Thursday, December 6, 2018

Naïm Kamal

Elles ou ils. Ils ont 25 – 30 ans. En tout une vingtaine, histoire de faire un test plus ou moins significatif. Je dois dire que bien avant d’entreprendre mon semblant d’enquête, j’étais certain du résultat, sachant d’emblée que personne n’oserait le contester tellement il est évident. Une vingtaine donc. Je leur pose la question, séparément bien sûr, au gré des rencontres : « Qui est Abdeslam Amer ? » Moues, grimaces, écarquillements
des yeux, haussements d’épaules. S’en suivent les mêmes silences ou les idem réponses : « Je ne sais pas ».
Un quinqua qui a encore quelques réminiscences le confond avec Abdelhakim du même nom, maréchal d’Egypte, compagnon de Nasser, officier libre, artisan avec le Gamal panarabiste de la défaite des armées arabes face à Israël en juin 1967. Il a fini suicidé dans une geôle pour trahison. Notre Abdeslam Amer, le Marocain, est lui aussi nassiriste à sa façon, dans les strapontins
des admirateurs qui auraient aimé à cette époque que chaque pays arabe possédasse son Jamal Abdennasser. Dieu n’a pas exaucé leur vœux et Dieu merci. PS avant terme : le posséder au subjonctif c’est juste pour plaisanter.
Il est mort jeune l’artiste. Abdeslam Amer est décédé en 1979, dans la solitude d’une chambre d’hôpital à Rabat. Il avait 40 ans. Quarante ans auparavant, il naissait à Ksar Kbir. La cécité, parce qu’il était aveugle, le rattrapera un peu plus tard, le trachome faisait encore des ravages parmi les enfants marocains. Pour rester dans l’artistique mélodramatique, on va dire qu’à quelque chose tristesse et malheur sont bons. Que sa cécité qui a voilé le soleil à ses yeux,
lui a fait voir la Lune rouge, un poème de Abderrafi’ Jouahari, interprété par Abdelhadi Belkhayate, rendu impérissable par la sensibilité musicale et le talent du grand compositeur.
Ce n’est ni le centenaire de la naissance de Abdeslam Amer, ni ses noces d’or avec la mort, mais faut-il nécessairement un anniversaire pour parler de celui qui a inscrit dans les tables de la postérité Rahila ou encore Habibati. Pourtant, c’est un évènement qui a fait frémir en moi l’envie d’écrire sur ce personnage inclassable, parce que hors catégorie ; et indépassable, parce que jusqu’à l’heure sans égal. Un film biographique diffusé paradoxalement par Al Oula. Ce film où l’on suit des militaires occuper le siège de la radio, où l’on voit et entend Abdeslam Amer lire le communiqué du colonel Ababou et de ses jeunes mutins d’Ahermoummou qui ont tenté en 1971 le coup d’Etat de Skhirat, est plus proche du documentaire. L’œuvre, Al-qamar Al-ahmar, sortie en 2013, est de Hassan Benjelloun. Elle n’est pas, il faut le dire, d’une grande qualité cinématographique, plutôt une série de séquences linéaires faisant défiler par étapes la vie jusqu’à la lie du compositeur.
L’acteur, Abdelfattah Ngadi, lui-même non-voyant et prof de musique, campe le personnage à la perfection. Mais le reste,… le reste n’a pas d’importance dès lors qu’il fait revivre, avec le peu de moyens qu’avait le réalisateur, un artiste de rang mondial et une musique de standing classique international.
Impossible de suivre le film jusqu’à la montée du générique final s’il n’avait pour personnage cet artiste dont les fées du bonheur ont boudé le berceau. Derrière ses lunettes noires, il était lumineux Abdeslam Amer. Impossible alors, alors que le film passait la main aux programmes de la nuit, de ne pas succomber avant de se livrer à Morphée à une interrogation : Le CCM de Sarim Fassi Fihri trouvera-t-il en lui suffisamment d’intelligence pour financer une vraie production sur la vie, la mort et l’œuvre de Abdeslam Amer ?

 

Cet article est apparu en premier sur L'Observateur du Maroc & d'Afrique.



via Abdo El Rhazi

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