Réputée pour ses reprises des standards du patrimoine chaâbi judéo-marocain (Hak A Mama, Mouhal Nensah et Muima), l’auteure compositrice et interprète israélienne d’origine berbéro-marocaine Neta ElKayam nous parle d’« Arénas ». Un nouvel opus produit par son mari Amit Hai Cohen et basé sur les archives musicales du Grand Arénas de Marseille, le camp de transit des émigrants juifs en partance pour Israël dans les années 50 et 60.
Entretien réalisé par Kawtar Firdaous
Deux mois après la sortie de son EP composé de reprises de trois morceaux traditionnels du patrimoine judéo-marocain, l’artiste israélienne d’origine marocaine revient avec un nouvel EP « Arénas » où elle explore à nouveau ses racines en dépoussiérant de vieilles chansons des femmes juives des montagnes de l’Atlas, ayant transité par le camp français du Grand Arénas de Marseille.
L’artiste qui assume pleinement sa double identité juive et marocaine et qu’on a pu découvrir dans le dernier documentaire de Kamal Hachkar « Dans tes yeux, je vois mon pays », a réussi depuis des années déjà à conquérir un public international en prêtant sa voix à la musique orientale d’Afrique de Nord. Grande habituée du Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira, Neta Elkayam fait vibrer l’axe Jérusalem-Casablanca en se produisant sur les scènes les plus prestigieuses, entourée de différents orchestres et musiciens de haut-vol. Elle a reçu de nombreux prix, notamment le prix ACUM et le prix Sami Michael. Aussi elle a été nominée aux Ophir Oscars pour son rôle principal dans la comédie musicale ‘’Red Fields’’ (Mami), 2019.
Votre nouvel projet musical s’intitule « Arénas ». De quoi s’agit-il ?
« Arénas » est un nouvel EP (mini Album) basé sur des enregistrements d’archives réalisés dans le camp de transit du Grand Arénas à Marseille. C’est un projet qui s’inscrit dans ma quête d’explorer les trésors du passé juif marocain afin de les préserver.
Ce qui est puissant, c’est que « Arénas » était une escale pour tous les Juifs d’Afrique du Nord en route pour Israël, parmi lesquels tous les anciens Juifs amazighs des montagnes de l’Atlas. Ces derniers ignoraient que ce camp de transit des Arénas à Marseille était leur dernière station, et donc, la fin de leur culture millénaire.
Dans mes recherches, j’ai été très touchée par les morceaux de chansons de femmes des montagnes de l’Atlas. C’est une capture rare d’une culture perdue qui même au Maroc, était considérée à l’époque comme une sous-culture. Cette musique était autrefois chantée en chœur et comme les immigrants de ces régions étaient répartis au hasard à travers Israël, ils ne pouvaient pas la préserver.
Vous allez bientôt enregistrer un album ?
Oui, l’album sera en production avec Amit Hai Cohen. Je vais essayer de compléter les parties manquantes dans les chansons et de composer plus de morceaux dans le même style et dans le même esprit. Je vais également terminer un clip vidéo que j’ai commencé et en même temps lancé le projet « Arénas » dans le monde. Une manière pour moi de dépoussiérer et de perpétuer ce patrimoine musical « oublié », histoire que ces trésors continuent à vivre et retournent dans le cercle de la vie et de la culture de nous tous.
En tant qu’artiste juive d’origine berbéro-marocaine, que pensez-vous du rapprochement Maroc-Israël ?
Je suis très heureuse pour ce rapprochement. Désormais, il me sera plus facile de visiter le Maroc et renouer avec mes racines, et je souhaite aussi que tout le monde puisse être libre de renouer avec ses racines et profiter de ce sentiment. Je suis impatiente que mes amis marocains viennent nous rendre visite en Israël et je prie pour que le Maroc s’implique davantage dans le processus de paix et réussisse éventuellement à ramener la paix au Moyen-Orient. Je crois que notre histoire marocaine montre que nous pouvons mieux vivre ensemble, peu importe notre religion.
Qu’est-ce qu’un tel accord peut changer pour les artistes israéliens d’origine marocaine ou pas ?
L’avenir nous le dira… mais j’avoue que bien avant cet accord de paix, j’ai toujours été bien acceptée et je me suis senti chez moi au Maroc. En tant qu’artiste, j’ai eu beaucoup de réactions positives de la part du public marocain depuis que j’ai commencé mon parcours musical il y a quelques années déjà.
Vous êtes une habituée du Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira, un rendez-vous musical connu dans le monde pour les messages de tolérance, d’ouverture et de coexistence qu’il véhicule ? Que pensez-vous de l’exemple d’Essaouira dans le monde ?
Essaouira est l’endroit où mon arrière-grand-mère est enterrée. J’adore être là-bas et vivre notre histoire partagée et mixte… Je me souviendrai toujours de la première fois que je me produite au Maroc dans ce festival si doux et particulier. Un moment inoubliable qui change votre vie.
Vous êtes connue pour vos reprises des anciennes chansons du patrimoine judéo-marocaine (chaâbi…). Qu’est-ce qui vous plait dans ce genre musical ?
J’ai aimé le fait que cette musique n’était pas grand public en Israël. J’ai adoré les identités multiples des musiciens juifs qui ont vécu et travaillé au Maroc … Ils étaient culturellement plus riches que nous, les jeunes marocains en Israël. Je voulais donc intégrer ces « trésors musicaux » dans mon art, les fusionner avec des styles occidentaux qui sont aussi un une partie de moi, pour qu’ils puissent continuer à vivre dans notre culture contemporaine. Je voulais transformer la culture qui était exclue des livres d’histoire et d’art que j’ai étudiés à l’école, en une culture vivante !
Vous faites partie de la 2e génération d’immigrants marocains en Israël. Vous n’êtes pas née au Maroc, pourtant, vous parlez très bien le darija. Qui vous l’a appris et est-ce important pour vous de perpétuer vos traditions marocaines ?
Depuis que grand-mère est décédée, alors que j’avais 19 ans, je n’ai pratiquement pas parlé le darija marocain avec personne. Je pensais avoir tout oublié … Puis je suis venu en voyage au Maroc et j’ai réalisé que je me souvenais de beaucoup de choses. Quand je suis retournée en Israël, j’ai commencé à prendre des cours d’arabe à Jérusalem avec des professeurs locaux qui parlaient le dialecte « Qodsi » de Jérusalem. Pour ce qui est du dialecte marocain, j’ai dû l’apprendre par moi-même, avec l’aide d’amis marocains et français, et avec l’aide d’adultes juifs marocains qui vivent ici, et surtout, à travers la musique.
Comment les jeunes israéliens accueillent ce genre de musique en Israël ? parce que j’imagine qu’ils le méconnaissent et certains même le dénigrent !
Heureusement, les temps ont changé. Aujourd’hui, les jeunes ici sont ouverts à plus de styles de musique et beaucoup d’entre eux viennent avec les plus âgés. La plupart d’entre eux ne comprennent pas les paroles, mais ils mémorisent, apprécient les vibrations du spectacle et les arrangements, ce qui fait partie de mon objectif.
Est-ce que c’était facile pour vous d’imposer votre style musical en Israël ? Et pourquoi ?
Ce n’était pas facile, car en Israël, la musique marocaine est encore étiquetée de « musique conservatrice » et donc, soit elle est catégorisée dans le registre de la « tradition », soit elle fait partie de la Word Music « musique du monde ». Les langues étrangères autres que l’hébreu ou l’anglais sont à peine joué à la radio israélienne, ceci étant, le public (elcha3eb), est différent de l’establishment et du système ; il est beaucoup plus ouvert d’esprit et assiste à nos concerts et spectacles.
Dans un récent EP, vous revisitez trois morceaux « Hak a mama » de Zahra El Fassia, « Muhal Nensah » de Sliman Almagribi (Shlomo Ben Hamu) et « Muima » de Jasmine Almagribia, avec des mélodies modernes (Pop, Jazz, Electro…). Est-ce une manière pour vous de rendre ce genre musical accessible au plus grand nombre ?
Oui, principalement les jeunes ! Je crois que cette musique ancienne ne vient pas vraiment du passé. C’est une voix du futur !
Vous êtes également avec votre mari Amit Hai Cohen à l’affiche de « Dans tes yeux je vois mon pays » de Kamal Hachkar, un documentaire sur le retour au pays et la quête des racines, et du passé. Comment avez-vous vécu cette expérience, de retour sur la terre de vos aïeux ? Etes-vous toujours dans cette démarche de quête identitaire ?
Le documentaire de Kamel n’est que le début de la recherche de cette identité, le début de la route, et dans le film, on perçoit bien cette confusion et ce désir de renouer avec ses racines dans nos yeux. Le désir restera toujours mais aujourd’hui je me sens moins confuse, je sens que j’ai trouvé mon autre patrie et donc, je peux vivre sans renoncer à aucune de mes identités. Chaque fois que je pense avoir tout appris sur la culture marocaine, je découvre plus. Donc, la recherche et l’apprentissage sont toujours en cours, mais la confusion n’existe plus. J’ai réalisé que je n’avais plus besoin de choisir !
Vous avez été nominée aux Ophir Oscars pour votre rôle principal dans la comédie musicale ‘’Red Fields’’ (Mami) de Keren Yedaya, 2019. Pourquoi avoir choisi de participer à ce projet ?
Je voulais expérimenter un autre mode d’expression autre que la musique. Je ne pensais pas gagner une nomination pour l’Oscar israélien. J’apprécie aussi le cinéma féministe de Keren Yedia et la musique de Dudu Tessa et j’ai aimé leur interprétation du personnage et des chansons du film. Le scénario est anti-guerre et je m’y suis identifiée. Dans l’ensemble, c’est une des seules fois où j’ai chanté en hébreu, et je suis heureuse d’avoir participé à ce projet.
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via Abdo El Rhazi Neta ElKayam « La musique ancienne judéo-marocaine est la voix du futur »
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