Monday, February 1, 2016

Barbara Loyer, politologue française, spécialiste de l’Espagne : «La Catalogne n’est pas le Kosovo»

Barbara Loyer

Barbara Loyer

Directrice de l’Institut français de géopolitique de l’université Paris 8, Barbara Loyer est une grande spécialiste de l’Espagne. L’année dernière, elle a co-écrit «L’Espagne en crise(s) Une géopolitique au XXIème siècle», après avoir publié en 2006 «Géopolitique de l’Espagne». Son éclairage sur le «catalanisme» ne laisse aucune zone d’ombre.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Pensez-vous que la Catalogne pourrait devenir réellement indépendante ?

Plus de la moitié des membres du Parlement catalan considèrent que la Catalogne est comme le Kosovo. Nous sommes donc face à un processus de déclaration unilatérale d’indépendance. Sauf que la Catalogne n’est pas le Kosovo et la Serbie n’a jamais reconnu l’indépendance kosovare. Et si aujourd’hui le Kosovo est indépendant, c’est parce qu’il y a eu une reconnaissance internationale et qu’il y avait un envoyé de l’ONU ayant estimé qu’il n’y avait pas d’autre solution que l’indépendance pour régler le problème kosovare. Mais la Catalogne indépendante dans le contexte international actuel n’aurait pas pareilles faveurs. Or, les indépendantistes catalans ne pourraient rien avoir sans cette reconnaissance internationale qui fait d’ailleurs partie du plan de vol du nouveau Président catalan. C’est sûr qu’il est difficile d’imaginer comment la Catalogne pourrait être un jour indépendante de ce point de vue là.

Comment se fait-il alors que les indépendantistes font comme se l’indépendance était gagnée d’avance ?

Les indépendantistes doivent se rappeler qu’ils ne sont pas majoritaires. Ils représentent 45% des votants pour les élections régionales et donc moins de la moitié des électeurs. Il est clair qu’arithmétiquement, il leur sera difficile de gagner leur pari. Ceci étant, une grande partie des nationalistes Catalans pensent qu’ils sont en train de faire l’Histoire et imaginent qu’il ne faudrait pas laisser passer cette opportunité de l’indépendance. Sauf que la situation peut tourner au vinaigre et le concept de « comme si » où ils baignent risque de se fracasser sur la réalité.

Y aurait-il des solutions possibles pour que la situation soit définitivement clarifiée ?

Tout dépendra en fait de la composition du gouvernement qui sera mis en place. Le futur gouvernement a une disposition légale qui lui permet de suspendre l’autonomie. Il pourrait alors négocier pour la tenue d’un référendum en s’inspirant de ce qui a été fait au Canada, par exemple, avec la promulgation expliquant tous les détails du processus référendaire, la formulation de l’objet du référendum, etc. Tout cela à condition que les indépendantistes catalans acceptent de se soumettre à des négociations avec le gouvernement espagnol. Mais jusqu’à présent, l’Espagne n’a toujours pas de gouvernement. C’est ce qui fait que personne ne sait pour le moment dans quel sens va le projet indépendantiste.

 

Les scénarios catastrophes que mettent en avant les responsables espagnols du côté de Madrid ne font-ils pas de l’effet sur certains indépendantistes ? Ne vous semble-t-il pas que l’enthousiasme du début est en train de tiédir ?

L’enthousiasme a en effet tiédi. C’est la raison pour laquelle les indépendantistes ont tout fait pour éviter la tenue de nouvelles élections. Si ces élections étaient tenues, elles n’auraient pas donné les mêmes résultats. S’ils se savaient sur une vague montante, les indépendantistes catalans auraient appelé à une nouvelle épreuve des urnes. Encore une fois, les résultats déjà enregistrés ont bien montré que plus de la moitié des Catalans se sont exprimés contre l’indépendance. On ne peut pas leur demander plus. Mais en Catalogne, il y a une sorte de fuite en avant plus qu’étrange de la part des bourgeoisies locales. Il y a dedans des petits patrons, mais aussi des professeurs de droit constitutionnel, des intellectuels. En somme des gens qui ont normalement les pieds sur terre. Mais il y a une dynamique collective qui s’est créée à la faveur de ces manifestations spectaculaires qui ont été organisées grâce aussi au financement ou à l’intendance offerts par le gouvernement régional. Les gens y ont cru et la suite on la connaît. Il faut savoir aussi que le nouveau Président de la Catalogne est un idéologue, contrairement à son prédécesseur qui a essayé de jouer une carte personnelle. Surtout à un moment où ont été relevés de graves faits de corruption touchant son parti. Il aspirait aussi à être le père de l’indépendance. Il y avait donc une équation très personnelle dans sa stratégie, ce n’est pas le cas pour le nouveau Président. En tout cas, on reste dans une forme d’aveuglement faisant oublier les résultats des élections régionales qui étaient loin d’être excellents.     

Les indépendantistes restent focalisés sur l’opposition farouche à Madrid, mais ils ne disent rien à propos de leur projet de société. Est-ce voulu ?

C’est un peu le mariage de la carpe et du lapin. Le parti qui s’est abstenu de donner deux voix au nom de l’indépendance est un parti anti-capitaliste. Qu’un tel parti se joint à CDC, une formation démocrate chrétienne dont Pujol était le président pendant 25 ans, cela prête à rire. C’est absolument contradictoire ! Il en va de même pour Esquerra Republicana qui se dit à gauche. Mais on est dans une union sacrée dans laquelle tout projet de société passe derrière le projet national. Il y a aussi de nombreux membres de la gauche qui sont en relation avec la maire de Barcelone, Ada Colau, de Podem. Or celle-ci porte un projet politico-social qui pourrait vite entrer en contradiction avec toute une classe politique bourgeoise qui est centriste et démocrate chrétienne. Théoriquement, les dissensions devraient être importantes. Pour l’instant, le seul programme du nouveau Président est un programme qu’il dit de «déconnexion démocratique». Il ne parle pas du tout de l’économie. Exemple, on ne sait ni comment on pourrait demain déconnecter la sécurité sociale catalane de celle de l’Espagne. A moyen terme, cela commencera à coûter cher aux Catalans. D’ores et déjà, les agences de notation commencent à dégrader la note de la Catalogne, qui pouvait s’appuyer sur les garanties de l’Etat espagnol tant que tout allait bien. Au vu de tous ces éléments, à moins de faire preuve d’un aveuglement coupable, on ne voit pas comment une Catalogne indépendante pourrait fonctionner. En tout cas, quelque soit l’issue du processus, ce mouvement indépendantiste a engendré une véritable fracture en Espagne. La société espagnole est plus divisée que jamais.



via Abdo El Rhazi Barbara Loyer, politologue française, spécialiste de l’Espagne : «La Catalogne n’est pas le Kosovo»

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