A la frontière entre le Fado et le Flamenco, la cantatrice basque surnommée « la voix nue » nous parle de son dernier album « Delirio » en duo avec Pepe Rivero. Un condensé d’émotions où coexistent l’instable, l’interdit, le fragile et la complicité.
Qu’elle aborde le flamenco, les mélodies basques ou les chants populaires castillans, Maria Berasarte efface avec sa voix envoûtante et mélancolique toute frontière. Intronisée au Fado et aux chants de Lisbonne par le mythique Carlos de Carmo, la chanteuse espagnole accompagnée par le lumineux Lisboa String Trio s’est produite pour la seconde fois à Rabat lors de la dernière édition de Mawazine, placée sous le thème « De târ, sitar à guitare ». Une sorte d’orchestre de chambre constitué d’une contrebasse acoustique, d’une guitare classique et d’une guitare portugaise à la signature sonore si particulière. Appréciée pour sa grande interprétation de musique ibérique notamment le Fado, Maria Berasarte a de nouveau emporté le public dans un voyage d’émotions sans frontière, avec des chants authentiques, tempéraments, couleurs et musiques de la Méditerranée et de l’Atlantique.
C’est la 2e fois que vous vous produisez à Rabat. Vous êtes un peu habituée à ce lieu magique de Chellah ?
Oui, je suis ravie de me retrouver à nouveau à Chellah mais je reviens cette fois-ci avec différentes musiciens comme José Peixoto à la guitare classique, Carlos Barretto à la contrebasse et Bernardo Couto à la guitare portugaise. Cet endroit est magnifique, il est très inspirant, cette nature en plein air, c’est juste magnifique. L’architecture ressemble un peu à ce qu’on retrouve à l’Alhambra à Grenade. J’aime bien chanter dans ce genre d’endroits parce que c’est chargé d’histoires, c’est vraiment frôler la perfection pour un chanteur, tout cela mixé à la sonorité de l’océan de Lisbonne et ma voix bien sûr.
Pourquoi le Fado ?
C’est la question qu’on m’a posé toute ma vie. Je crois que le Fado a croisé mon chemin quand j’étais adolescente et élève au conservatoire et que j’écoutais de la musique classique ; je ne savais même pas qu’il s’agissait du fado, ou même de la langue portugaise. Le Fado a toujours été très inspirant pour moi, j’ai alors commencé à le chanter avec mes amis, puis, je me suis mise à interpréter de plus en plus des classiques, et par la suite, je me suis mise à chanter de la musique portugaise en général, parce que je la trouve magnifique. En fait, dans ma musique se croisent des traditions, des tempéraments, des couleurs – la houle du fado – … et actuellement, je chante dans un groupe portugais Aduf, un quintet lisboète, composé de musiciens tels que José Salgueiro, Joao Gil ou encore Paulo Carvalho.
Vous vous sentez plus proche du Fado ou du Flamenco ?
C’est impossible à dire. J’ai l’âme plus flamenco, au plus profond de moi-même, j’ai beaucoup de caractère…Quand j’ai de la peine et que je commence à pleurer, c’est vers le Fado que je me tourne, cela dit, le Flamenco me réconforte aussi. Le Fado pleure pour toi, le Flamenco est le meilleur moyen de résister, de vivre, …Je chante souvent la saudade, l’amour inaccompli, la jalousie, la nostalgie des morts et du passé, la difficulté à vivre, le chagrin. Le fado me parle, probablement pour sa mélancolie. Et puis, j’adore la langue portugaise, et donc, j’ai toujours eu une relation très particulière avec ce genre musical. Ceci étant, je me considère plus comme une chanteuse et interprète d’histoires et de sensations. Je cherche à me concentrer sur les émotions dans une quête permanente du soi. Aucun genre musical ne me représente réellement, ils constituent tous une partie de ma vie et de mon histoire musicale.
Les chanteurs qui vous ont donné envie de chanter le Fado ?
C’est sans doute Carlos de Carmo, c’est le « Monsieur Fado » par excellence. Je trouve qu’il a beaucoup de charme et de charisme, il s’investit totalement dans ce qu’il fait et il continue à le faire avec passion et amour. J’ai toujours été séduite par son authenticité et la liberté que procurait son chant. Vous savez, le plus difficile dans notre profession, c’est d’être libre dans ce qu’on fait, et lui, émotionnellement parlant, c’est un grand maestro.
Après « Subita », vous sortez un nouvel album « Delirio » en duo avec le pianiste cubain Pepe Rivero.
Oui, d’ailleurs, Pepe Rivero s’est produit sur la scène Bouregreg lors de la dernière édition de Mawazine. C’est un album sur le fait d’être libre dans la musique, et de pouvoir le faire dans plusieurs endroits différents. Il présente un univers musical plus large avec des chansons tombées dans l’oubli que nous voulions ressusciter avec notre propre langage, pour procurer au public plus de frisson.
Vous avez choisi Pepe Rivero pour avoir plus de punch cubain ?
Vous savez, il n’y a pas forcément plus de rythmes cubains dans cet album. Entre la musique européenne et américaine, on se situe dans un endroit intermédiaire, un jardin musical différent où on cultive notre style. « Delirio » est un croisement entre deux mondes, deux continents musicaux et qui ont en commun l’amour pour la musique classique, la passion pour le jazz et l’attachement aux racines. Il est composé de chansons connues comme « Ces petites choses » de Joan Manuel Serrat, « Je ne t’aime pas » de Kurt Weill, « mode de vie Estranha » de Amália Rodrigues ou « Txoria Txori » de Mikel Laboa.
Vous connaissez un peu la musique marocaine ?
Je connais un peu la musique nord africaine en général, mais je ne connais pas bien les artistes. Vous savez, en Andalousie, la musique arabe est très importante pour nous, et le Flamenco est en grande partie inspiré d’elle. J’ai d’ailleurs interprété deux chansons du grand poète espagnol Federico Garcia Lorca, qui constituent l’illustration parfaite de cet héritage millénaire que représente la ville de Grenade en Espagne. Nos chansons sont inspirées des ruelles, du palais de l’Alhambra, d’Albaicin, des senteurs et des fleurs de cette ville.
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via Abdo El Rhazi Maria Berasarte « Je suis dans une quête permanente de soi » (Interview)
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