Wednesday, July 25, 2018

Fatoumata Diawara

Elle joue de la guitare

C’est une excellente comédienne, fait partie de ces artistes qui ont vraiment forgé leur art sur la route, à la rencontre de ses aînés, notamment Salif Keita, … et quand elle s’est sentie prête à occuper la scène, il a sorti son album il y a plus de 5 ans.

Elle vient d’une société où la musique n’est pas gratuite, la musique est témoin de faits sociaux, raconte la légende, la musique est témoin de la mémoire des peuples et cette musique doit être un outil de prise de conscience pour la problématique humaine, c’est pour cela que Fatoumata a choisi de privilégier dans sa musique et ses compositions, les problématiques particulières de l’Afrique, liées à des pratiques rétrogrades comme l’excision au mariage force et à la condition de la femme.

Les tabous que vous cassez, il y a une sorte de géométrie musicale de la tradition des Gnaoua qui est très particulière, on ne voyait pas de femmes sur scène jusqu’à il y a très peu de temps, mais on sait très bien, que la partie thérapeutique était en grande partie prise en charge par les femmes parce que la manière le déterminer l’organisation de la Lila, la nuit thérapeutique, …ça c’était le rôle des femmes.

C’est la première fois que vous jouez à Essaouira. Quel est votre sentiment ?

Je suis très ravie d’être là, et honnêtement, j’en fais pas mal de festivals mais celui-ci me touche beaucoup parce qu’il est très humain. Et le fait qu’il soit basé sur une musique aussi mystique et ancestrale me touche particulièrement parce que ça renvoie tout à sa juste valeur. Moi, je suis pour la tradition et l’Africanité, pour la femme et tout ce que l’Afrique peut valoriser pour continuer à s’introduire au reste du monde. A travers ce festival, on montre qu’on peut être à la fois authentique et ouvert au reste du monde. On garde nos traditions et on n’est pas obligés de tout abandonner pour plaire aux autres, … les couleurs dans la média, c’est juste incroyable, ça te nourrit, tu sens que t’as voyagé, que tu es dans un monde convivial, de paix, de spiritualité, d’Africanité et de générosité. J’adore ce festival !

Vous allez faire une fusion avec Asmaa Hamzaoui. Que pensez-vous du rôle de la femme dans la musique Gnaoua ? Espérez-vous un changement pour l’avenir ?

C’est très important pour moi de jouer avec Asmaa parce qu’elle est en train d’accomplir quelque chose qui n’a jamais quasiment existé. C’est la première femme chanteuse du chant Gnaoua, elle va représenter tout le continent africain et spécialement l’Afrique de l’Ouest où on retrouve l’équivalent du gembri -au Mali, on a 7 générations de n’goni, c’est un instrument très présent chez nous et très important en Mauritanie aussi-. Toute la musique maure était basée sur ça, maintenant, la guitare électrique l’a un peu remplacé. Le fait qu’Asmaa joue du gembri, c’est un message très fort pour la jeunesse, c’est le début de l’ouverture, de l’évolution, du développement de la musique et ça va certainement changer la place de la femme dans la musique. C’est un honneur pour moi de pouvoir tirer une petite sœur et lui dire « on y va, on va y arriver et je suis avec toi ».

Deux voix féminines sur scène avec une complicité et une connexion vocale ?

Oui, il y a beaucoup de choses qui nous lient. Il y a déjà la motivation de pouvoir jouer ensemble, moi qui essaie de m’imposer en tant que femme solo sur scène avec ma guitare électrique, de faire du solo blues, c’est presque du jamais vu sur le continent africain, c’est totalement nouveau pour la jeunesse malienne. Asmaa et moi, on a un point en commun, cette complicité c’est notre volonté de faire quelque chose qui n’a pas encore existé, elle joue d’un instrument traditionnel, quasiment interdit aux femmes, au Mali, la femme n’a pas le droit de toucher les instruments ancestraux (le djeli n’goni, la Kora,…) quand elle a ses menstruations ! De plus, je salue la mère d’Asmaa de l’avoir laissé affranchir cette porte. Moi, j’ai dû me batte pour trouver ma façon de jouer et j’ai appris toute seule à manier la guitare, d’ailleurs, quand je fais des solos, je suis fière de moi. Le fait que Asmaa soit soutenue par ses parents est une bonne chose, ils peuvent montrer l’exemple à d’autres parents pour faciliter la vie aux femmes, qu’elles soient épanouies artistiquement parlant, et composer ce qu’elles veulent ; parce que la femme a des messages à transmettre à travers la musique, l’homme ne pourra pas faire ce travail pour elle. On a besoin de femmes libres dans nos sociétés traditionnelles.

A travers sa vie, je sens une autre vibration, une énergie quand elle chante les chants Gnaoua, il y a quelque chose de nouveau pour moi, …dans sa spiritualité…je sens qu’on est complémentaires, on a besoin de femme Gnaoua.

Vous avez participé au Forum « Egalité et parité » en marge du festival sur le thème : Egalité, discrimination et parité.

Oui, c’était important pour moi d’intervenir dans ce forum et de parler des problèmes d’excision dans notre pays et de la difficulté de jouer d’un instrument pour une femme au Mali, et de lever le voile sur cette terrible condition qui les interdit de toucher à un instrument musical lorsqu’elles ont leur période. Pour moi, les menstruations, ce n’est pas une faiblesse mais une force, la femme est doublement forte parce qu’elle peut à la fois donner la vie et être musicienne sur le même terrain que les hommes.

Les artistes qui vous ont influencé ?

Vous savez, en Afrique, il y a plus d’accompagnatrices que des femmes qui jouent à la guitare en solo ! Voulant être la voix des sans voix, je me considère comme une survivante parce que j’ai dû me battre pour chanter, c’est un métier très masculin. Je viens du Mali où la musique est très importante, j’ai dû m’enfuir un soir pour devenir ce que je suis, j’ai dit non à la tradition et je me suis enfuis en France. Mes influences, j’ai dû les inventer parce qu’il y avait l’envie de prouver à ma famille et à la société malienne qu’une fille peut réussir dans le monde de la musique, qu’elle peut avoir son propre langage malgré les barrières , qu’elle peut affronter ce monde masculin et pouvoir s’imposer dans ce milieu sans coucher avec qui que ce soit. J’ai toujours essayé de suivre cette génération qui utilisait la musique comme la politique. En 2012, lors de la crise au Mali, je suis retournée au pays, j’ai rassemblé tous les artistes maliens -les ainés-, pour utiliser la musique comme la voix du président, vu qu’il n’y en avait pas un à cause du coup d’Etat. On allait droit vers un génocide entre le nord et le sud ; on a fait une chanson et ça a marché, pour sauver toute une génération qui pouvait se retrouver dans une barbarie, on allait s’entretuer alors que nous sommes tous frères et sœurs. Donc, mon exemple, je l’invente. Certes, il y a ces mamans qui ont été chanteuses mais pour le côté guitare, je suis obligée d’aller fouiller un peu dans les classiques américains, même si je chante en Bambara. La femme ne doit pas être toujours derrière l’homme, elle peut aussi être son égal sur scène.

Dans votre dernier album, le titre « Nterini » (mon amour) décrit la souffrance des migrants. C’est un thème qui vous tient à cœur ?

L’immigration est un phénomène très spécial en Afrique. J’ai essayé d’écrire cette chanson en faisant des images, comme si je me battais inconsciemment avec moi-même. En tant qu’africaine, je suis fière de mes frères migrants. Ce qui me révolte c’est qu’on parle de tout sauf de leur courage ! J’essaie néanmoins de voir la positivité dans chaque chose et je ris de tout,… Donc, les sourires et les pleurs sont mélangés pour moi, c’est mon Blues. « Nterini » est mon Blues, je parle de mes malheurs mais en même temps, je transforme l’image de l’Afrique et de cette jeunesse qu’on montre…Ce sont des gens à qui  on a refusé le visa pour aller explorer le monde, alors que le monde s’est bâti avec l’exploration, l’Occident est allé explorer le monde pour se construire. Il faut qu’on donne aussi cette opportunité à la jeunesse africaine, ce ne sont pas de pauvres types, il ne faut pas qu’ils perdent leur dignité, parce qu’ils passent par la mer. Avant de devenir un clandestin, il a une mère, et une histoire d’amour comme celle que je raconte. Je chante la voix de la copine d’un immigré qui est parti un matin, …c’est de voir les choses d’une autre manière, je ne veux pas que mes frères perdent leur dignité, parce qu’ils vont sur la mer, ils sont comme tout le monde, ce sont des êtres humains, ils ont une histoire, ils viennent de quelque part et l’Afrique n’est plus misérabiliste comme avant, il y a la guerre dans certains endroits mais pas partout. Il y a tellement des choses positives qui ne sont pas valorisées, du coup, je me sens d’être l’ambassadrice, de montrer le côté magnifique de l’Afrique, de dire : ces jeunes sont dignes, ce ne sont pas de pauvres types, il ne faut plus qu’on pleure de l’Afrique, cette jeunesse n’a plus besoin d’être paterné ou materné, en tout cas, moi, je n’en ai pas besoin, quand je suis en Europe, je suis en égalité avec les musiciens avec lesquels je travaille, les Américains …on ne me voit pas comme une chanteuse malienne à qui on va rendre service, au contraire, on respecte mon blues, ma musique, et je veux que ça soit égal pour mes frères qui décident d’aller en Occident.

C’est une chanson qui veut dire beaucoup pour moi même si ça parait naïf, même si je la chante avec beaucoup de douceur. C’est cela la féminité, la femme peut être à la fois forte et très douce.

Que pensez-vous de la politique d’immigration de Trump ?

Ça, c’est juste catastrophique, j’en ai pleuré ce matin. Lorsque je suis tombée sur l’image de cet enfant en prison sur Facebook, j’ai fondu en larmes. Vous savez, nous les artistes, on tient sur un fil, on est des survivants. Un artiste arrive à se faire entendre que s’il a vécu des choses dures, c’est sa douleur qu’il transforme et qu’il chante, mais à un moment, il arrête de pleurer et décide de s’en sortir, donc il chante et il crée son Blues, il chante ce qu’il doit pleurer ! Donc, des images comme ça, ça va à l’encontre de ce que nous voulons être, on veut trouver du bon dans tout pour pouvoir exister, survivre. Et quand tu vois un enfant tomber devant toi, tu commences à douter du rôle des artistes et te dire s’ils vont y arriver ? Nous sommes l’opposé de la guerre, on croit à l’amour, on se dit qu’avec l’amour, on peut tout changer, on y croit aveuglement.

C’est pour cela que vous vous êtes associée à Mathieu Chedid pour « Lamomali » et qu’il co-produit votre dernier album « Fenfo » ?

Oui, Mathieu a chanté la solidarité dans 7 pays, il a investi son propre argent pour chanter haut et fort la solidarité, c’est un enfant du monde qui se bat contre l’obscurantisme qui menace la jeunesse. Trump nous fait peur mais en tant qu’artistes, on va se battre pour faire véhiculer les messages de paix, de solidarité, et d’amour dans le monde entier. Vous savez, on est l’opposé des politiciens, on fait les choses avec le cœur, on est humains, un artiste ne fait pas la différence entre lui et son public, un moment, il fusionne avec les gens en face de lui, donc, il n’a pas la barrière de nationalité, de couleur, de peau ou d’âge !

Pourquoi privilégiez-vous la musique au détriment du cinéma et du théâtre ?

Je viens de faire un film avec Omar Sy, mais il n’y a pas beaucoup de rôles pour les femmes noires, il y a tellement de place féminine à prendre dans l’industrie de la musique. Dans les 7 dernières années, j’étais quasiment la seule fille, avec Angélique Kidjo, à représenter la femme et le continent africain sur scène dans le monde entier. Les gens ont besoin de voir la femme sur scène, car elle a son propre discours, ses sujets à défendre.

2 semaines de tournage au Sénégal, le film sort en janvier, « Yao », et je ne fais des films que sur commande, je ne fais plus d’audition parce que je refuse qu’on me juge, je peux jouer n’importe quel rôle, sans aucune prétention.

Parlez-nous un peu de votre collaboration avec Hindi Zahra ?

Hindi et moi sommes sur la même longueur d’onde. Au Mali, la majorité est maure, une partie est foncée de peau et l’autre est plus claire donc, il y a eu une confusion et trop d’amalgame avec la crise en 2012. Avec Zahra, on voulait dire : « nous sommes les mêmes, donnons-nous la main et l’ennemi n’est pas celui que tu crois, ce n’est pas ton frère, ni ta sœur ». Quand on a joué à Bamako, les gens étaient très émus de voir deux femmes chanter pour l’unification du nord et du sud du Mali.

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via Abdo El Rhazi Fatoumata Diawara

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