant nullement les bras, les activistes de Tahadi se disent prêts à se constituer partie civile et à porter plainte auprès de la police judiciaire. « Mais ça aurait pu être plus pesant si les victimes, directement touchées, décident de se défendre et de défendre leurs droits. Une loi est bien là, il faut juste l’activer en portant plainte !», s’insurge-t-elle. Même si la loi 103-13 relative à la violence contre les femmes prévoit de lourdes peines à l’encontre des agresseurs numériques, les victimes restent, quant à elles, prisonnières de la honte et de la peur du regard de l’autre.
Naima (pseudo), est l’une des bénéficiaires du centre d’écoute de Tahadi. Jeune femme active et assez indépendante, elle est victime depuis un moment de chantage numérique de la part d’un ex-copain. La menaçant de poster une vidéo « compromettante », il demandait au début 3000 dhs avant d’augmenter le montant pour réclamer 5000 dhs. Effarouchée, elle pense au suicide lorsqu’elle imagine la réaction de sa famille devant sa vidéo. Et pourtant elle ne pense pas aller déposer plainte. « Les victimes vivent dans un cercle vicieux de peur et d’angoisse. Rares sont celles qui arrivent à s’en sortir. Notre soutien et celui de l’entourage proche est primordiale pour leur survie à cette dure épreuve», ajoute Bouchra.
Une affaire qui se rajoute à d’autres et qui ne serait ni la première ni la dernière comme l’affirment les chiffres effarants d’une enquête menée par le Haut Commissariat au Plan concernant la cyber-violence. Ainsi elles sont près de 1,5 million de femmes au Maroc à en être des victimes au moyen de courriels électroniques, d’appels téléphoniques, de SMS… avec une prévalence de 14%. Ceci tout en prenant en considération le grand nombre de victimes qui n’arrivent pas ou renoncent à leur droit de dénoncer ce type d’agressions. «Seule une femme sur dix dépose plainte quand il s’agit de violence numérique », affirme auparavant la directrice de Tahadi. Par « violence numérique » on indique toute violence ou agression ou harcèlement via les réseaux sociaux, à travers les outils technologiques que ça soit par des appels, des SMS, des messages, des photos…
Bouleversant la vie des victimes, elle affecte leur sécurité psychique, morale, sociale, économique et sexuelle. Notons que les acteurs de la société civile multiplient les efforts de sensibilisation et d’accompagnement pour «mettre à profit», la loi 103-13 relative à la violence contre les femmes, fraichement mise en application. Car personne n’est à l’abri comme le confirme les différentes affaires éclatant ici et là ; tout en révélant le côté sombre de la révolution des moyens de communication et des réseaux sociaux, toutes catégories confondues.
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via Abdo El Rhazi Violence numérique. Les dessous d’une affaire sordide
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