En France, une folle campagne se termine… Les primaires l’ont rendu interminable, imprévisible, impitoyable. Tous les favoris ont été éliminés et laissent les sondeurs, les commentateurs et l’électeur lui-même indécis comme jamais sur les résultats du premier tour. Celui-ci est d’ailleurs comme un second tour : Marine Le Pen à la tête du principal parti qui est celui des mécontents, est sûre d’être qualifiée pour la finale et encore plus certaine d’être battue par le front de tous ses adversaires, de droite comme de gauche, unis pour lui faire barrage. Conséquence : c’est un scrutin à un seul tour qui ne dit pas son nom et l’élection la plus disputée qu’ait jamais connue la V° République.
La marge d’incertitude des sondages, qui est de trois points, donne l’espoir de se qualifier aux trois « On » : Emmanuel Macron, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon. Le nombre des indécis et le taux d’abstention, qui devrait être considérable, permet aux autres candidats de rêver à un coup de théâtre. Les médias entretiennent le suspense et sont les seuls à tirer profit de cette débâcle politicienne. On peut d’ores et déjà en tirer quelques leçons. Dans tous les cas de figure, le vainqueur sera un chef d’Etat mal élu qui aura recueilli sur son nom seulement un quart ou un cinquième des votants. Soit un président faible, choisi par défaut. En prime, il règnera sur un champs de ruines et peinera à rassembler une majorité à peu près stable. S’en est fini de l’alternance qui prévaut depuis quarante ans entre les deux partis de gouvernement, la droite regroupée autour des néo-gaullistes et le bloc de gauche centré sur le Parti socialiste. C’est toute l’architecture de la V° République, sérieusement ébranlée par les innovations constitutionnelles à répétition de ces dernières années (réduction du mandat à cinq ans, alignement du calendrier électoral avec les Législatives notamment) et des cohabitations contraires à l’esprit des institutions qui se retrouve ainsi à terre. Les primaires calamiteuses importées d’Amérique lui ont donné le coup de grâce.
Les Français se préparent donc à voter comme on se jette par la fenêtre. Et ils sont saturés de politique alors même que les vraies questions qui se posent au pays n’ont pratiquement jamais été abordées. Celles qui comptent et qui vont dominer les années à venir : comment endiguer la croissance de la dette et du chômage, intensifier la lutte contre le terrorisme et rénover l’outil de défense (sans renoncer ni à l’arme nucléaire, ni aux opérations extérieures…) avec un budget contraint, relancer le chantier européen en retrouvant une relation d’égal à égal avec l’Allemagne et répondre à l’exigence de souveraineté que réclame le pays profond (9 des 11 candidats avaient voté « non » au référendum sur le traité de Maastricht de 1993 ou à celui sur le traité constitutionnel de 2005..), lutter contre l’insécurité en expansion continue (plus de 3 millions de crimes et délits l’an dernier, record absolu… ) et résister au repli sur soi, s’adapter au monde extérieur, notamment en prenant en compte l’émergence de l’Afrique et ses besoins en investissements, tout en restaurant les comptes à l’intérieur, etc.
Ces travaux d’Hercule qui attendent l’heureux ( ?) élu seront à mener dans un environnement de plus en plus dangereux. La « Trumpisation » du monde, c’est son caractère imprévisible. Sans prendre au pied de la lettre les menaces d’apocalypse qu’a susurrées le vice-Président Mike Pence aux Nord-Coréens (« N’éprouvez pas la détermination du Président, ni de l’armée américaine »), comme s’il disait « chiche ! » au chantage nucléaire de Pyongyang, on peut s’inquiéter des frappes américaines en Syrie, qui n’ont rien réglé mais tout compliqué et s’interroger sur les dérapages à venir d’un exécutif US qui se satisfait des coups de menton et laisse les néo-conservateurs revenir jouer au pyromane dans les champs de pétrole du Moyen-Orient. En face, les régimes autoritaires se bétonnent. Le Kremlin exploite sans vergogne l’attentat de Saint Pétersbourg et fait frémir ses voisins que hante la peur d’une nouvelle guerre froide. L’Iran accentue son implication au Yémen comme en Irak. Hugo Chavez n’hésite plus à marcher sur le ventre de ses opposants. Et l’émergence d’un nouveau calife en Turquie ne sera pas sans conséquences sur l’équilibre méditerranéen comme en Europe car Recep Erdogan a pris goût aux purges et au discours belliqueux. Incertitude en Algérie où le statu quo semble encore plus précaire que la santé d’A. Bouteflika, en Tunisie minée par le terrorisme, en Libye où un million d’Africains seraient prêts à se jeter à l’eau… En France, la campagne a été folle. Le Président ne sera pas tant un vainqueur qu’un survivant. Les optimistes miseront sur la baraka qui lui a permis de l’emporter. Elle ne sera pas superflue dans le monde qui vient.
via Abdo El Rhazi Compte à rebours
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