Réputé pour sa « Stretch Music », située aux frontières du jazz, du hip-hop, de la soul et du jazz-rock, le trompettiste de la Nouvelle Orléans a bluffé le public du festival Gnaoua avec ses notes rondes et floues.
Créateur d’un jazz hybride et élastique hors norme, Christian Scott fait partie de ces jeunes jazzmen modernes qui ont réussi à imposer un nouveau style métissé bousculant les conventions du genre pour l’ouvrir à de nouveaux horizons et à un nouveau public. Diplômé en 2004 de la célèbre Berklee College of Music, le trompettiste virtuose connu pour son timbre chaud et qui n’est autre que le neveu du saxophoniste Donald Harrison JR, représente la nouvelle génération des souffleurs venus de la Nouvelle-Orléans tout comme Wynton Marsalis, Louis Amstrong ou Trombone Shorty. En piochant dans toute la palette des sons, il développe un style propre à lui et redonne ainsi une deuxième jeunesse au jazz, allant jusqu’à inventer de nouveaux instruments pour parfaire son œuvre d’exploration et de métissage. Initiateur de la « Stretch Music » qu’il considère comme du jazz mélangé à du rock indé et du hip-hop, il développe de nouvelles techniques de souffle et est considéré comme l’un des talents les plus en vogue de la musique jazz, inspiré du rap et de la soul.
Après avoir collaboré avec Prince, Marcus Miller ou encore Mos Def, Christian Scott sort son dernier album « Stretch Music » (2015) où il adjoint des éléments plus électroniques. En transgressant ainsi le jazz, celui qu’on appelle le « Usher de la musique » compte aussi bouleverser le concept même de l’enregistrement en lançant une application mobile qui rendra le disque interactif. Rencontre avec un génie de la trompette qui affirme avoir découvert une grande similitude entre les rythmes gnaoua et la musique de sa ville natale, la Nouvelle Orléans.
Il y a 7 ans, votre oncle Donald Harrison JR, se produisait ici même à Essaouira et là, c’est à votre tour de jouer sur la scène Moulay Hassan, quel est votre sentiment ? Je suis super excité, je suis venu il y a 6 ans à Casablanca et Marrakech, j’ai passé un très bon moment, j’ai rencontré des gens super, la nourriture est très bonne et la musique est géniale. Quand j’entends les rythmes d’ici, je me sens vraiment connecté, ça me rappelle d’où je viens, la Nouvelle Orléans, c’est génial de voir qu’on peut être n’importe où dans le monde et qu’on se sent connecté aux gens aussi !
Vous connaissez un peu la musique Gnaoua ? Je connais ce que j’ai entendu, je fais confiance à mes oreilles, je ne dirais pas que je suis un expert mais ce que j’ai entendu est très similaire en quelque sorte à la musique et aux rythmes de la Nouvelle Orléans, c’est très beau.
Pensez-vous un jour fusionner avec un maâlem gnaoui ? Oui bien sûr, si vous respectez la culture musicale des autres, ça devient très facile de réussir une fusion. Quand vous avez du respect pour un style musical, vous voulez en savoir plus sur ce style, ce qui n’est pas le cas de certaines personnes qui assimilent la musique sans avoir de références !
Vous êtes né à la Nouvelle Orléans, le berceau du jazz, et votre oncle est un grand musicien. La musique pour vous est un peu une histoire de famille ? Dans un sens oui, et dans un autre, non. C’est clair qu’il doit y avoir un côté naturel mais pour être un bon musicien, il faut travailler dur. Si j’ai choisi d’étudier à Berklee, c’est parce que je voulais évoluer dans un environnement qui n’est pas du tout conservateur. Là bas, on ne vous impose pas la bonne ou la mauvaise façon de jouer, tout est possible, en fait, on vous laisse un grand espace pour créer et vous exprimer.
Vous avez créé un jazz moderne (free jazz), inspiré du Hip Hop, du rock, et de la soul… étais-ce pour le rendre plus accessible aux jeunes ? Je ne vois pas de division entre les styles, je veux faire une musique qui corresponde à mon expérience, vous savez, j’ai 33 ans et toute mon expérience est celle d’une jeune personne. J’ai alors créé la Stretch Music et j’ai développé en même temps de nouvelles techniques de souffle, tout simplement, parce que je n’aimais pas le son de l’instrument, c’est pour cette raison que l’ai changé. Et si ma musique est métissée, c’est parce que je suis en permanence à la recherche de différents sons, beaucoup plus chaleureux.
Pourquoi avoir opté pour la trompette alors ? Parce que mon oncle Donald était saxophoniste et je voulais pouvoir jouer avec lui, et je savais qu’il pouvait me donner de bonnes leçons…
Ce qui vous inspire ? Tout, des bijoux peuvent m’inspirer, comme la fibule berbère par exemple, je viens d’ailleurs d’en acheter 2 grandes dans la médina que je compte accrocher à mon tee-shirt, en fait, j’adore les bijoux en rapport avec la fertilité. Ceci étant, je suis inspiré par tous les sons, pas juste le jazz, je trouve qu’une seule idée, c’est ennuyant. Je suis ouvert à beaucoup de styles de musique et quand j’écoute les rythmes gnaouis ici, ça m’inspire, ça me rappelle chez moi mais ça me rappelle en même temps d’autres endroits, j’adore ça !
Que signifie le jazz pour vous ? C’est l’émancipation, la liberté d’expression sans aucune censure. Il vous permet d’improviser, d’avoir un espace où vous pouvez jouer librement. Des fois sur scène, c’est difficile d’improviser, des fois, c’est facile, ça dépend si l’on s’est bien entraîné ou pas !
Vos projets ? J’ai 2 albums qui vont sortir en janvier, j’ai pensé à un nouveau médium où on va relier les morceaux aux applications, pour que le disque soit interactif. En écoutant le morceau, toute personne peut isoler chaque instrument et agir en temps réel sur les compositions, en contrôlant instruments, canaux, volume, et tempo. Elle pourra ainsi s’entrainer en direct et découvrir entre les notes les secrets de la « Stretch Music ».
via
Abdo El Rhazi Christian Scott Le « Usher du jazz » fait vibrer Essaouira !