Route des Zaërs, le dernier opus de Guillaume Jobin, est au coeur de l’actualité. L’intrigue de cette fiction parue en mai dernier ressemble à s’y méprendre, à l’affaire Laurent – Graciet.
Au départ, c’est l’histoire d’Alexandre, en mission à Rabat. Pendant son séjour, cet agent des services extérieurs français (DGSE) va croiser des diplomates, des hauts fonctionnaires, des membres des forces spéciales et côtoyer à la fois des journalistes, des pirates informatiques mais aussi d’autres espions. Sous sa couverture de correspondant pour un média russe, l’agent de la DGSE est envoyé pour mettre fin à une crise franco-marocaine dont les conséquences affectent les relations des deux pays.
Guillaume Jobin puise son inspiration dans la récente brouille entre la France et le Maroc. Il change les noms des personnages principaux mais donne suffisamment d’éléments pour les identifier. Dans son troisième ouvrage, l’auteur entremêle fiction et réalité au point de créer le trouble dans l’esprit du lecteur.
Le Président de l’ESJ Paris le reconnait; lorsqu’il évoque les personnages de Catherine Henriot et de Patrick Allibert, il a bien en tête Catherine Graciet et Éric Laurent. C’est dans le même esprit de confusion assumé que Jobin évoque dans les « Éditocrates », une formule qu’il a empruntée, dit-il, à son ami Abdelmalek Alaoui pour définir dans son roman «une sorte de petite nébuleuse d’opposants professionnels marocains, désunie, mais composée de curiosités qui sont tous des journalistes ». Un groupuscule qui dans le livre s’agence autour de : deux Ali, Zineb, Omar et Ahmed de l’Université de Trenton aux États-Unis. Le Président de l’ESJ Paris ne s’en cache ; pas il s’agit bien de « Ali Mrabet, Ali Ammar, Zineb El Rhazoui et Ahmed Reda Benchemsi ».
Installé au Royaume depuis des années, Guillaume Jobin décrit un Maroc que l’on se plait à reconnaître. L’auteur met en relation toutes ces personnes pour attiser l’intérêt du lecteur.
Imagination ou prémonition ?
Catherine Henriot est dépeinte dans le livre comme « une journaliste réputée pour son tropisme algérien, (qui) vient de proposer ses services au champion du racket, Jilali Allali[…] Cette ancienne journaliste freelance s’est reconvertie en auteur de livres commandés, maltraitant les régimes qui ont maille à partir avec Alger » , quant à Patrick Allibert, il est présenté comme celui qui « écrivit des livres insipides à la gloire d’Hassan II qui passait plus de temps à corriger le style de son “nègre” qu’à lui expliquer son règne ». Zakaria Moumni devient alors Jilali Allali, un franco-marocain champion du monde de catch qui exige du palais un poste de fonctionnaire auquel il prétend avoir droit « la demande est devenue une requête, puis a fini en harcèlement des plus hautes autorités du Royaume ». Dans la réalité comme dans la fiction, cet homme va être l’un des éléments déclencheurs de la querelle franco-marocaine.
Rien n’est oublié, comme nous le confie l’auteur de Route des Zaers «Il y a la fouille d’un diplomate marocain à l’aéroport de Paris, l’incident avec l’ambassade du Maroc à Paris … Alors oui, il y a Zakaria Moumni qui devient Jilali, il y’a Corinne Henriot qui est Catherine Graciet, il y a Allibert qui est Éric Laurent et le journalistes pieds nickelés Jean-Louis Perez qui a été expulsé…».
Pour l’auteur il existe un lien indéniable entre ces affaires. Dans le vingtième chapitre, la réalité rattrape la fiction. Patrick Allibert menace de publier une critique sur la Monarchie. Dans le livre, un cadre du Palais « pensant bien faire » rachète « en douce » le manuscrit mais c’était sans compter sur la perfidie d’Allibert. Offensé de ne pas avoir de chauffeur à son arrivée à Marrakech ni de réservation d’un riad privatif au Royal Mansour, Allibert publie quelques années plus tard avec sa consoeur Corinne Henriot «un brûlot à charge, de mauvaise foi et diffamatoire sur des investissements de la Famille royale dans l’économie ». Le polar est tellement bien documenté, les discussions entre les personnages paraissent si plausibles que la distinction entre le réel et l’imaginaire de l’auteur devient ardue.
Le plus troublant c’est que Route des Zaërs a été publié plusieurs mois avant l’affaire Graciet – Laurent. Lorsqu’on demande à Guillaume Jobin s’il est aussi un agent secret, il répond amusé « les gens n’arrêtent pas de me poser des questions. Du coup, je me fais accuser par les Marocains d’être un espion français, et par les Français, espion marocain. Mais j’ai mes sources!».
Néanmoins, l’auteur à l’imagination débordante consent que son livre est un tissu qui mêle fiction et réalité. Résident au Maroc, Jobin dit s’inspirer de « tberguig » qu’on lui raconte et confesse en plaisantant : « j’ai joué à mort de la parano du lecteur en mélange personnages réels et fictifs »
Bio express
Guillaume Jobin vit entre le Maroc et la France depuis 2007. Il est installé au Royaume depuis 2010 où il a ouvert des branches de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris dont il est président à Casablanca et à Rabat. Route des Zaërs est son premier roman fiction. Auparavant, il a écrit des livres d’histoires dont «Lyautey, le Résident» et «Mohammed V Le Sultan». Jobin vit à Rabat où il dirige également la maison d’édition Casa Express.
via Abdo El Rhazi Une fiction bien réelle
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