Vivant entre Bruxelles, Paris et New York, la belgo-marocaine Leona Erziak réputée pour ses sacs à mains sophistiqués, s’est rapidement fait un nom dans le cercle très fermé des chausseurs de luxe. Ses souliers sexy, chics à la touche « edgy », mêlent la sobriété belge aux influences marocaines et le glamour old-hollywoodien avec l’expertise italienne. Rencontre avec la créatrice de Léna Erziak, celle qui sait magnifier la femme et la sublime dans toute sa complexité.
Entretien réalisé par kawtar Firdaous
Parlez-nous un peu de votre marque Made in Italy ?
Lena Erziak est l’histoire d’une femme qui rêve de magnifier les femmes. L’ADN de la marque s’inspire du vieux Hollywood avec un twist de modernité. Elle est glamour et féminine avec un côté « edgy » (avant-gardiste). Précieuse mais jamais prétentieuse. Et pour la produire, l’Italie s’est imposée pour des raisons évidentes ; c’est le berceau de la maroquinerie et des meilleurs artisans au monde qui ont un héritage et un savoir-faire millénaire.
Racontez-vous votre histoire avec la Mode ?
Depuis toute petite, j’adorais jouer avec les chutes de tissus que ma mère utilisait pour la fabrication des caftans mais aussi des vêtements occidentaux qu’elle façonnait. J’étais fascinée de la voir transformer un simple bout de chiffon en pièce exceptionnelle. Je me rappelle de l’engouement et la joie de ces femmes qui venaient essayer leurs pièces. J’étais dans le mimétisme le plus complet, c’était donc une évidence même si j’ai bifurqué avant d’oser réaliser mes rêves.
Que représente la Mode pour vous ?
La mode est une forme d’art et de moyen d’expression. Une manière de s’évader et de se réinventer selon nos humeurs et désirs. Néanmoins, je préfère parler de style plutôt que de mode car il y a une connotation de frivolité et de superficialité dans le terme Mode qui m’exaspèrent. Tandis que le style est plus une attitude, une dégaine, un « mood » qui lui, me semble plus authentique et traversera donc les diktats de la mode.
Vous vivez entre Bruxelles, Paris et New York. Que représente New York pour vous ?
Bruxelles est la ville qui m’a vu naitre et m’a formée, mais NYC m’a appelée. La big apple est ma home base depuis de nombreuses années mais j’ai aussi un pied à terre à Paris. New York est l’une des villes les plus fabuleuse que je connaisse. L’énergie y est grisante et palpante. Tout le monde y vient d’un autre endroit du monde ou d’une autre région des USA avec des sacs pleins de rêves. C’est un fabuleux melting-pot ou les accents, les genres se mélangent. Les New Yorkais sont des rêveurs, des bosseurs acharnés. C’est aussi une jungle de béton mais paradoxalement, j’y ai rencontré beaucoup d’humanité et de douceur. C’est une ville qui m’inspire de manière indéniable.
Avant, vous faisiez des sacs à mains de luxe. Puis vous avez bifurquez vers les chaussures en 2017. Pourquoi ?
La vie m’a forcé à faire une pause en pleine ascension. Je traversais un tsunami émotionnel et je n’avais plus la forcer de continuer. Il y a des créateurs pour qui la douleur est un moteur et une source d’inspiration, pas pour moi, quand je souffre, je n’arrive plus à rêver et donc à créer. Après un hiatus de 3 ans, j’étais consumée par le désir de créer et donc, j’ai écouté ma petite voix intérieure et suis revenue. Je suis une collectionneuse invétérée de chaussures sans être une Imelda Marcos. Il y a aussi peut-être une raison Freudienne à cela mais je ne me suis jamais vraiment penchée sur la question.
Comment la chaussure peut-elle influencer la silhouette femme ?
La chaussure à talon change votre cambrure, transforme votre démarche et votre posture mais aussi la manière dont vous bougez dans l’espace. Elle vous donne une démarche plus féline, des jambes interminables et un magnifique port de tête. Vous vous sentez plus féminine et donc tout cela peut accentuer votre confiance en soi. Ce n’est pas un hasard si les talons étaient autrefois réservés aux rois et à la noblesse. Ceci dit, je conçois qu’on puisse se sentir féminine en talon plat ou en paire de baskets. Ce qui est important, c’est de s’écouter et de ne jamais se sentir déguisé.
Vos sacs à mains ont été portés par les stars du monde entier : Beyoncé, Jennifer Lopez, Katy Perry, Mamie Gummer, Eva Longoria, Diane Kruger…Cela fait quoi d’être reconnue par des stars planétaires ?
Au début, je me suis souvent demandée si tout ceci était bien réel et si je n’allais pas me réveiller et découvrir que c’était juste un rêve. Je réalise ma chance et c’est effectivement jouissif, mais ce que je trouve encore plus jouissif, c’est de me promener aux quatre coins du monde et de voir de parfaites inconnues porter mes créations. Ça me fait toujours sourire et je crois que ne je m’y habituerai jamais et tant mieux d’ailleurs.
Comment vos origines marocaines ont pu influencer vos créations ?
Même si je suis très fière de ma double culture et héritage Belgo-marocain, je me sens citoyenne du monde et me sens aussi bien chez moi à NYC qu’a Paris, Marrakech ou Bali. Comme une tortue, j’ai porté pendant de nombreuses années, ma maison sur mon dos. Je me sens donc chez moi dans beaucoup d’endroits à travers le globe. Je m’inspire énormément de mes voyages qui me marquent de manière indélébile, néanmoins, j’essaye de ne pas trop intellectualiser mon processus de création et fonctionne plus au feeling.
Votre maman était couturière de caftans. Vos chaussures peuvent-elles être portées avec des caftans ? Peuvent-elles allier tradition et modernité ?
Sacs Lena Erziak portés par les stars
Ma maman était couturière de caftans et de vêtement occidentaux également. Oui complètement, je pense que la femme marocaine aspire à la modernité et ne porte pas que des babouches, c’est certain.
Lorsque je crée, je focalise plus à magnifier toutes les femmes. J’aime que les femmes se sentent libres, belles, et en possession de leur plein pouvoir. Les femmes sont libres de mixer mes créations avec des caftans, kimonos, jeans ou tee-shirt. C’est en fonction de leurs feelings, leurs envies.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je m’imprègne énormément d’art, d’architecture, d’histoire, de vintage, de différentes cultures, de mes voyages et de mes muses mais aussi parfois de parfaits étrangers qui passent que j’observe goulument assise à la terrasse d’un café. Une collection peut également naitre d’un sentiment. Actuellement, je rêve de faire la fête et de célébrer la vie post-Covid. Je pense que la prochaine collection sera un hymne à la vie, à la fête. Quand je crée, je raconte un songe, un rêve qui sont souvent imprégnés de tout cela. Une fois que je réalise le « mood board » (collage de textes, images et objets…), je trouve le fil rouge, le lien conducteur pour ensuite livrer mon histoire. Après, je recherche les matériaux que je vais utiliser puis je réalise le moule de la chaussure -premier échantillon- mais ce sont toujours les talons qui définissent la donne. En fait, l’une des phases les plus exaltantes est que celle de voir un rêve qui nous habite prendre forme et devenir réalité.
A qui s’adresse vos créations ?
La femme Lena Erziak est une amazone des temps modernes. Elle est libre et assume sa féminité sans aucun complexe. Elle est tout et son contraire. Elle est maman ou pas. Elle est edgy mais intello. Elle peut être entrepreneur, artiste ou une sirène. Elle est multi layers et on ne peut pas la mettre dans une case.
Quels sont les matériaux que vous affectionnez les plus et pourquoi ?
J’ai un penchant pour le cuir car les chaussures sont censées être solides et nous porter pendant de nombreuses heures dans la journée ou la soirée. Mais j’adore aussi tout ce qui est raffiné comme le velours, la soie, le bidding. J’adore ces matériaux car ils donnent une nouvelle dimension à toute création. J’aime jouer avec les ambivalences, les contradictions de mélanger des codes féminins aux codes masculins, le tout dans une parfaite harmonie.
Vous avez une grande admiration pour Azzedine Alaia. Pour quelles raisons ?
Azzedine Alaia était un véritable visionnaire et un homme remarquable. Il était un réel artiste. Il construisait chaque pièce è la main. En plus d’être un couturier, il était un sculpteur qui aimait les femmes. Ses créations ont traversé le temps. Son côté non conformiste me touchait particulièrement, il a été le premier à refuser de se plier au calendrier assez hectique de la mode. Une révolution à l’époque ! Je crois qu’il faut être un grand homme, un seigneur pour avoir le courage de ne pas se plier aux normes. Je sais de source sure qu’il adorait recevoir dans sa cuisine et mijoter des mets pour ses invités dans son hôtel particulier du Marais, à Paris. Alaia était un avant-gardiste, un talent exceptionnel, une belle âme.
Vous affectionnez particulièrement la marque Manolo Blahnik ?
Je suis une fervente admiratrice de Manolo Blahnik. C’est l’empereur de la chaussure qui m’a inspiré et poussé à faire ce métier. Ses pièces ne sont pas des chaussures mais des petites œuvres d’art. Certaines me font penser à des mini sculptures. Souvent, les hommes qui chaussent les femmes, fantasment sur la femme mais n’ont aucune idée de ce qu’est d’être une femme aujourd’hui. Nous sommes multi terrains et désirons réussir à tous les niveaux. Nos familles, notre job, tout est important. Nous ne pouvons pas faire tout cela perchées sur des talons de 15 cm, et qui plus est sans confort. Blahnik a rarement créé des chaussures qui font plus de 10 cm, ses créations sont d’une grande beauté, elles sont hyper confortables, pour moi c’est une indication certaine qu’il nous aime.
Quelle définition donneriez-vous à la beauté ?
La beauté c’est tellement subjectif… mais j’ai enfin compris que la véritable beauté c’est l’élégance de l’âme.
Et à la perfection ?
Je ne suis pas une grande adepte de la perfection même si j’ai toujours le désir de toujours bien faire les choses que j’entreprends. C’est l’imperfection que je trouve intéressante et occasionnellement bouleversante. Comme le disait Feu Leonard Cohen dans l’une de ses chanson “Anthem” : There is a crack, a crack in everything, that’s how the light gets in (Il y a une fissure dans tout, c’est comme ça que la lumière entre).
Quel est selon vous le secret de la réussite ?
Pour moi, c’est d’être en bonne santé et d’être entourée de l’amour des miens. Avoir la chance de me réveiller le matin et de faire ce que j’aime. Pour ce qui est de la réussite sociale, j’ai eu des succès et des échecs et même si le succès est orgasmique, ce sont hélas les échecs qui m’ont forgé et appris un tas de choses. Il n’y a pas de secret pour la réussite, il y a des chemins de vie et des gens qui essayent de toute leurs forces. Certains plus chanceux que d’autres mais le voyage est plus intéressant que la destination finale.
Comment voyez-vous l’évolution de votre marque ?
Nous travaillons sur une seconde ligne un peu plus contemporaine. En plus des labels privés, nous préparons une capsule collection couture qui sera présentée au prochain festival du film de Cannes. Il y a aussi un projet pour une ligne de cosmétique bio faite par des coopératives de femmes au Maroc. Ce dernier me tient à cœur car je voudrais ardemment soutenir ces femmes grâce à l’entreprenariat. Et si jamais elles comprennent l’importance de l’éducation et envoient leurs enfants à l’université, alors j’aurais accompli quelque chose d’essentiel.
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Abdo El Rhazi Leona Erziak. « La véritable beauté c’est l’élégance de l’âme »