‘Du 24 février au 8 mai 2016’
‘La grande messe de l’art contemporain revient en force à Marrakech. Pour sa 6e édition, la biennale commissariée par Reem Fada, a choisi pour thème « Quoi de neuf là », un sujet qui questionne sur la manière dont l’art est utilisé, dans sa dimension formelle, comme moyen de résistance culturelle.’
Depuis sa création en 2005 par Vanessa Branson, la biennale de Marrakech ayant pour mission de construire des ponts entre les cultures au moyen des arts et la promotion du dialogue et la diversité artistique, vise encore une fois via son programme, l’excellence artistique et la rigueur intellectuelle. Gagnant ainsi en maturité, la manifestation d’envergure devient au fil des an, un une plateforme incontournable de l’art contemporain en Afrique, au Moyen-Orient et dans la région méditerranéenne.
L’exposition principale qu’abritent les sites historiques de la médina, Palais El Bahia et Palais El Badii, met en lumière des projets artistiques originaux et des idées audacieuses voire provocatrices, qui répondent plus que jamais aux urgences socio-politiques, représentatifs de l’« art vivant » – un art au service du peuple et de la société, un art qui s’interroge sur lui-même et qui répond à lui-même », selon Fadda qui a rappelé la nécessité d’une prise de conscience civique pour engendrer un mouvement d’actions et de réactivités.
Explorant des formes esthétiques et poétiques, les œuvres choisies abordent
des notions de nouveauté, d’originalité et d’avancement dans un contexte régional qui s’étend de l’Afrique à l’Asie. A travers une approche pluridisciplinaire, la programmation réunit ainsi les œuvres d’artistes issus du Monde Arabe, de la Méditerranée et de l’Afrique subsaharienne dans une cité qui a fait l’objet d’une exploration artistique pendant des siècles, Marrakech, « un lieu privilégié » qui incarne selon Fadda, « le cœur vrombrissant de l’Afrique et du Monde arabe ». Un constat partagé par le président exécutif de la biennale, Mohamed Amine Kabbaj qui a dédié cette édition à la photographe Leïla Alaoui, en rappelant que le Maroc, situé au carrefour entre l’Occident, l’Islam, et l’Afrique, a toujours été un pays ouvert, tolérant et moderne qui a su pendant des siècles, mettre en valeur sa culture traditionnelle.
Utilisé comme moyen de résistance culturelle, l’exposition principale met en exergue ainsi la démarche par laquelle les idées, allant de l’abstraction et du minimalisme ( sculptures et auto-portraits de Khalil El Ghrib, palais El Bahia ) au recyclage (through patches of wheat, corn and mud d’Oscar Murillo, palais Bahia), au junk art et aux méthodes de subsistance créatives, sont de plus en plus omniprésentes compte tenu des expériences passées et présentes qui s’y sont déroulées. Les œuvres exposées s’intéressent aussi à l’héritage de la décolonisation ainsi qu’à ses échecs, qui constituent l’un des points d’ancrage ayant poussé l’art contemporain vers la provocation, l’esprit critique et la radicalité. Le projet curatorial se réfère ainsi à des mouvements artistiques à l’origine de plusieurs influences et tendances artistiques tels que les mouvements d’union pan afro-arabe et afro-asiatique et étudie de manière critique les projets socio-politiques, les échanges culturels et les provocations intellectuelles.
Les vidéos de Kader Attia présentées au palais El Bahia, intitulée Reason’s Oxymorons, interrogent justement les conséquences du colonialisme européen et des appréhensions de la culture contemporaine qui en ont découlé et montrent comment la notion de « réappropriation culturelle » peut constituer une méthodologie voire un mécanisme de recyclage délibéré de la narration de la culture, pour réinscrire dans l’histoire les normes manquantes de la modernité esthétique marginalisées par le colonisé.
Un des pojets qui interpèle également le visiteur dès qu’il investit les lieux du somptueux palais Bahia, est sans doute celui de la curation de Salma Lahlou et Fatima-Zahra Lakrissa, sur le mouvement artistique d’avant-garde de l’Ecole de Casablanca dans les années 60, et notamment le travail expérimental de Farid Belkahia, Mohammed Chabâa et Mohammed Melehi, qui se présente comme une version « contaminée » de la modernité tardive, dont la spécificité réside dans sa capacité à mettre simultanément en oeuvre deux conditions paradoxales: l’accomplissement de la nouveauté et le constat critique de son épuisement.
Parmi les projets alliant « passé » et « présent », on trouve les interventions curatoriales d’Omar Berrada. Présenté au Palais El Bahia et ayant pour thème Jeux de mémoires : Ahmed Bouanani aujourd’hui, la curation est un projet pluriel autour du travail et des archives du penseur et cinéaste Ahmed Bouanani méconnu de la modernité littéraire et artistique marocaine; qui comprend notamment les extensions sculpturales du corps (bijoux, masque, vêtement….) de Sara Ouhaddou, réalisées à partir de formes extraites des dessins et de personnages tirés des contes traditionnels de Bouanani dans les années 60 ; les drapeaux de Yto Berrada sur l’autheticité et la contrefaçon, « Majdoub Flag », une série d’oeuvres en textile produites à partir de tissus provenant d’intérieurs bourgoies marocains, et prenant pour point de départ les poèmes de Majdoub, célèbre troubadour nord-africain Majdoub, sur l’authenticité, la contrefaçon. Ainsi que l’installation originale « Tagant » de Mohssin Haraki, une sorte de forêt qui respire de 87 ampoules sur lesquelles sont inscrits des titres de manuscrits d’Ahmed Bouanani. Harraki y rejoue la découverte de l’archive immense de Bouanani, sa fragilité et sa survie dans le temps.
Pour ce qui est des œuvres phares exposées au palais El Badii, on retrouve les céramiques de Rachid Koraïchi, qui explore l’écriture des caractères (arabe, sumérien, hébreu, chinois, Tifinagh), comme un “alphabet de la mémoire”, et l’utilise non seulement pour sa vision esthétique mais aussi pour diffuser son message sur la co-existence, la tolérance, et la persévérance. A ne pas manquer également, l’œuvre monumentale du ghanéen El Anatsui, créée spécialement pour la biennale intervenant dans le paysage et le tissu urbain de la ville. Par sa présence monumentale sur l’une des façades du Palais El Badii, Kindred Viewpoints s’érige en manifeste du thème de la Biennale, questionnant ainsi ce qui est neuf et présent.
En utilisant des éléments naturels, comme le bois et la céramique, ou plus récemment les déchets, Anatsui s’intéresse au recyclage et à la récupération des détritus des humains afin d’interroger les problématiques de consommation, de labeur, d’environnement et de colonialisme. Par un processus créatif collectif, ses oeuvres transforment les débris de mécanismes sociaux et géopolitiques en présences poétiques envoûtantes.
Toujours au palais El Badii, l’installation impressionante de Fatiha Zemmouri intitulée À l’abri… de rien ne laisse personne indifférent. Un rocher énorme, comme une météorite, en polystyrène et en plâtre, coincé entre deux murs au bout d’un couloir étroit nous rappelle notre fragilité dans un monde plein d’incertitudes et d’insécurité. Planant au-dessus des têtes, il rappelle une histoire ancienne et des temps géologiques. Néanmoins simultanément, notre conscience et notre attention sont projetées en avant : une issue potentielle et soudaine est pendue affreusement proche.
A l’instar des palais El Bahia et El Badii, la Biennale investira principalement trois autres lieux historiques de la médina de Marrakech, notamment la mosquée de la Koutoubia, Dar Si Saïd, et le Pavillon de la Ménara. Une sélection de projets partenaires et parallèles (Street art) seront également présentés dans toute la ville.
via Abdo El Rhazi Marrakech Biennale 2016 – L’art comme moyen de résistance culturelle.
No comments:
Post a Comment