Par Naïm Kamal
Coup sur cou, l’audiovisuel public s’est retrouvé sous les feux de la rampe. Le premier coup de semonce est venu de l’interruption pendant une heure de la retransmission de 2M sur Nilsat. Pour brève qu’elle fut, la coupure a fait remonter à la surface les difficultés dans lesquelles se débattait la chaine depuis plusieurs années.
La deuxième alerte est partie de la Cour des comptes, les juges que pilotent Driss Jettou ayant considéré que la situation financière délicate des deux sociétés publiques de l’audiovisuel était délicate, précisant que « le résultat net de la SNRT s’est dégradé de façon considérable en 2012 ». Le rapport de la Cour a noté toutefois que 2M a connu « une détérioration encore plus grave car elle enregistre depuis 2008 des résultats négatifs […] ce qui l’empêche de procéder aux investissements indispensables pour moderniser ses diverses structures». Relevant aussi que le Pôle public décidé en 2006 après avis favorable de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), n’a pas encore vu le jour, la Cour des comptes a estimé que « ce pôle pourrait induire une nouvelle dynamique dans le secteur, à travers la modernisation et l’équipement des structures et engendrer la complémentarité et la synergie dans leurs activités, surtout dans le climat de forte concurrence des chaînes satellitaires étrangères.»
Faut-il le souligner, c’est sur cet argumentaire que la HACA s’est fondée pour émettre un avis favorable à la constitution de ce pôle avec l’arrière-pensée de lui permettre de faire face à la libéralisation du secteur de l’audiovisuel qui pointait son bout de nez.
Sur ce surviennent les rumeurs sur le prochain départ volontaire de Samira Sitaïl, directrice générale Adjointe de 2M, désireuse d’aller reprendre des études en France, tant il est vrai qu’on n’en finit pas d’apprendre. C’est maintenant, avec un abus de théâtralisation, chose actée. Surnommée la « dame de fer » de la chaine de Aïn Sabbaa, qu’elle a intégrée tout à ses débuts en 1990, Mme de Sitaïl comme l’aime parfois l’appeler ses amis, y a fait toute sa carrière. Elle peut s’enorgueillir, comme en témoigne le long communiqué annonçant son départ, d’une contribution dense aux heures de gloire de la chaine. Elle a certainement aussi sa part de responsabilité dans l’état actuel de 2M. Mais là n’est plus l’essentiel.
C’est le devenir de l’audiovisuel public, et au-delà, du paysage audiovisuel marocain tout court qu’il est urgent de s’occuper. Au niveau de la radio, la libéralisation a connu un succès inégal, révélant dans certains cas ce que malheureusement la société marocaine recèle comme lie. En même temps elle a réussi à mettre fin à la domination de la radio américaine Sawa qui commençait à monopoliser l’audience marocaine, la soumettant à une ligne éditoriale soumise à la doxa américaine.
En revanche, l’audiovisuel public est resté étranger à cet engouement pour la libéralisation. Otage d’un étau où s’entrecroisaient le sécuritaire mal compris, la médiocratie rentière, l’autocensure d’un autre âge et le tentacularisme à la fois égotique et égoïste de certains intervenants du secteur, il n’a pas été en mesure de tenir son pari programmatique et financier. La HACA de l’époque porte sa grande part de responsabilité dans cet échec. Elle n’a ni pu ni su mettre l’entreprise de libéralisation à l’abri de certaines querelles dans les allées du pouvoir. Même Medi 1 Tv, alors encore Medi 1 Sat s’est égarée dans une politique généraliste avant que le tandem Kheyar-Dahbi ne vienne mettre en œuvre la volonté de l’Etat de la recentrer sur son créneau fondateur, un des plus difficiles, les tout infos. L’intention n’est pas de faire le procès de qui que ce soit ou de jeter le bébé avec l’eau du bain. Qu’il s’agisse d’Al Oula ou de 2M, les deux chaînes comptent dans leur actif des émissions phares qui font le bonheur des téléspectateurs. Au faîte du mouvement 20 février, qui a suscité une libération de la parole sans précédent, elles ont donné la mesure de ce que peut être un audiovisuel en phase avec son environnement, réactif à ce que s’y déroule, capable d’être des exutoires aussi bien que des catalyseurs des énergies. Malheureusement, l’un dans l’autre, ces aptitudes restent l’exception. Sans doute aussi que dans une société tiraillée par ses démons et par ses anges, par des courants passéistes et d’autres de par trop progressistes, soumise à une multitude de lignes rouges, il est difficile de tirer de l’audiovisuel son meilleur. En même temps, rien n’explique que des audiovisuels de pays culturellement et sociétalement comparables arrivent à produire des programmes capables de capter l’audience nationale. C’est le cas, entre autres, de la Turquie et des Etats du Golfe. Deux entraves handicapent l’audiovisuel marocain : La libération de la créativité qui n’est pas nécessairement libertinage, l’élargissement des espaces de l’expression qui n’est pas forcément subversion et le financement dont dépendent pour beaucoup les compétences et la qualité de leur production. C’est dire un truisme de répéter que l’audiovisuel dans lequel il faut naturellement inclure le cyberspace contribue grandement au développement culturel et à la formation de l’opinion publique. Il est un intrant essentiel dans la consolidation du lien social et national. Ce qui en fait un pan de la sécurité nationale.
Les puissances que compte le monde l’utilisent abondamment pour façonner les opinions, manipuler les évènements, orienter les réflexions, diaboliser des régimes, condamner des hommes, provoquer des révolutions… La manière dont la chaîne Al Jazeera, livrée à un dessein élaboré ailleurs, a été utilisée pour faire bouillir la rue arabe et contribuer au déclenchement dans ce que l’on a appelé à tort le printemps arabe, prouve à ceux qui en douteraient encore, ce qu’une chaine de télévision peut faire. Naturellement le Maroc n’est pas dans cette perspective, ni sa taille ni son économie ne le qualifient à de semblables entreprises. Par contre il doit impérativement inscrire sa politique audiovisuelle dans un horizon efficacement défensif. Et considérer que de la même manière qu’on ne demande pas à son armée d’être économiquement rentable, mais de protéger le pays contre toute incursion, on ne peut exiger de l’audiovisuel public de faire des bénéfices, ou d’être dans le perpétuel besoin de joindre les deux bouts. On n’installe pas des rampes de missiles anti-aériens pour produire des actifs à la bourse, mais pour être opérationnelles et efficaces pour parer aux agressions potentielles. Le parallèle peut paraitre abusif. Il n’en est rien tant il s’agit d’immuniser les marocains de « le-pensé-ailleurs » dans toute sa diversité. Sans aucune fermeture sur soi ni rejet de l’autre, mais dans la préservation des constituants de son moi.
En établissant son rapport, la Cour des comptes s’en est tenue à sa mission : relever ce qui a été fait ou pas par rapport aux engagements pris. Elle a cependant outrepassé d’une certaine manière ses prérogatives en ligotant l’avenir de l’audiovisuel public à une décision prise il y a treize ans dans la conjoncture d’il y a treize ans. Nonobstant, il constitue une invitation à réfléchir autrement l’avenir de l’audiovisuel. Une urgence qui ne peut plus se contenter d’intentions et de professions de foi.
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via Abdo El Rhazi Libre cours
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