Très peu étudié en Europe, le phénomène de radicalisation islamiste commence à intéresser les chercheurs. D’où des indicateurs édifiants concernant l’Espagne. A Madrid. Entretien réalisé par Barbara Casado
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Comment évolue le processus de radicalisation chez les jeunes en Espagne ?
Ignacio Alvarez Ossorio : Le processus de radicalisation en Espagne se déroule en particulier à Ceuta et Melilla. Il est concentré à 70% dans les mosquées où il y a des prêcheurs radicaux, même si ces derniers temps la radicalisation s’est intensifiée à travers les réseaux sociaux.
Quel est le profil type des jeunes radicalisés ?
Leur profil a beaucoup changé au fil du temps. Mais en général, ce sont des jeunes hommes, avec un niveau d’instruction très bas, qui sont souvent liés à la délinquance. Ils se radicalisent à une étape de leur vie où ils sont encore vulnérables, manquent de maturité et sont donc facilement influençables par des idéologies extrémistes.
Il faut savoir que 71,6% des terroristes islamistes en Espagne se radicalisent sur le territoire national, indépendamment de l’origine ou de la nationalité des individus concernés. Cependant, ceux qui ont été radicalisés en dehors de l’Espagne, l’ont été principalement en Algérie (39%) et au Pakistan (30%).
Quels sont les principaux lieux de radicalisation de ces jeunes?
Parmi les endroits les plus communs où ce processus de radicalisation se déroule, on peut citer les mosquées, les prisons et les lieux de rassemblement : cafés Internet, cabines téléphoniques, boucheries halal, gymnases, salons de thé, etc.
En chiffres, les prisons sont des lieux de radicalisation pour au moins 17,3% de djihadistes espagnols. Le fait de faire cohabiter des djihadistes avec d’autres prisonniers n’a pas favorisé la prévention de la radicalisation.
En outre, les petits magasins, les salons de coiffure, les magasins de prêt-à-porter, et d’alimentation, les restaurants et les centres d’appels, généralement situés dans le même quartier, sont aussi des zones de radicalisation et de recrutement particulièrement ciblés. Dans le quartier de Madrid de Lavapies, par exemple, entre la fin des années 90 et le début des années 2000, il y a eu une série de créations d’entreprises contrôlées par les djihadistes qui étaient capables d’initier ou d’intensifier la radicalisation et d’attirer de nombreux jeunes musulmans dans la région.
Par ailleurs, parmi les autres lieux où la radicalisation s’est développée, il y a le Centre culturel islamique, connu sous le nom de la mosquée M-30, la mosquée d’Abu Bakr également à Madrid ou encore la mosquée Tariq bin Ziyad à Barcelone.
Ces mosquées organisent souvent des excursions et des réunions de famille dans des espaces généralement éloignés de l’environnement urbain. Certains sites situés sur les rives de la rivière Alberche, non loin de Madrid, font partie des zones qui étaient souvent utilisées par Imad Eddin Barakat Yarkas, chef de la cellule d’Al-Qaïda en Espagne pour la radicalisation de ses disciples.
Du reste, au cours des dernières années, Internet et les réseaux sociaux deviennent des moyens très utilisés pour passer des messages extrémistes et promouvoir la radicalité et la violence.
Comment peut-on éviter cette radicalisation?
Il est important de prendre des mesures multidimensionnelles pour résoudre ce problème. L’action des forces de sécurité de l’Etat est indispensable, mais elle ne suffit pas. Nous devons promouvoir aussi un islam modéré, autre que celui exporté par l’Arabie saoudite. Dans ce sens, la vision du Roi du Maroc pour la promotion d’un islam tolérant est très pertinente, avec notamment une formation appropriée des imams. Une telle formation est un élément indispensable dans la lutte contre le radicalisme en Espagne et en Europe.
Dossier « De la délinquance à Daech » L’Observateur du Maroc et d’Afrique n° 349 du 08 au 14 avril 2016
via Abdo El Rhazi Entretien : Ignacio Alvarez Ossorio, Professeur des études arabes à l’université d’Alicante
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