Depuis l’accord de paris, la France est devenue un acteur mondial de premier plan sur les questions environnementales. Mais pour Ségolène Royal, si la France est indéniablement un leader mondial sur le climat, son leadership serait en train de s’essouffler depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron. Elle déplore « le retour en arrière de la politique écologique » dans l’hexagone. L’ancienne ministre de l’Environnement regrette la démission de Nicolas Hulot : « lorsque nous sommes ministre, il faut se battre et nous ne partons pas même si c’est populaire ». Celle qui a été présidente de la Cop 21 reproche à Hulot sa faiblesse face aux lobbys. Pour elle, il a perdu le rapport de force à partir du moment où il a cédé sur des enjeux cruciaux comme le nucléaire. Son départ aura permis de mettre en lumière la différence entre le discours d’Emmanuel Macron et ses actes en matière d’environnement. une démission au retentissement international dont le mérite a été également une prise de conscience.
De leurs côtés, les experts scientifiques intensifient les appels alarmants sur les dangers du dérèglement climatique et exhortent les dirigeants du monde à être à la hauteur du défi.
Les sommets sur le climat se multiplient avec des promesses et des annonces toujours plus ambitieuses. Mais sont-elles réalisables ? Les objectifs ne sont-ils par hors de portée ?
De retour de San Francisco où se tenait le premier sommet mondial pour l’action climatique (GCAS), l’ancienne ministre socialiste ne perd pas espoir. Idéaliste, elle estime nécessaire de fixer des objectifs forts en matière environnementale « Ce sont des ambitions qui seront un jour réalisables ». L’actuelle ambassadrice chargée de la négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique a accordé un entretien à notre correspondante à Paris Noufissa Charaï. @Noufissacharai.
Ségolène Royal y parle aussi du Maroc, du Roi Mohammed VI…
L’Observateur du Maroc et d’Afrique: à San Francisco où vous participiez récemment au sommet mondial pour l’action climatique, vous avez déclaré : « Où est le leadership français sur le climat ? », pensez-vous qu’Emmanuel Macronsoitàlahauteurdesdéfis imposés par le réchauffement climatique ?
Ségolène Royal : Globalement, la France est un leader mondial avec les réalisations de la Conférence de Paris sur le climat, l’accord de Paris, les ratifications… Emmanuel Macron a repris ce flambeau de façon positive quand il a organisé le « One Planet Summit ». Mais il faut être vigilant, c’est pour cela que je tire la sonnette d’alarme comme l’a d’ailleurs fait Nicolas Hulot. Pour garder ce leadership au service du monde et pas seulement pour elle-même, la France doit aussi rester exemplaire sur son territoire. Mais en ce moment, nous assistons à un retour en arrière de la politique écologique. Après, ce n’est pas une fatalité, j’espère qu’avec le nouveau ministre, François de Rugy, cela sera remis d’aplomb.
Le sommet mondial pour l’action climatique (GCAS) est la première Cop sans chef d’États ou de gouvernements. Vous pensez que les villes peuvent mobiliser davantage que les États ?
Il faut la mobilisation de tous, comme cela a été fait par la Cop 21. La conférence de San Francisco est la continuité de «l’Agendadel’action»quicorrespondaux soixante-dix coalitions construites dans le cadre de la Cop 21. Les coalitions sont une alliance entre les villes, les territoires, les entreprises, les ONGs, les investisseurs financiers et les filières technologiques de la croissance verte dans chacun des domaines identifiés. Le travail dans ces coalitions a bien avancé, j’ai eu le plaisir de le constater à San Francisco.
Pendant la Cop 21 déjà, dans ces coalitions, il y avait celles des villes, des régions, des territoires. En tant que Présidente de la Cop et ministre de l’Énergie, j’avais déjà signé à Paris une convention avec Jerry Brown, le gouverneur de la Californie, et Michel Bloomberg (ndlr, ex maire de New York) était aussi présent. Ce sont les deux initiateurs du sommet de San Francisco et ils étaient déjà à Paris avec notamment John Kerry et Al-Gore. Tous les grands acteurs de la Cop 21 étaient là, les entreprises ont pu également faire le point notamment dans le secteur du bâtiment, mais également dans celui des transports, de l’eau, des océans, de la déforestation…
Ils ont pu faire l’état des lieux de l’avancée de leurs différents travaux.
La révolution énergétique se fait aux niveaux local et global. Il faut des engagements internationaux, cela est fait avec l’accord de Paris. Il faut des engagements nationaux, qui ne doivent pas reculer, et des engagements locaux. Et c’est quand tout le monde tire dans la même direction que cela est efficace.
Les villes ont un rôle majeur à jouer, mais également les régions en France ou les États américains. 70% des décisions de la lutte contre le réchauffement climatique sont prises à des échelons infrarégionaux. Plusieurs questions relèvent des compétences des villes comme : les transports, l’aide à l’isolation des bâtiments, l’éducation à l’environnement, la gestion de l’eau et la gestion agricole. Cela est possible au niveau local, à condition évidemment qu’il y ait des décisions nationales qui encouragent cette mutation et qui ne la ralentissent pas.
Emmanuel Macron avait fait beaucoup de bruit avec « Make our planet great again », mais est-il écologiste ?
Il y a certaines choses qui vont dans le bon sens et d’autres non. Il faut une remise à niveau, et surtout il faut réparer ce qui a été détruit depuis un an.
Sur quoi Emmanuel Macron a-t-il reculé depuis le début de son mandat ?
Beaucoup de choses ont reculé en un an, comme la suppression du crédit d’impôt de transition énergétique qui permettait aux gens de faire des travaux d’économies d’énergies très efficaces. La suppression de ce crédit inquiète les entreprises car elles doivent licencier alors que moi je les avais encouragées à se former et à obtenir des qualifications.
Avec la suppression du crédit d’impôt, les Français commandent moins de travaux, ce qui est dommage car la première action la plus efficace contre le réchauffement climatique est l’économie d’énergie. Il y a également la suppression des subventions aux « territoires à énergies positives » qui étaient justement une impulsion donnée au niveau locale. Ils ont aussi donné une autorisation à l’importation de l’huile de palme que j’avais bloquée ; il y a eu le vote sur la reconduction du glyphosate pour cinq ans et le refus d’inscrire son interdiction dans la loi. Il y a eu le retour des permis miniers de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures alors que j’avais mis fin à ces autorisations pour être en accord avec la Cop 21. Nous voyons bien que les lobbys de l’industrie des énergies fossiles ont repris le dessus. Mais paradoxalement, cela est positif car cela montre que contrairement à ce que pense Nicolas Hulot, rien n’est facile. C’est beaucoup de travail, ce sont des combats difficiles, il faut avoir des alliés et bien connaitre ses dossiers pour pouvoir être fort dans les arbitrages ministériels.
François de Rugy peut-il réussir là où Nicolas Hulot a échoué ?
Nous le jugerons sur les actes. Tout le
monde peut réussir dès lors qu’il s’organise bien, qu’il y a les équipes derrière et une bonne connaissance des dossiers. Il y a un principe très simple, je l’avais dit à Nicolas Hulot, c’est celui de « non régression», c’est-à-dire que nous ne reculons pas sur ce qui y a déjà été fait.
Dès sa prise de fonction, Nicolas Hulot a reculé sur le nucléaire, il s’est de facto affaibli sur tout le reste. Parfois, les « nouveaux » pensent qu’ils sont plus malins que ceux qui étaient là avant. Moi quand je suis arrivée à l’Environnement, j’ai appuyé des ministres qui n’étaient pas de mon bord politique, l’environnement est au-dessus des clivages politiques ! Il ne faut pas se désolidariser de ceux qui étaient là avant vous, et c’est ce que Nicolas Hulot a fait.
Lorsque Nicolas Hulot recule sur des enjeux cruciaux comme il l’a fait, il s’affaiblit lui-même. Dès qu’il a cédé au premier lobby du nucléaire et des énergies fossiles, il a perdu le rapport de force. Les autres ont essayé de le faire reculer sur tout, comme nous l’avons vu pour le glyphosate. C’est la responsabilité de Nicolas Hulot, c’est facile de dire que c’est la faute d’Emmanuel Macron. Lorsque nous sommes ministre, il faut se battre et nous ne partons pas même si c’est populaire. Il y a un tel dénigrement de la politique par les gens que cela plait, seulement cela n’est populaire que provisoirement. C’est plus impopulaire de rester car c’est ingrat de rester. La politique c’est ingrat, c’est aussi cela que ça révèle. C’est ingrat car c’est beaucoup de travail et d’engagement politique, mais nous ne gagnons pas à tous les coups.
Justement, vous évoquez les lobbys notamment industriels, ces derniers rendent-ils la transition écologique impossible ? Emmanuel Macron peut-il limiter leur influence ? Vous venez de
le rappeler, 34 députés de la majorité ont encore voté contre l’interdiction du glyphosate et son inscription dans la loi. C’est tout l’enjeu de la politique, c’est pour cela que la démission de Nicolas Hulot est désolante ! Nous ne quittons pas le navire quand il y a des combats à conduire, c’est trop facile ! Si tout le monde démissionne quand la situation est difficile, qui va rester pour se battre ?
Le départ de Nicolas Hulot a-t-il affaibli la cohésion gouvernementale, déjà pointée du doigt par l’opposition ? Estimez-vous que c’est toujours un gouvernement « en même temps de gauche et en même temps de droite » ? Ce qui est certain, c’est que lorsqu’un ministre démissionne sans prévenir le Président et le chef du gouvernement cela fait désordre. En plus, Nicolas Hulot est parti à un moment où la popularité d’Emmanuel Macron était en baisse, donc ce n’est pas une bonne action. Quand nous sommes ministre d’État, nous avons des responsabilités, nous respectons la fonction et la mission. Ce n’est pas populaire de dire ça car son départ a été très populaire, mais moi je pense que la politique n’est pas seulement un droit ou un caprice, c’est un devoir ! Je ne sais pas s’il serait parti au moment où Emmanuel Macron était au plus haut dans les sondages.
Nicolas Hulot du gouvernement a provoqué une prise de conscience. Les citoyens ont-ils vraiment le pouvoir de changer les choses et d’influencer les politiques ?
Au quotidien, les citoyens peuvent trier leurs déchets à condition que le ramassage des déchets corresponde au tri. En France, nous sommes très en retard sur la question, pourtant le tri représente beaucoup d’économie d’énergies et de pollution. Les citoyens peuvent acheter des voitures électriques au lieu des voitures polluantes, ils peuvent faire des économies d’énergies, ne pas gaspiller… Il y a beaucoup de choses à faire à titre personnel, c’est une éducation, un changement de comportement.
Dans un appel paru vendredi 7 septembre dans Libération, 700 scientifiques demandent aux gouvernants français de « passer de l’incantation aux actes pour enfin se diriger vers une société sans carbone». Le climatologue Jean Jouzel estime que c’est « difficilement imaginable» (…)mais une ambition « nécessaire ». Pouvons-nous passer des paroles aux actes ? De l’ambition à la réalisation ?
L’objectif doit impérativement être posé comme ça. En matière environnemental, il faut tendre les objectifs et fixer des objectifs supérieurs à ce que nous appelons le réalisme. Si vous fixez des objectifs inférieurs, vous n’y arriverez pas, vous serez encore en-dessous des objectifs. Si vous fixez des objectifs par exemple « zéro déchet », comme je l’avais fait quand j’étais ministre, cela signifie que l’objectif est « zéro déchet ». Cela veut dire qu’à un moment donné, nous serons capables de recycler tous les déchets et je pense que cela est possible. Ce sont des objectifs extrêmement ambitieux et c’est ce qui permet de tirer vers le haut à la fois la rentabilité économique, la créativité et l’investissement dans les startups ou encore dans les dépôts de brevets. L’objectif doit être fort. C’est comme lorsque Kennedy disait « nous allons aller sur la lune » ou que les premiers aviateurs voulaient traverser le pacifique en avion, cela paraissait impossible et c’est pourtant ce qui a permis sa réalisation. Ce sont des ambitions qui seront un jour réalisables. Peut-être pas tout de suite et nous ne savons pas toujours comment, mais nous ne pouvons pas raisonner de manière statique surtout sur le plan technologique qui évolue très vite.
L’accord de Paris prévoit une aide annuelle de 100 milliards de dollars d’ici à 2020 pour les pays pauvres. A Bangkok, des experts se sont réunis pour finaliser la mise en œuvre de l’accord et en vue de préparer la Cop 24. Des délégués représentant certains des pays les plus pauvres de la planète ont accusé les États-Unis, qui se sont retirés de l’accord et d’autres pays occidentaux, de ne pas respecter leurs engagements en matière d’investissements verts. L’accord de Paris va-t-il être respecté ?
C’est le sujet crucial de la Cop 24 de décembre. La communauté internationale a intérêt à être au rendez-vous des financements ! Cela fait la troisième Cop depuis la Cop 21 et l’engagement pris est que le financement soit sur la table pour la Cop 24.
L’annonce du Fonds bleu pour le bassin du Congo, porté par Denis Sassou-Nguesso avait été faite une première fois, au Maroc, lors de la COP22. En mars 2017, un mémorandum d’entente a été signé à Oyo, au Congo. En avril dernier, lors d’un sommet sur le climat à Brazzaville, le Roi Mohammed VI avait déclaré : « Le financement de ce projet, constitue le défi majeur à sa mise en œuvre ». Pensez-vous ce financement possible et le projet est-il réalisable ?
Le projet est réalisable dans la mesure où, outre le financement, tout le reste est fait : l’accord est fait et les stratégies nationales sont en voie d’être faites. Maintenant, il faut tenir la parole sur les 100 milliards de dollars promis avec à la fois des fonds publics et privés. Les fonds privés sont en place car les fonds verts et les obligations vertes se sont développés en puissance. Il y a une dynamique de la finance verte qui s’est mise en place. Mais le Roi du Maroc a raison sur la question du Fonds bleu pour le bassin du Congo, c’est un sujet majeur, c’est la définition d’un projet intégré au tour d’un espace territorial très sensible où nous constatons tous les dégâts du réchauffement climatique en particulier sur l’eau. Si nous arrivons à démontrer la faisabilité d’un projet qui intègre plusieurs pays autour d’un bassin hydraulique ça serait un formidable espoir. Nous avons le même projet au tour du lac Tchad, du Nil mais aussi au Sénégal. Les bassins hydrographiques sont des sujets clefs, c’est la question du manque d’eau qui va aujourd’hui être la plus violente et qui suscite les plus grands déplacements de population.
Comment accompagner les États pauvres, notamment africains, dans leur lutte contre le réchauffement climatique ?
Il faut des transferts de technologie, cela commence comme nous le voyons avec l’alliance solaire internationale qui est très opérationnelle. Après, dans le cadre des coalitions, les États africains se regroupent entre eux et prennent également des initiatives.
Le climat peut-il devenir une priorité dans la coopération France-Maroc et qu’est-ce qui pourrait être fait dans ce domaine entre les deux pays ?
La coopération entre la France et le Maroc est déjà très avancée, en particulier dans le domaine du solaire, mais aussi pour l’isolation des bâtiments et l’architecture. Il y a beaucoup à apprendre au Maroc en termes de savoir-faire. La coopération entre les deux pays existe sur diverses questions d’énergies renouvelables, d’autant plus que le Maroc est un fer de lance sur les questions d’énergies renouvelables en Afrique.
Entretien exclusif paru dans le magazine L’Observateur du Maroc et d’Afrique du 21 septembre 2018
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via Abdo El Rhazi Entretien exclusif : Les mises en garde de Ségolène Royal (intégral)
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