Découvert dans Kaboul Kitchen, la série culte de Canal + puis à travers une vidéo youtube «Game of tkalekh», et remarqué dans «Looking for Oum Kalthum» de Shirin Neshat, le comédien rbati qui chérit la scène depuis son plus jeune âge, fait un tabac avec son premier spectacle « Jeux de société ». Un one-man-show hilarant qui dépeint une subtile fresque sociale du Maroc d’aujourd’hui. Un humour intelligemment dosé et du classique parfaitement ficelé qui ne manquera pas de vous séduire !
Votre premier one-man-show « Jeux de société » a connu un franc succès en France et au Maroc. Comment avez-vous écrit ce spectacle ?
Je l’ai écrit dans l’introspection, tout seul. Alors que je venais de terminer mes études de Théâtre à Paris et je comptais rentrer m’installer au Maroc. Après 8 ans passés en France, j’avais l’énergie du retour, et donc, il y avait une volonté de bien faire et d’arriver à parler de ce qui était important pour moi. C’est un spectacle qui a découlé d’une véritable réflexion, celle de voir quelle était ma nécessité artistique ? Spontanément, j’ai commencé à écrire et tout ce que j’écrivais parlait du Maroc, parce que j’ai un lien très fort avec mon pays, même si j’ai vécu pas mal de temps à l’étranger, et donc ça s’est fait naturellement, comme une espèce de mouvement naturel.
Comment avez-vous choisi vos personnages ?
Ils découlent généralement des thématiques ; d’une certaine blessure sociale, d’un manque de cohésion. On dit généralement que l’artiste nourrit une espèce d’idéal et que tout ce qui se heurte à son idéal, il essaie d’en rire pour l’inclure dans son idéal ! Je rêve d’une société plus harmonieuse, plus poétique, donc spontanément, les thèmes qui sont arrivés sont le fossé socio-économique qu’il y a au Maroc, la fracture sociale, le rapport à la langue, la schizophrénie linguistique, la question de certaines mœurs qui restent parfois lourdes pour la jeunesse marocaine. C’était une volonté d’alléger certaines choses qui me semblaient être un peu lourde au niveau de la société.
C’est une façon pour vous de vous libérer quelque part ?
Oui et des fois c’était plus la volonté de traiter un thème, du coup, c’est le personnage qui se retrouve au service du thème. Par exemple, je parle à un moment de l’hermétisme d’une certaine partie de la bourgeoisie, donc le personnage est arrivé spontanément, et ensuite, je rentre dans le détail, je croque la psychologie du personnage, où est ce qu’il est ? Qui il est ? D’où il vient ? Où est ce qu’il va ? Ce qu’il veut ?
Comment on construit un personnage ?
Il y a toujours une espèce de dosage qui est très minutieux, il ne faut pas exagérer la caricature. Le caricaturiste grossit le trait mais il ne doit pas trop le grossir. J’aime bien que mes personnages aient cette espèce d’humanité, ce ne sont pas des marionnettes qu’on utilise et qu’on jette. Pour respecter un personnage, il faut lui créer une histoire, une vie, une direction, des habitudes, une humanité, un rêve… bien sûr, je moque le personnage dans ce qu’il peut avoir de grossier, de mécanique dans sa manière d’exister mais j’essaie de le repêcher et de lui rendre cette humanité.
Le « chauffeur de taxi » est un personnage que vous affectionnez particulièrement ?
Oui, j’aime bien ce personnage. Ce n’est pas « le chauffeur de taxi », mais « un chauffeur de taxi » et je refuse de faire l’amalgame et de dire que tous les chauffeurs de taxi sont comme le mien. Ce personnage est intéressant parce qu’il traverse la société, dans la mesure où il va dans les quartiers aisés et dans les quartiers populaires, et donc, c’est un observateur, c’est une espèce de baromètre qui nous permet de prendre le pouls de la société. Et même si je grossis le trait, il y a dans mon personnage une espèce de bon sens populaire. En fait, je trouve ce personnage très attachant et très touchant.
La mimique sur scène, c’est important pour vous ?
Oui, la forme est très importante. J’aime bien faire exister mes personnages par le corps, avant de leur donner la parole. Et d’ailleurs, même pour le public, c’est très intéressant parce que c’est une très bonne manière de capter leur attention. Dans le monde contemporain, on a tendance à parler trop vite, les gens ont peur des silences donc, ils cherchent souvent à les meubler. Moi, j’adore avoir sur scène des moments de silence et quand j’arrive à installer un silence qui a du sens, il y a quelque chose de palpable dans l’air qui se produit. Tout le monde comprend ce que je fais, il y a une forme de communion, une espèce de langage universel dans le silence qui peut être très beau et très poétique !
La difficulté sur scène pour un humoriste, c’est la transition d’une histoire à une autre. Comment faites-vous ?
C’est le rythme et la fluidité du spectacle, ce qui est important, mes personnages sont liés, déjà il y a du lien dans mon histoire, bien qu’on soit dans un Maroc éclaté et disparate, tous ces personnages que tout sépare finissent par se croiser, et c’est ça le Maroc, donc, moi, je le fais interagir, ils se croisent, ils ont des liens de filiation parentale, donc, ils se créent des liens, et ensuite, j’ai de la chance des gens qui travaillent avec moi dans le son et la lumière, c’est un merveilleux outil de transition pour accompagner et rythmer un spectacle.
Vous avez toujours voulu être un humoriste ?
Au fond de moi oui. Il y avait déjà une nature, une tendance à faire rire, après, il faudrait demander à un psychanalyste, dès l’enfance, il y avait ce truc qui arrivait, une manière d’exister, de rire, de faire rire. Je pense que j’ai un petit talent de l’observation, que j’ai travaillé au fur et à mesure, le peaufiner, le raffiner, j’ai toujours aimé faire rire depuis tout petit, j’aimais faire rire ma mère, mon père et ma famille, c’était un moment où j’étais le centre de l’attention et où je recevais beaucoup d’amour et j’aimais bien en recevoir et en donner.
Vous dites que vous êtes fier d’être un clown ?
Oui, je suis très fier d’être un clown et je le revendique. Ce que je dis sur scène, c’est une satire de la société, je ne suis pas un politicien, et d’ailleurs, ça serait malhonnête de dire que j’ai la clé pour changer les choses. Un clown a parfaitement sa place dans la société, d’ailleurs, la figure du clown existe depuis la nuit des temps dans le monde entier ! C’est un individu qui à un moment donné, dans une société, se permet de se moquer des masques et je pense qu’on a besoin de rire de certaines choses, l’humoriste est là pour rappeler cela avec bienveillance. Vous savez, la tradition du clown a été énormément galvaudée, avec tous ces clowns ambulants, alors que la véritable tradition des clowns est d’une noblesse incroyable. Les meilleurs spectacles que j’ai vus (comme Arletty…) sont des spectacles de clowns, c’est d’une poésie et d’une beauté incroyable, c’est magique !
Des humoristes qui vous aimez particulièrement ?
J’ai grandi avec Jim Carrey, ensuite, j’ai regardé beaucoup de films de Louis de Funès avec mon père. Les 1ers spectacles de Gad El Maleh, c’était une vraie claque pour moi, plusieurs de ses personnages et de ses sketchs sont restés dans l’inconscient collectif marocain, même s’il est très controversé ! Il y aussi Dieudonné …malheureusement, les artistes doivent à chaque fois se justifier ! On ne peut pas réduire une œuvre à des dérapages ! J’aime aussi Louis Ferdinant Céline qui a écrit « Le voyage au bout de la nuit » et qui a lui-même eu des dérapages littéraires. Il y a Alex Lutz qui a eu le Molière de l’humour et qui interprète des personnages à merveilles. J’ai également grandi avec Elie Kakou et son personnage Mme Serfati qui me faisait tordre de rire avec ma mère. En fait, je suis une éponge qui absorbe tout.
Des projets ?
Je me vois bien repartir en moi pour essayer de trouver des sujets et parler de choses qui sont belles. Donc, pour l’avenir, je ne sais pas encore la forme que ça prendra mais j’essaie de nourrir un désir de continuer à me battre pour le beau quelque soit la forme qu’il prendra. J’aime le beau, au Théâtre, au Cinéma, j’ai plein d’idées mais j’ai besoin de me retrouver pour écrire, parce que là ça me prend pas mal de temps et j’espère que je ferais des projets pour le théâtre et le cinéma.
Accroche
Je moque le personnage dans ce qu’il peut avoir de grossier, mais j’essaie de le repêcher pour lui rendre son humanité.
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via Abdo El Rhazi Jalil Tijani : Le clown en quête de sens et de poésie !
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