En France, la rentrée politique de 2016 est chargée. En réponse à une année 2015 maudite, puisqu’elle a connu les attentats les plus meurtriers jamais commis dans le pays, François Hollande propose une révision de la constitution «pour permettre aux pouvoirs publics d’agir, conformément à l’Etat de droit, contre le terrorisme de guerre».
Trois jours après les attaques du 13 novembre à Paris, le Président français s’était exceptionnellement exprimé devant le Parlement réuni en congrès à Versailles. Le Chef d’Etat français a annoncé sa volonté d’étendre la déchéance de la nationalité aux binationaux nés Français et condamnés pour terrorisme.
Pour le moment, cette mesure ne concerne que les «Français naturalisés». La société française qui se «droitise» et qui vit encore dans un climat anxiogène approuve largement l’annonce de François Hollande. Selon un sondage OpinionWay pour Le Figaro, 85% des Français se disent favorables à la proposition du chef de l’État, elle est même approuvée par 80% des sympathisants socialistes.
Pourtant, deux mois après son discours, nous sommes loin de la standing ovation accordée au Président Hollande par les parlementaires. L’idée divise plus que jamais. La mesure fait débat dans les rangs des différentes formations politiques.
A gauche, on se déchire et certains souhaitent une extension de la déchéance à tous les Français, alors qu’à droite on revendique la paternité de l’idée.
La déchéance de nationalité pour tous est-elle juridiquement applicable ?
Initialement, le projet de réforme défendu par François Hollande concerne les binationaux nés Français mais l’idée a, depuis, fait son chemin. Une telle mesure implique de fait une inégalité entre les Français. Plusieurs voix politiques de gauche ont condamné cette proposition qui va de facto créer deux catégories de citoyens.
Plutôt que de renoncer à cette mesure dont l’efficacité reste à démontrer, les élus PS, par souci d’égalité et à la recherche d’un compromis, préfèrent aller plus loin et déchoir de la nationalité tous les terroristes français, indépendamment du nombre de nationalités qu’ils peuvent avoir. Une sorte d’égalité devant la loi dans le traitement des terroristes.
L’exécutif a jusqu’à présent rejeté en bloque l’idée de l’extension de la mesure à tous les Français. Mais, une fois n’est pas coutume, Rue Solférino, un autre son de cloche se fait entendre. Pour Jean-Christophe Cambadélis, la déchéance de la nationalité pour les binationaux nés Français n’est pas «une idée de gauche». Le premier secrétaire du Parti Socialiste (PS) se dit plus favorable à une «indignité nationale», ce qui revient à une privation des droits civiques; tout en précisant à l’AFP «on peut continuer sur la déchéance de nationalité (…) mais à ce moment-là, il faut qu’elle soit ouverte à l’ensemble des Français».
Le président du groupe socialiste à l’Assemblée abonde dans le même sens. Bruno Le Roux adhère à l’idée de déchoir de sa nationalité française tous les individus «qu’ils soient binationaux ou pas». Pour le gouvernement, cette suggestion soulève un autre problème, celui de la création d’apatrides. Or les engagements internationaux signés par la France interdisent de rendre une personne apatride. Ce recours est notamment incompatible avec la convention onusienne de 1961 sur la réduction des cas d’apatrides. Parallèlement aux conventions internationales signées par la France, l’article 15 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, prévoit que «tout individu a droit à une nationalité».
Néanmoins, pour le constitutionnaliste Didier Maus, que l’on a joint par téléphone, les engagements internationaux ne sont pas contraignants juridiquement. «La convention internationale de 1961, qui interdit de créer des apatrides pour des raisons morales, a été signée mais jamais ratifiée par la France. Une convention non ratifiée n’est pas applicable, cela signifie que juridiquement, nous avons le droit de créer des apatrides. La Déclaration Universelle des droits de l’Homme n’est pas non plus un texte juridiquement contraignant».
La France pourrait donc déchoir de sa nationalité un mononationale ? Le problème peut toutefois se poser au niveau européen. La France a ratifié la convention du Conseil de l’Europe de 1997, seul texte qui soit vraiment contraignant pour Didier Maus : «La convention européenne des droits de l’Homme ne contient rien sur l’acquisition ou la perte de la nationalité. Toutefois nous pouvons considérer qu’en créant des apatrides, la déchéance de nationalité est attentatoire à la dignité humaine puisqu’elle crée des sous-citoyens. Par un raisonnement à étapes successives, nous pouvons considérer que c’est contraire à la convention européenne des droits de l’homme.»
Un débat plus politique que juridique
Au regard de la division de la majorité sur la question, le gouvernement aura besoin des voix de la droite pour voter cette mesure inscrite dans le projet de loi de révision constitutionnelle. François Hollande a besoin du soutien des 3/5ème du Congrès, qui rassemble l’ensemble des parlementaires pour inscrire dans la constitution les changements qu’il souhaite.
La position de Nicolas Sarkozy était alors très attendue. A l’issue du bureau politique du parti Les Républicains, réuni mercredi 6 janvier, le chef de l’opposition a apporté son soutien à une révision constitutionnelle pour la déchéance de nationalité mais pose ses conditions. L’ancien Président de la République s’est prononcé en faveur de l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français, mais contrairement à la position de François Hollande, il souhaite que la déchéance soit également prononcée dans les cas de «délits de terrorisme» et pas seulement pour les crimes.
En revanche, Nicolas Sarkozy s’est dit opposé à l’idée de déchoir tous les Français pour ne pas créer d’apatrides. Il préfère se limiter aux binationaux. Son rival à la primaire républicaine, Alain Juppé a, lui, une position moins tranchée. Le maire de Bordeaux confie au JDD que s’il était parlementaire, il voterait le projet de réforme de la constitution qui prévoit d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français tout en jugeant cette réforme «peu utile» et peu «efficace». Les déclarations de Juppé sur l’efficacité d’une telle réforme font échos à celles de plusieurs cadres politiques de droite comme de gauches qui évoquent une mesure symbolique et politique. Le symbole a-t-il alors sa place dans la constitution ?
Le constitutionnaliste Didier Maus reconnait son incompréhension lorsqu’il entend les déclarations des politiques : «Je ne comprends pas pourquoi certains disent qu’il faut absolument adopter cette réforme alors qu’ils avouent en même temps que ça ne sert à rien. Tout ça ne sert concrètement à rien mais nous sommes dans le domaine du symbole. Quand nous parlons d’une question symbolique, le risque c’est d’y perdre des plumes et d’y laisser un peu de nous-mêmes!». Le vrai symbole, reconnu par tous, c’est la France pays des droits de l’homme. Alors comment la France qui s’autoproclame patrie des droits de l’Homme depuis 1789 peut-elle voter une loi qui instaure une inégalité parmi ces citoyens ou qui, pire encore, risquerait de créer des apatrides ?
Le problème est bien là. La question n’est pas strictement juridique. Un changement de constitution peut effectivement faire voler en éclats plusieurs obstacles mais la France ne risque t-elle pas de perdre plus ? Que faire de la tradition républicaine française qui dans l’esprit général surplombe les traités internationaux, ratifiés ou pas ? Cette réforme de la constitution risque d’être le Patriot Act français, toutes choses égales par ailleurs.
Le Président français François Hollande devant le congrès, le 16 novembre dernier.
via Abdo El Rhazi Polémique autour du «Patriot Act français»
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