Wednesday, September 16, 2015

Eduard Soler, spécialiste de la Méditerranée au sein de Barcelona Centre for International Affairs – CIDOB : «Le débat autour des ressources financières est trompeur»

Eduard Soler

Eduard Soler

Le chercheur espagnol Eduard Soler connaît bien la Méditerranée et les problèmes de la migration qui la caractérisent. Il nous livre son analyse de la crise des demandeurs d’asile en Europe.

L’Observateur du Maroc et de l’Afrique : Quelle est votre analyse de la crise migratoire qui secoue l’Europe aujourd’hui?

Eduard Soler : Je tiens à souligner que cette crise fait partie d’une crise beaucoup plus globale. Il ne s’agit pas seulement de masses de refugiés qui affluent vers l’Europe. Mais le monde entier fait face aujourd’hui à un important afflux de réfugiés dont la plupart viennent de pays touchés par des conflits. Le problème central est que nous sommes confrontés à une crise de sécurité, d’intensification de conflits dans des pays avoisinant l’Europe. C’est ce qui conduit à ces flux de réfugiés voulant rejoindre l’un ou l’autre pays européens. Tous les yeux sont rivés sur la Syrie, mais, faut-il le rappeler, les Syriens ne sont pas les seuls concernés.

Certains pays européens tentent de se dédouaner en déclarant que ce problème d’immigration ne concerne que l’Allemagne. Êtes-vous d’accord avec cette vision ?

En ce moment, il existe des positions contradictoires en Europe à ce sujet. C’est ce qui crée d’ailleurs une division entre les États membres. Nous avons ces Etats considérés comme portes d’entrée dont notamment la Grèce et l’Italie, d’autres pays sont dits de transit comme la Hongrie. Et enfin l’Allemagne, la Suède… sont des destinations finales. Ce sont les pays préférés des demandeurs d’asile. Parmi les sujets qui suscitent le plus d’inquiétude, il y a la question des quotas. La position allemande est fort louable dans ce contexte. Nous devons faire preuve de solidarité en fonction de la taille de chaque pays, bien que les pays de l’Est, l’Espagne et le Portugal maintiennent une position plus hostile. Néanmoins, l’Espagne est en train de changer sa position. En tout cas, la balance penche en faveur de l’Allemagne. Ce pays a une position de leader à plusieurs niveaux : sa démarche concernant l’accueil des réfugiés et ses efforts visant l’aboutissement à une politique commune d’asile au sein de l’UE sachant que le système de Dublin s’est révélé obsolète ces jours-ci.

Cette crise migratoire ne risque-t-elle pas justement de déclencher une crise politique en Europe qui est actuellement, comme vous venez de l’expliquer, divisée sur cette question ?

Ce sujet suscite évidemment une grande sensibilité en interne. C’est une question qui mobilise, bien entendu, l’opinion publique. Mais je ne pense pas que l’UE sera divisée par cette crise. Il y aura sans doute des pays qui prendront l’initiative d’élaborer une politique plus inclusive pour y répondre. L’Europe restera unie malgré tout.

Quel serait l’impact politique sur des pays comme l’Espagne, la France et l’Allemagne?

Je ne pense pas que cette crise aura un impact grave sur le plan politique dans ces pays. Il peut y avoir des tensions entre le gouvernement et l’opposition. Personne ne changera son vote à ce sujet. Les gouvernements centraux, en particulier en Espagne, sont en passe de développer une politique plus souple et plus généreuse envers les réfugiés. C’est ce que demandent les Espagnols. Bien que la démarche ne soit pas exactement aussi inclusive que ce que les Espagnols veulent, si vous la comparez à celle d’autres pays, vous verrez que la position espagnole semble être plus positive.

Les pays comme l’Espagne, la France et l’Italie ont-ils les moyens pour faire face à ce problème de flux de demandeurs d’asile?

Le Liban et la Jordanie n’ont pas les moyens et pourtant ils sont en plein dedans. C’est une question de priorités, d’obligations et de reconnaissance des droits. La discussion autour des ressources financières est un débat trompeur. Et le seul pays qui pourrait faire prévaloir cette question de moyens est la Grèce, qui ne peut disposer de suffisamment de ressources pouvant lui permettre de gérer cette urgence humanitaire, en raison des accords que le pays a signés avec l’UE comme condition du plan de sauvetage. Le Liban, par exemple accueille un million de réfugiés, soit 25% de sa population. C’est comme si le Maroc accueillait environ 8 millions de réfugiés. Si le Liban peut, pourquoi pas l’Europe?

Comment cette crise peut-elle évoluer à l’avenir?

La crise va continuer pour quelques semaines avec l’intensité actuelle. Ensuite, je pense que les flux de migrants vont diminuer en raison des conditions climatiques. L’été étant une saison favorable aux mouvements migratoires. Mais la crise ne sera pas résolue pour autant. La Turquie, la Jordanie et le Liban continueront d’accueillir les réfugiés malgré le manque de ressources financières. C’est une crise à long terme. Et à la longue, l’intérêt médiatique baissera et donc, nous n’en saurons que peu de choses.

L’Envoi de navires patrouilleurs européens en Méditerranée est-il la solution?

Évidemment non ! Ce n’est pas une solution qui pourra éradiquer le problème, mais juste déplacer la crise. Or il est nécessaire de régler le problème à la racine en mettant fin aux guerres qui s’intensifient dans les pays d’origine. Les médias disent que les passeurs posent un sérieux problème. Mais le fait est que la plupart des gens tentent l’aventure à leurs propres risques et périls. Quand on bloque une entrée, ils passeront par d’autres canaux, poussés par le désespoir. Seule la passerelle change, le danger reste le même pour ces populations. Les navires patrouilleurs peuvent par contre aider dans le sauvetage des naufragés et atténuer la souffrance humaine.

Donald Tusk, le président du Conseil européen, a demandé à certains pays dont le Maroc d’ouvrir des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile, que pensez-vous de cette demande? N’est-ce pas un moyen pour l’Union européenne de déplacer la crise ?

Bien sûr, l’Europe veut, autant que possible, éloigner de ses territoires la crise. Mais la vérité est que les flux des réfugiés syriens ne transitent pas par le Maroc pour demander l’asile. Je pense que l’Europe doit faire un effort de solidarité et établir des voies légales et sûres pour assurer l’arrivée des demandeurs d’asile. La déclaration de Tusk renvoie à la politique de voisinage Maroc-UE prévoyant de collaborer sur les questions d’immigration illégale. Il n’est donc pas surprenant que l’UE ait demandé de telles mesures.



via Abdo El Rhazi Eduard Soler, spécialiste de la Méditerranée au sein de Barcelona Centre for International Affairs – CIDOB : «Le débat autour des ressources financières est trompeur»

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