Dans son nouveau spectacle, l’humoriste français d’origine algérienne pousse la satire jusqu’au fou rire. En tournant en dérision sa famille, ses amours et son éducation, le comédien use subtilement de l’humour pour dénoncer les clichés, égratigner les différences culturelles et pulvériser les amalgames sur les Arabes et l’islam, dans un monde en proie à la psychose et meurtri par le terrorisme.
L’année dernière, vous avez déclenché une standing ovation au palais Al Badii 5 mn après le début du spectacle. Comment avez-vous vécu cela ? Avec beaucoup d’émotion, cela dit, ça met la pression encore plus, parce qu’il faut confirmer après. En fait, je ne m’y attendais pas du tout, je voulais juste m’amuser et amuser le public, et tant mieux !
Ça vous a permis de vous lâcher après, d’avoir plus confiance en vous ? Non, je suis quelqu’un qui manque terriblement de confiance mais je crois que tous les artistes et humoristes trouvent un moyen de le dissimuler !
Vous étiez directeur des Ressources humaines. A quel moment vous avez décidé de tout plaquer pour faire de la scène ? J’ai toujours voulu faire du one man show, mais je n’avais pas les moyens de prendre des cours de théâtre, j’étais pauvre alors j’ai poursuivi mes études en commerce, puis, j’ai travaillé en entreprise. Un jour, j’ai passé une audition au théâtre et ça avait bien fonctionné, …Après 5 ans de théâtre, je suis passé au one man show, donc, c’est un cursus plutôt réfléchi.
Pourquoi vouloir faire du stand up ? Je pense que j’étais toujours le petit con au fond de la classe, et petit à petit, en grandissant, je regardais les sketchs de Jamel, de Gad, de tous les humoristes, je me suis dit « ça doit être un kif de vivre de ce métier car ils ont eu le plus grand luxe, celui de pouvoir vivre de ce qu’ils aimaient faire ». Avant je n’aimais pas faire ce que je faisais, ça me gavait cette vie de costume cravate, métro, boulot, dodo, …
Le fait de faire rire les autres, ça vous fait quoi ? Pour moi, c’est entièrement thérapeutique, en fait, le public est mon psy, c’est lui qui m’écoute, la seule différence, c’est que c’est lui qui paie.
Pourquoi avoir choisi comme titre « Foudil prend le pouvoir » ? C’est une métaphore de prendre le pouvoir sur soi-même. Ça parle de comment on affronte les obstacles de la vie et on prend le pouvoir au fur et à mesure.
C’est un spectacle plutôt autobiographique ? Oui, ça parle de moi, de ma vie de choses que j’ai observé. Des fois, ça peut être des thèmes qui ont déjà été visité par d’autres mais le fait de les présenter à travers mes yeux, ça les rend différents.
Est-ce que c’est un humour de cités, de banlieues ? Ce n’est pas du tout un humour de cités, je dirais que je suis l’arabe qui cache la forêt, comme l’évoque un peu 1er spectacle. L’idée c’est qu’à la fin de mon spectacle, les gens disent : « ça y est, je sais qui c’est ! ». C’est plutôt une façon de me présenter.
Vous traitez des sujets qui vous touchent personnellement ? Oui, ce sont souvent des sujets tristes que je tourne en dérision. Bedos avait dit une fois que ce sont les choses les plus tristes qui faisaient rire, c’est un peu ça, mais on rit de bon cœur. Quand je parle d’éducation occidentale et africaine, je raconte comment je prends des raclées, je le raconte d’une manière drôle mais en fait, c’est triste comme histoire. Lorsque je parle d’un sujet comme l’intégration en France, il faut le comprendre à double sens, quand je travaillais en entreprise, je voyais que la pratique de l’Islam faisait parfois peur, surtout quand on avait affaire à des ignorants… Un jour, je me suis rendu compte que les gens, en me voyant boire une petite coupe de champagne, ils me disaient « eh ben alors, t’es des nôtres » ! C’est juste incroyable, car ça veut dire que pour être accepté, il ne faut pas être musulman!
Est-ce que vous pensez qu’aujourd’hui, on peut rire de tout en France ? Honnêtement, non. Ceux qui disent le contraire, c’est généralement pour défendre l’idée de démocratie. Pour ma part, je ne prive pas de dire ce que j’ai envie de dire ; si j’aborde certains sujets difficiles tels que le terrorisme, ou Israël/Palestine, je sais que dans la salle, ni les musulmans ni les juifs ne seront blessés, ils vont sentir que je le dis avec le cœur et que c’est juste pour rire. Parfois, d’autres le font autrement et on sent que c’est de la méchanceté gratuite et ça ne passe pas ! Ceci étant, parfois, on est stoppé par une barrière invisible, mais qui existe. Vous savez, j’ai des vannes qui ne plaisent pas à tout le monde, mais elles sont dans mon spectacle, pas dans les sketchs de 10 mn qu’on retrouve sur internet. Sur scène, je peux me permettre de les faire pour que les gens se disent à la fin du spectacle « ah il a dit ça, c’était dur mais on comprend ». J’incarne plusieurs personnages, je joue ma mère qui rencontre ma femme française, je me mets dans la peau de mon père, puis celle de mon petit frère ; ensuite, pour l’éducation, je montre les différents pères de famille qui existent,… Ce soir, même si mon darija a besoin d’un contrôle technique, je vais essayer de faire un petit passage en arabe, parce que je me sens redevable de Marrakech. Et je veux que mon spectacle au Maroc soit unique et exclusif.
Quel a été votre sentiment lorsque Jamel Debbouze vous a choisi pour jouer au gala la 1ère fois à Marrakech? C’était énorme, parce que je devais venir pour jouer juste avec la troupe, et 2 jours avant, j’ai reçu un coup de fil de Jamel m’annonçant que j’allais faire le gala au palais Badii. Je n’y croyais pas mes oreilles, j’ai sauté de joie, c’était extraordinaire !
Comment gèrez-vous le stress sur scène ? Ce n’est pas facile, surtout que je suis quelqu’un d’angoissé, de stressé, et que je manque de confiance en moi. Mais dès qu’on entend le 1er rire, tout disparaît.
Comment vous vous préparez avant de rentrer sur scène ? J’ai toujours le trac, je m’entraîne comme un boxer, comme dans Rocky IV, moi, je prends la photo de Jamel, je la colle en face sur le miroir et je m’entraîne.
Qu’est ce qui fait qu’un spectacle réussit ? Il faut que les gens se rappellent de qui je suis. Mon spectacle, c’est une carte de visite. Moi, je me définis comme un fou, déjà dans Faudil, il y a Fou,… je suis quelqu’un qui a besoin de faire rire les autres, c’est un besoin viscéral. Des fois, quand je reste quelque temps sans monter sur scène, je ressens un manque, je suis un vrai drogué de la scène !
via Abdo El Rhazi Foudil Kaibou : « Je suis l’arabe qui cache la forêt »
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