Un tollé, encore un, a été provoqué par le harcèlement d’une jeune fille par plusieurs jeunes sur la corniche de Tanger. Un fait presque banal pour ceux qui ont une idée de la vie nocturne de la ville du détroit, ses mœurs, ses us et coutumes, ses vacanciers, ses jeunes, ses bars, ses boîtes et ses cabarets, ses snifes et ses joints. Ce qui n’empêche pas la Toile de s’enflammer comme un feu d’été et tout ce que compte le microcosme comme féministes, y compris votre serviteur plus suiveur qu’initiateur, d’exiger cette fois-ci une marche nationale. Trop c’est trop et il est grand temps de réagir fermement. Mais l’appel semble se perdre dans la torpeur estivale peu propice à la contestation et à la révolte. L’heure est au repos du «guerrier» qui n’a aucune envie de réduire son programme de vacances en plans sur la comète.
Il faut concéder que le monde a changé entraînant avec lui le changement de l’espace de la contestation et de la protestation. La rue reste un vecteur indépassable de l’expression du mécontentement. Mais la vaste Toile sans frontières est devenu un premier sas qui happe dans ses fils de soie viciée, et souvent corrompus, tous les murmures de la planète pour les colporter dans un mouvement amplificateur jusqu’au bout du monde. Une boule de neige grandeur Internet.
D’où la légitimité de l’interrogation : l’agression des filles d’Inezgane, les violences contre le travesti de Fès, le lynchage jusqu’à la mort du voleur de Midelt sont-ils des comportements si étranges et si étrangers à notre société ou des agissements récurrents grossis en gigabits par les réseaux sociaux prompts à leur insuffler une charge émotionnelle décuplée par le nombre des intervenants ? Une introspection honnête révèlerait au Maroc une société globalement misogyne portée par des attitudes machistes décomplexées. Mais cette phallocratie ne s’exprime pas partout de la même manière. Ses manifestations varient d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un quartier à l’autre. Dans cette géographie socioculturelle, Internet, qui n’est pas un outil démocratique mais égalitaire, a mis face-à-face les principales tendances de la société marocaine.
L’une, la plus agressive aujourd’hui, sans doute la plus nombreuse aussi, ancrée dans ses archaïsmes, enhardie par les vents régressifs qui soufflent sur le monde musulman, encouragée par la culture rétrograde ambiante, profite de l’avantage pour verser encore plus dans l’intimidation de la société. Elle est de plus en plus insolente, de plus en plus proéminente. L’autre qui se veut moderniste, mais n’en a pas toujours les positions et les pratiques conséquentes, résiste, seulement autant que faire se peut, et dégage un désarroi intellectuel désormais acquis.
Pendant que les conservatismes rongés par l’obscurantisme gagnent en confiance, passent à l’acte, la tendance moderniste, minée par le doute, se calfeutre dans l’univers virtuel et semble en perte de vitesse. Ses acteurs savent qu’en haut lieu la construction démocratique et moderniste est un fondamental des choix politiques faits pour le pays. Ils savent aussi que le pouvoir et les autorités qui en découlent sont de moins en moins insensibles à l’opinion publique, même si l’impact de celle-ci reste tributaire en grande partie d’un risque d’embrasement ou des résonnances de son action à l’extérieur. Il n’en reste pas moins qu’ils devinent également que le pouvoir n’est pas une unité compacte, mais est travaillé par ses propres tendances, ses propres conservatismes et un nécessaire pragmatisme aigu pour gérer les contradictions d’une société dont une bonne partie se cherche dans le passé.
Il y a dans cet état des choses de quoi calmer le trouble des modernistes. Mais leur désarroi qu’entretient un environnement régional et international plus que jamais incertain, reste palpable et explique, sans l’excuser, les craintes pour l’avenir et l’angoisse paralysante de cette frange de la société marocaine qui assiste pratiquement impuissante à la recomposition du champ politique national où des forces qui représentaient ses valeurs refuges s’égarent, c’est le cas du PPS, dans des alliances douteuses, ou sont entrées, c’est le cas de l’Istiqlal et de l’USFP, dans un lent processus de décomposition.
via Abdo El Rhazi Libre cours
No comments:
Post a Comment