‘Du 28 février au 08 mai au Domaine Royal Palm Marrakech’
Grande figure de l’art contemporain marocain, Ghany expose à travers son « œuvre mouvante et émouvante » (du 28 février au 08 mai 2016 au Domaine Royal Palm Marrakech), sa vision d’un monde de contradictions où la discrimination règne en maître.
En 48 ans de carrière, l’artiste marrakechi vivant aux Usa, l’un des pères fondateurs de l’art contemporain au Maroc, aura exploré 4 thèmes principaux, passant de la période abstraite et surréaliste (1966-71) inspirée par Klee, Kandinsky et N. de Staël, à la série des fenêtres encastrées puis celle de l’homme bandé (76-79) avant de lancer à partir des années 80, dans ce qui allait devenir son propre style, un univers aux architectures colorées intenses et osées. Evoluant dans un espace vertical épuré, l’artiste joue sur les oppositions, entre champs monochromes et silhouettes ombragées, fuyantes; entre lumière et ombre portée. Un univers contradictoire, énigmatique, peuplé de vélos et de personnages anonymes, qui ne se rencontrent jamais, des personnages placés en dehors du cadre sur des étendues de couleurs uniformes, qui nous projettent dans un monde où les lois naturelles ne fonctionnent plus et où les effets n’ont plus de cause. En connivence avec le Pop’art, ses dernières œuvres pleines d’émotion, portent en elles la marque enfouie du référentiel culturel et artistique arabe. Faisant ainsi cohabiter deux registres plastiques, entre figuration narrative et construction abstraite.
En quoi votre exposition répond à la thématique de la Biennale de Marrakech 2016 « Not new now »? D’abord, les œuvres sont antérieures à la biennale, ensuite, comme je fais partie d’une génération d’artistes précurseurs de la peinture contemporaine marocaine, je rentre moi aussi dans ce contexte. Je ne suis pas nouveau sur la scène artistique, certes, mais je suis un artiste contemporain.
D’ailleurs, vous êtes un des pères fondateurs de l’art contemporain au Maroc. Entre les années 60 et 70, il y avait une trentaine d’artistes contemporains au Maroc et à l’époque, c’était une aventure d’être un artiste, parce qu’il fallait créer un pont entre la culture traditionnelle, l’art arabo-musulman, la peinture occidentale, qui n’était pas la nôtre ; donc, il fallait vivre son identité à travers toutes ces expressions. En plus, il n’y avait pas les structures de base, susceptibles d’aider l’artiste à se développer.
Dans vos toiles, les personnages sont projetés dans les parties extrêmes, et ne se croisent jamais. Oui, c’est le monde de contradictions et les contraires pour moi, sont les mêmes. Mes personnages sont situés à l’opposé mais dans un espace libre, ou en dehors de la toile, ils se retrouvent, mais on ne le voit pas. C’est un monde de contradictions et de discrimination (monde des délaissés) dépourvu de lois. Le monde est fait de contradictions qu’on ne peut éviter, moi, je les rends visibles. Aussi, lorsqu’on fait une division de l’espace, il faut l’animer, il s’agit de créer une nouvelle esthétique pour que le spectateur contemple la toile et la pénètre. L’œuvre devient interactive, chacun peut imaginer ce qu’il veut, c’est pour cela qu’il y a cette illusion. Mes ombres sont projetées mais on ne voit jamais la personne qui est derrière, et puis, on ne voit pas le visage des personnages peints, ce sont des fragments !
Ces personnages à l’envers, catapultés dans le vide, donnent le vertige. C’est le mouvement, l’air, les personnages évoluent et ne sont pas statiques. C’est aussi pour créer un dynamisme dans l’espace, ce n’est pas figé, et la couleur aide aussi à ce mouvement.
Vous êtes toujours à la recherche de la couleur et de la lumière ? La couleur et la lumière font partie de mes grandes préoccupations, car sans lumière, il n’y a pas de couleurs. Parfois, quand je commence une œuvre, j’ignore de quelle couleur sera le fond, une couleur entraîne l’autre, jusqu’à la fin, et des fois, il n’y a pas de fin, c’est une configuration infinie.
Cette exposition a une touche Pop’art ? Je ne pense pas que c’est Pop’art, c’est un mouvement américain, si je peignais les boîtes de confiture Aïcha, ça aurait pu être du Pop Art marocain, mais les gens l’associent à ce mouvement pictural à cause de la couleur, le mélange du rouge, du bleu, …Moi, je l’appelle « Rhany Art », c’est mon art personnel que j’ai commencé dans les années 80, avant, j’utilisais des couleurs moins chaudes, plus subtiles, maintenant, mes couleurs sont osées plus violentes, plus choquantes.
Comme le rouge que vous avez utilisé pour vos toiles peintes en Chine? J’ai commencé à travailler le rouge aux USA et je l’ai développé en Chine. C’est l’une de mes couleurs préférées, d’ailleurs, je trouve toujours un endroit pour l’insérer dans mes toiles et cette petite touche rouge et chaude caractérise l’ensemble de mon travail. Au-delà du rouge ocre de Marrakech, ça représente aussi la chaleur.
Vous êtes resté 3 ans en Chine, qu’est ce qui vous a le plus touché ? Je me suis senti chez moi, je n’ai jamais eu ce sentiment d’insécurité qu’on peut avoir dans certaines villes de France ou des USA, et même si on ne comprend pas la langue, on communique avec les gestes, le cœur. Il y a un côté humain tout à fait différent de l’Occident. J’ai beaucoup été inspiré par la vie quotidienne, les motos, la bicyclette, les odeurs, la projection des ombres, les endroits calmes, les vieilles bâtisses, j’en retiens un souvenir de sérénité, de calme et de douceur.
Pourquoi cette obsession du vélo dans vos toiles ? Dans les pays du tiers monde, c’est le moyen de transport des pauvres, en Occident, c’est un objet de luxe pour faire du sport, c’est cette contradiction qui m’intéresse.
Vos ombres ne correspondent jamais aux personnages qui les produisent ? Oui, c’est le jeu de la confusion de l’ombre, cela dit, ce n’était intentionnel.
Vos dernières œuvres (2016) respectent aussi cette démarche artistique? Oui, mais il y a une déconstruction, c-à-dire une partie de la toile est réduite à des fragments, qui se retrouvent par terre, comme une sorte d’installation, une décomposition de la toile qui s’éclate en dehors de l’espace.
Quel souvenir gardez-vous de votre expérience en tant que consultant au MOMA de New York ? J’ai été sollicité en tant que conseiller pour la publication d’un livre de recherche sur l’art du monde arabe au 20e siècle. Pour moi, c’est une grande reconnaissance, je crois que moi et ma génération, méritons la reconnaissance des organismes nationaux et internationaux parce que c’est nous qui avons créé les structures, pour développer un art marocain qui n’existait pas à l’époque.
Vous vivez à Washington depuis une vingtaine d’années, vous pensez rentrer au Maroc un jour ? Mais je reviens tout le temps au Maroc, je suis le Maroc, donc, je n’ai pas besoin de revenir, je porte le Maroc en moi et je le vis tous les jours.
Comment évaluez-vous l’art contemporain au Maroc ? En s’inscrivant dans l’ère de la globalité, il a fait un grand pas en avant. Vous savez, à notre époque, il fallait être original, aujourd’hui, l’art se ressemble et l’important, c’est de s’exprimer.
Si vous n’étiez pas artiste peintre ? Peut être un créateur en rapport avec la technologie (musique, théâtre) qui est elle-même, une source de créativité à part entière.
Qui est Ghany que personne ne connait ? Un créateur marocain simple, modeste, empathique qui aime la nature, aime aider les gens et qui accepte la diversité.
Cliquer pour visualiser le diaporama.via Abdo El Rhazi Lumières et ombres de Ghany Belmaachi
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