Après le très controversé «Much Loved», Nabil Ayouch revient avec « Razzia », un opus assez poignant. Un film sur les libertés individuelles et l’importance de l’éducation dans un Maroc en proie à l’extrémisme et où les valeurs de tolérance et d’ouverture semblent laisser place à des idéologies obscurantistes et un repli identitaire qui s’installe petit à petit et qui étouffe toute une jeune génération, déroutée, désarmée et impuissante, victime d’une éducation qui fait défaut depuis la réforme du système scolaire au Maroc dans les années 80. Pour le réalisateur marocain, ce film est avant tout « l’incarnation d’une majorité silencieuse qui partage ici sa résistance et sa lutte. J’ai fait ce film, nous dit-il, parce que j’ai envie que des gens qui se sentent seuls, qui pensent être différents et qui ont des rêves, sachent qu’il y en a d’autres, et qu’on s’unissant, on peut changer le destin d’une nation ! »
Le film raconte l’histoire de 5 personnages différents, paumés, certains résignés et d’autres révoltés, sur fonds de contestations et de voitures brûlées, et qui tentent de résister, chacun à sa manière pour défendre leur liberté et leur dignité. « L’urgence aujourd’hui c’est de permettre à tout un chacun de vivre comme il l’entend, nous confie Ayouch, il est nécessaire d’ouvrir des espaces et de libérer des énergies pour éviter qu’il y ait le chaos. Le plus important aujourd’hui pour la jeunesse marocaine, c’est d’arriver à rêver à nouveau, de réapprendre à se projeter, car elle est étouffé par les carcans, les tabous, l’école, une religion mal apprise, mal utilisée, manipulée… ».
Le film parle ainsi du rejet de l’homosexualité, d’intolérance face aux religions, d’injustice sociale, de la situation de la femme dans la société et sa place dans l’espace public, du dictat de l’arabisation, … « Jusqu’aux années 80, se rappelle le réalisateur, tout allait bien dans la structure mentale des jeunes issus de l’école publique, ils avaient l’esprit critique, ils étaient ouvert sur le monde, mais les humanités ont été supprimées du programme scolaire, or les humanités, c’est fondamental, c’est la tolérance, c’est accepter la différence, la reconnaissance de l’autre ! »
À travers des vies croisées, le film dresse le portrait d’une société razziée, schizophrène, bourrée de paradoxes et qui doute, à l’image de la prostituée qui refuse de se souiller avec le restaurateur Joseph lorsqu’elle découvre qu’il est juif. Une société qui se cherche et qui a perdu au fil des années la signification du mot : différent. Et où les femmes, même les plus émancipées d’apparence tentent de se libérer du dictat du patriarcat, à l’image de Salima -incarnée par Maryam Touzani-, qui relève sa robe de quelques centimètres lorsqu’elle se fait insulter par un barbu dans la rue. Bref, une société étouffée en quête de liberté, à l’image de l’oiseau enterré sous le sable. « C’est bien pour un peuple de se réapproprier une identité, mais quand on change un système éducatif de tout un pays, on engage le destin d’une nation, donc, il faut faire attention, estime le réalisateur. L’identité marocaine ne vient pas du Moyen Orient, elle vient des Amazighs, des Arabes, des Juifs, des Chrétiens, des Africains subsahariens, … cette identité qui nous définit, on l’a perdu en cours de route pour aller vers un schéma de société qui exclu le rêve, la capacité de se projeter, la différence, l’autre et qui crée une forme de ressentiment voire de haine qui peut se transformer en violence si jamais on n’agit pas ! »
Pour le casting, Ayouch nous présente deux actrices méconnues du grand écran : la journaliste, scénariste et épouse du cinéaste Maryam Touzani et Dounia Binebine, la fille de l’artiste Mahi Binebine. Il reste aussi fidèle à des acteurs qu’il a déjà dirigé, notamment Abdelilah Rachid « Les Chevaux de Dieu » et Abdellah Didane « Much Loved ». Incroyable prestation pour Saadia Ladib, Amine Naji et le belge Arieh Worthalter qui excellent dans leur rôle respectif.
Présenté au festival de Toronto en août dernier, le film qui a fait l’ouverture du 39e Cinémed de Montpellier sort en salles le 14 février et sera également distribué en Europe et en Égypte. Une belle œuvre de résistance qui interpelle tout un chacun et qui donne à réfléchir sur les travers de notre société.
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via Abdo El Rhazi « Razzia » Nabil Ayouch résiste !
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