Monday, September 28, 2015

Abdelkader Lagtaâ revient sur «La moitié du ciel» et annonce «Perte d’équilibre»

Abdelkader Lagtaâ lors du tournage de "La moitié du ciel".

Abdelkader Lagtaâ lors du tournage de « La moitié du ciel ».

Film poignant, «La moitié du ciel» raconte la souffrance des familles des victimes des années de plomb, à travers le regard de Jocelyne, l’épouse de l’écrivain Abdelatif Laâbi (détenu arbitrairement pendant 8 ans). Son réalisateur, Abdelkader Lagtaâ, a bien voulu répondre à diverses questions. Nous publions sur notre site cette première partie, très variée, de l’entretien. Une autre partie concernant uniquement le film est à lire dans la version imprimée de notre Magazine L’Observateur du Maroc et d’Afrique, à paraître le 2 octobre 2015.

Abdelkader_Lagtaâ2L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Pourquoi ce titre La moitié du ciel, qui semble tellement poétique alors qu’il s’agit dans le film d’une histoire tellement douloureuse ?

Abdelkader Lagtaâ : C’est un titre qui a été proposé par Abdelatif. En Chine, dans le temps, on appelait la femme, la moitié du ciel. C’était aussi ainsi que les membres de la nouvelle gauche des années 70 appelaient leurs femmes.

La propre fille de Laâbi, Qods, campe dans La moitié du ciel le rôle d’Yveline. Lui était-il facile de contenir ses émotions pour jouer l’histoire de sa propre famille ?

Sur le plan symbolique, c’était important pour moi pour que Qods Laâbi joue dans le film. Il n’était pas difficile pour elle de le faire. Elle n’est pas uniquement la fille de Jocelyne et Abdelatif, c’est une actrice et une bonne actrice. C’est pour cela que je l’ai choisie.

«La moitié du ciel» était-il un film facile à faire ?

Au contraire, c’était un calvaire, étant donné le nombre considérable d’acteurs et de figurants, la variété des décors et la diversité et la multiplicité des lieux de tournage, etc. En faisant ce film, j’ai perdu une dizaine de kilos que je n’ai pas pu récupérer jusqu’à présent. Le scénario a nécessité deux ans de travail et deux autres années étaient nécessaires pour réunir le financement. Ce n’est pas tout, la préparation proprement dite a duré 7 semaines et le tournage 7 autres, sans compter la post production. Le coût global de La moitié du ciel se situe autour de 11 millions de DH, ce qui donne une idée de l’ampleur du travail.

Qu’en est-il maintenant du retour sur investissement ?

(Il rit) On ne peut même parler de retour sur investissement puisque le marché n’existe pas au Maroc. Les spectateurs préfèrent acheter des DVD piratés à 5 DH et les salles sont en voie de disparition. Nous vivons d’ailleurs une situation un peu paradoxale dans le pays. Plus on fait de films, moins on a de salles. Résultat : Faire un film au Maroc ne rapporte pas grand chose.

La télévision ne joue pas non plus son rôle actuellement au profit des long-métrages. Pour La moitié du ciel, j’ai sollicité 2M sans recevoir de réponse. Maintenant, on est à la recherche en France d’un distributeur pour les cinémas de l’Hexagone. Mais la concurrence est rude, avec en plus ce phénomène de mode qui guide les choix à l’international.

Aujourd’hui, concernant les films du Sud, c’est le cinéma iranien qui est actuellement à la mode, avec le cinéma argentin. En revanche, le Maroc n’est pas encore suffisamment perçu comme un pays producteur de films, mais plutôt comme une destination touristique. Il y a encore des préjugés de ce genre qui ont la peau dure, malheureusement. En tout cas, j’ai plein de scénarios dans mes tiroirs. Mon seul problème c’est le financement. Donc si vous avez quelqu’un, je suis preneur.

Face à toutes les difficultés de votre métier, êtes-vous aujourd’hui encore ce poète que vous  étiez en partant, dès après votre bac, vers la Pologne ?

Le cinéma a pris une telle dimension dans ma vie qu’il m’a détourné de la poésie littéraire. Seulement voilà, depuis quelques années, je suis de nouveau revenu à la littérature. Actuellement, j’ai à mon actif trois romans dont le premier, intitulé Perte d’équilibre, vient d’être publié par une maison d’édition française plutôt alternative. J’ai déjà terminé deux autres romans. Je suis même en train de me documenter pour rédiger le quatrième. J’écris ce que j’ai envie d’écrire et en plus cela ne me coûte rien, contrairement au cinéma où chaque phrase du scénario a un coût sonnant et trébuchant. Je suis disposé à écrire tout le temps, cela me fait tellement plaisir et me comble de bonheur. Cela m’amuse beaucoup aussi. C’est vraiment extraordinaire !

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Lagtaâ et la censure

«On sait où on travaille. Au Maroc, il n’y a certes pas de censure officielle, mais une autre forme de censure qui est apparue ces derniers temps et qui prend de l’ampleur, c’est celle de l’opinion publique. Laquelle est parfois plus rigide que la censure officielle. Reconnaissons-le, cette dernière se libéralise de plus en plus. Mais elle reste tout de même présente et je la conteste. Je suis contre la censure. C’est pour cela qu’il y a quelques mois, à l’occasion de la censure du dernier film de Nabil Ayouch, j’avais émis des propositions, publiées dans Al Bayane, appelant à abolir la censure et à la remplacer par ce qu’on appelle en France la classification des films. Cela passe à travers une commission réunissant des professionnels ainsi qu’un représentant des associations des droits de l’homme, un sociologue, un psychologue et psychanalyste, un juriste… qui peut proposer, en cas de scènes de violence excessive par exemple, la coupure des scènes en question pour que le film puisse être projeté pour tous publics, sinon, elle le classifie comme étant interdit pour une certaine catégories des spectateurs, tel celle des -12 ans, par exemple, ou -16 ans, laissant ainsi le choix au producteur et au réalisateur du film de se déterminer.»

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Son prochain film

Abdelkader Lagtaâ va reprendre son bateau d’infatigable pèlerin pour trouver le financement d’un nouveau long-métrage qui, révèle-t-il, s’inscrit dans la même veine que La moitié du ciel, mais avec une histoire plus actuelle. Lui qui estime que l’aspect politique de la vie au Maroc est un peu négligé par le cinéma veut donc investir ce champ où il y a, à ses yeux, beaucoup de matières à exploiter.

La partie concernant uniquement La moitié du ciel est à lire dans la version imprimée de notre Magazine L’Observateur du Maroc et d’Afrique, à paraître le 2 octobre 2015.

 



via Abdo El Rhazi Abdelkader Lagtaâ revient sur «La moitié du ciel» et annonce «Perte d’équilibre»

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