Wednesday, February 17, 2021

La chose, la symbolisation et l’establishment en Algérie

 

Par Mamoun Moubarak Dribi

 

Il ne suffit pas de créer des institutions pour que la dimension de représentation au niveau de l’ordre symbolique fonctionne.

Bien entendu, je parle d’un ordre symbolique humaniste. Car chaque système institutionnel dispose d’un ordre symbolique qui lui est propre. Mais celui qui nous intéresse, est celui qui permet à la notion de sujet d’émerger, à la dignité humaine d’exister, et aux particularités individuelles de s’exprimer, dans le respect de soi et de l’Autre. A défaut de cet ordre symbolique humaniste, il n’y a pas d’autres choix, c’est soit le despotisme, soit la perversion.

Un système n’existe pas en tant que tel tout seul ! du moins jusqu’à présent. Le jour où il y aura suffisamment d’intelligence artificielle, peut-être, on pourra se passer de l’humain. Ce jour venu, il faudra s’attendre au pire…

Dans le cas échéant, quand on parle d’un système, on trouve des hommes et des femmes qui le portent !! avec leurs être et leurs structures. Ce sont ces structures qui transparaissent en tant que vérités sous-jacentes certes. C’est ce qui donnera naissance à de terribles symptômes.

 

En Algérie, les tenants lieux du système sont là depuis toujours. Ils érigent et placent certains hommes et femmes, civiles ou ayant l’apparence qui portent un certain discours, de haine et de paranoïa et qui jouent une certaine représentation politique destinée à représenter leurs maitres de manière qui puisse apparaitre comme étant vraie. C’est-à-dire qui incarne la vérité de la République Algérienne Démocratique Populaire.

 

Le président algérien et son chef d'Etat-major Saïd Chengriha.

Le président algérien et son chef d’Etat-major Saïd Chengriha.

 

Représentation réelle ou jeu de marionnettes ?!

Le président algérien, le premier ministre algérien, et presque tout le gouvernement algérien, quel pouvoir ont-t-il réellement ?

La question que je pose ici se place au-delà du jeu politique et institutionnel en Algérie. Cette question concerne les Algériens eux-mêmes. Le niveau que j’interroge se situe dans la dimension du réel, et ce qu’elle présente comme défi, à la symbolisation (une symbolisation complète autant que possible) de ce réel, de ses particularités, de ses dynamiques, de ses statiques, de ses accélérations, et de ses changements et mutations. La question ici s’appelle en analyse «Réel, Réalité et Relation d’Objet ». Ces notions fondamentales permettent au sujet humain d’appréhender le réel, et d’appréhender la relation à l’autre, un autre semblable et différent. Or cette relation au réel, dépend d’abord de la formation du moi, et la formation du moi dépend de l’intégration d’un système symbolique et de l’intégration de l’image de l’autre. C’est à ce niveau-là que je vais analyser la notion de la chose.

La chose signifie littéralement ce qu’il en est…

La chose qu’elle soit publique, ou personnel, dépend du même registre. Il s’agit de symbolisation, pas seulement au niveau intellectuel, mais de son inscription. Une symbolisation est destinée à réussir ou à échouer au niveau de son accès à l’inconscient. L’échec ou la réussite dépendent des effets de certaines structures telle que Lacan les a analysées après Freud (la Versagung  : manquer, lâcher, céder ; la Bejahung : l’affirmation ; la Verneinung : Négation ; la Verwerfung : Forclusion)

La symbolisation qui va réussir est celle qui s’est structurée autour d’un ordre symbolique au-delà du réel et au-delà de l’image et au-delà de la nomination. Lacan dit « le nom c’est le temps de l’objet », un temps bien éphémère hélas !

La nomination a besoin d’accéder à une inscription, seul l’inconscient permet d’opérer de telle inscription. Or pour se faire seule la chaine signifiante dans son rapport à la chaine signifiée, toutes deux prisent dans l’ordre symbolique permettent à la mémoire psychanalytique d’opérer. Cette mémoire dont nous parle Lacan permet à travers la ronde de la chaine signifiante de venir continuellement signifier un signifiant, et de le signifier dans un espace psychique où sont structuré le moi, l’Autre, le message et l’objet (métonymique). Toute signifiance qui se fera en dehors de cet espace apparaitra comme hallucinations, donc comme délire.

Lacan a toujours dit que le signifié on ne l’agrippe jamais !! la signification ne s’obtient que dans le rapport d’un signifiant par rapport à un autre signifiant. Noter bien le jeu institutionnel !! De plus quand il va avancer son fameux théorème : « L’inconscient est structuré comme un langage », il nous révèle que la métaphore ainsi structurée s’inscrit au niveau de l’inconscient et opère au niveau de cet inconscient. Si j’ai pris autant de détours, pour placer la question de la symbolisation de la chose dans son rapport au réel, c’est pour amener une autre question tout aussi redoutable : la psychose. La faillite de cette symbolisation chez l’humain, est à l’origine de la psychose dans son rapport au registre symbolique, et à tout ce qui s’y rattache : la parole, l’échange avec l’autre, le compromis, l’amour, la haine, l’identification, et le désir…

La chose, est-ce l’apparence, l’image de ce qui apparait à nous dans le réel ? est-ce l’effet (sens et sensations) qu’il produit par l’entité qu’il est dans un certain réel plus ou moins maitrisé ? ou est-ce, par toutes les informations que nous avons de lui que nous mettons derrière son nom ? ou bien la chose, est ce qui reste bien au-delà de toutes ces instances ? comme une part de vérité plus moins inaccessible.

C’est à ce niveau-là qu’opère la symbolisation, qui dépend non seulement de capacités intellectuelles et méthodologiques, mais d’un espace psychique structuré par et dans un système symbolique humaniste.

 

Le nom du Père, le nom du Roi

La clé essentielle pour que puisse exister et fonctionner tout ce système symbolique, ayant cette portée humaniste : c’est le nom du père. Lacan précise dans son séminaire « Les formations de l’inconscient » qu’il ne suffit pas d’avoir le nom du père, mais il faut savoir s’en servir. Je ne vais pas pouvoir aborder la question du nom du père, car cela exigerait plus de rédactions.  Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il permet au jeu institutionnel que va accomplir le signifiant d’opérer, et aux significations de tenir en place. Les fondations essentielles pour le bon fonctionnement du nom du père, nécessitent d’abord le droit. Il faut qu’il ait un titre juridique qui lui confère force de loi et lui promulgue sa légitimité. Ensuite, il faut qu’il y ait la dimension d’amour. Sinon, la parole du père et ses actes resteront lettre morte. Le nom du père ne peut perdurer sans un relais symbolique, au-delà de lui, qui le prolonge et qui soutient son action de structuration. Voilà brièvement décrite l’architecture qui permet au nom du père d’opérer.

A partir de là, le sujet est structuré pour appréhender le réel, à travers une symbolisation vivante et juste (entendez par juste ayant un rapport à la justice !)

Reprenons maintenant la question de l’état Algérien et de son rapport au Maroc.

Prenons la question de la symbolisation de cette vérité proclamée « République Algérienne Démocratique Populaire » quand on sait que l’origine latin du mot République signifie littéralement la chose populaire. Vous constaterez qu’il y a là un travail de symbolisation à faire. Ce que j’entends par travail de symbolisation, c’est la question de l’inscription de la signification au niveau de l’inconscient et de son adoption par le sujet ayant pu advenir. Car bien évidemment les institutions algériennes existent et font leur travail. Comment peut se faire cette symbolisation, sans le nom du père ? est-ce que l’Etat algérien moderne à un père fondateur ? ou des pères fondateurs ? est ce qu’il y a un continuum symbolique au sein de l’état Algérien ? Bien sûr l’Algérie à une longue histoire d’hommes et de femmes exceptionnelles, qui ont marqué de leur sang et de leurs idées ce grand pays. Je ne parle pas de ça du tout. Je parle de l’Etat algérien d’aujourd’hui, ou plus exactement de ses hommes et de ses femmes qui détiennent le pouvoir et qui manifestent un tel niveau de haine et de mépris envers le Maroc.

Ces hommes et ces femmes, constitués par la junte militaire en place, peuvent-ils symboliser la question de la chose populaire qui est la République?

S’ils avaient maintenu un certain lien à la France, là, peut-être il y aurait eu un certain échange utile et fructueux tant l’histoire savante de la France en la matière est fertile. Mais nous connaissons tous la relation dans ce sens entre l’état Algérien et l’Autre. L’homme ou la femme qui incarne la détestation de l’Autre au sein de l’état Algérien prétend savoir ou croit savoir. A travers cette affirmation, il cherche à accéder aux effets bénéfiques de la Bejahung : l’affirmation ; hélas il ne suffit pas de proclamer quelque chose ! pour avoir l’inscription de cette affirmation en soi !! il y a des lois, la Bejahung qui souffre des effets d’une Versagung ne pouvant opérer. Et cette affirmation ne s’affirme pas, elle retentit sur tout le système symbolique en tant qu’annulation. D’où l’attrait à la force militaire, policière et administrative, ultime tentative de verrouillage…  Car ce qui fait défaut à la symbolisation de la chose populaire véritable par le pouvoir en place en Algérie, c’est l’autre système mis en place : celui de la horde. Toutes les nations qui se respectent énoncent clairement leurs vérités, et mettent ses vérités à l’épreuve du réel. Au Maroc on a un Roi, le peuple marocain depuis plus de 12 siècle a fait ce choix, et le proclame de génération en génération. Ceux qui connaissent véritablement le Maroc savent que c’est un pays ouvert, où les gens sont libres, et que le peuple marocain est constitué d’une mosaïque incroyablement riche et variée. Les femmes et les hommes marocains sont présents dans la vie sociale du pays. Il y a des oppositions, des différences, des contradictions, mais il y a la vie, la bonne et belle vie bien de chez nous… C’est-à-dire celle qui laisse au temps le temps, celle qui fait avancer les choses vers le changement en douceur. Le Roi pour nous est le garant de cette dynamique, il veille à ce qu’il n’y ait pas de domination ni de despotisme. Celui qui a de l’argent peut s’allier avec le politique pour que constituer un lobby, mais les Marocains s’expriment à travers les médias, et dénoncent les dérives…

La société marocaine bouge et se transforme. Le Roi est présent à travers le pouvoir réel qu’il incarne et à travers la symbolique qu’il véhicule, le tout empreint de spiritualité et de sacré. Le Roi au Maroc constitue l’ultime verrouillage, tant réel que symbolique. De ce fait, les différences se rejoignent et s’assouplissent, quand elles parviennent à lui pour adopter une position harmonieuse au lieu de s’éclater dans la discordance. C’est ce qui fait la force du Maroc face à la dérive islamiste. Le pays est ouvert, mais il est immunisé. Le Roi est le relais, le soutien exceptionnel de tout système symbolique humaniste dans le pays et bien au-delà.

Le Maroc énonce clairement sa vérité et l’assume. Le Roi dure dans le temps à travers la filiation et la généalogie.

 

Qu’en est-il au niveau de l’establishment algérien ?

 

La junte militaire peut-elle énoncer clairement sa vérité et mettre cette vérité à l’épreuve du réel ?

La réalité est connue de tous. La junte militaire peut-elle dire que c’est elle qui gouverne depuis l’indépendance de l’Algérie ?

Elle dure dans le temps comme une monarchie, au nom d’une république démocratique populaire, n’est-ce pas ?

Sommes-nous là devant une réalité vraie ou une bonne comédie bien ficelée et protégée comme il se doit ?

N’y a-t-il pas ici usurpation, non-dit et forclusion de la vérité ? et quelles sont les conséquences quand il y a usurpation, non-dit et forclusion ? Alors, il faut un scénario : « la junte militaire est la garante du droit contre la menace islamiste et contre l’oppresseur marocain, qui prive le peuple sahraoui libre de son droit légitime… ». Jusqu’à ce que la reconnaissance américaine crée la surprise !

La montée en puissance de la diplomatie marocaine en Afrique et dans le monde ne s’est pas faite à coup de budget et de communication, mais elle est l’expression d’une vérité que nous les Marocains connaissons parfaitement. Il y a un grand projet de vie au Maroc, où il y a la place pour tout un chacun.

La junte militaire en Algérie, n’est plus tranquille car la nouvelle génération d’Algériens sait parfaitement qu’il y a une faille quelque part. Entre ce qui est dit et ce qui existe, il y a une rupture.

La faillite de la symbolisation de la chose en rapport avec le réel, n’est pas sans conséquence, elle affecte et déstructure tout autour.  Croire qu’il suffit d’ériger de pseudos vérités, ou de fomenter de petites stratégies de manipulations de l’opinion pour que les choses continuent comme elles le sont, c’est commettre une grave erreur. Car le sujet cherche à advenir peu importe le prix à payer.

L’algérien d’aujourd’hui, comme l’est aussi son voisin marocain, cherche à vivre la vérité. Une vérité toute relative certes, mais une vérité autour de laquelle il peut bâtir son affirmation, d’être semblable à l’Autre, mais différent.

Croyez-vous que les hommes et les femmes de la junte militaire en place en Algérie sont capables de symboliser un tel discours, ou d’appréhender une part de vérité de ce que réalise le Maroc tant au niveau national, qu’international, africain ou Arabe ?

Personnellement j’en doute.

 

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via Abdo El Rhazi La chose, la symbolisation et l’establishment en Algérie

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