Rendue célèbre grâce à son rôle dans la comédie de Hakim Noury « Elle est diabétique, hypertendue et refuse de crever », l’actrice marocaine qui vit entre le Maroc, la France et Saint-Barthélémy, a construit sa carrière entre cinéma populaire et films plus intimistes. Passionnée de voyages, de sport et de danse, la comédienne attirée par les films d’auteurs et les œuvres « humaines » et « engagées », nous parle de son dernier rôle dans « Chettah », le 1er long métrage de Lotfi Ait Jaoui.
Entretien réalisé par Kawtar Firdaous.
Dans le 1er long métrage de Lotfi Ait Jaoui « Chettah », vous interprétez le rôle de Malika, la mère de la fiancée du danseur. Pourquoi avoir accepté de jouer ce personnage ?
Vous savez, en tant qu’actrice, ce rôle peut paraitre assez simple mais il est à mon sens très noble. Je joue une maman qui a des valeurs et donc, à travers ce rôle, je défends une cause. J’ai trouvé que l’histoire était forte et d’une sensibilité incroyable. Le film raconte l’histoire d’un chettah, l’homme qui dans nos traditions, se travestit et danse à l’occasion de fêtes et de mariages. Mon personnage véhicule un message fort et noble, celui du non jugement, de la tolérance, de l’acceptation de l’autre peu importe sa nature, son genre, sa race ou sa religion…de l’acception de la différence sans porter de jugement, qu’on soit blanc, noire, jaune, juif ou chrétien…
Chettah est un personnage qui a toujours été ancré dans notre culture, on a grandi avec ce personnage, pendant les mariages, « hdiya » Je me rappelle que c’était normal à l’époque de le voir danser, il faisait partie de notre culture, on avait une tolérance incroyable, d’ailleurs, la question ne se posait même pas !!!
J’ai accepté de jouer ce rôle parce que ça parle aussi de danse et de Aita (en hommage à Bouchaib Bidaoui) et ça me rappelle toute mon adolescence, j’étais ballerine au ballet théâtre Zinoun pendant 10 ans, j’étais professeur de danse classique, …et j’aurais aimé danser dans ce film !
Comment vous vous êtes préparée au rôle ?
Un bon acteur c’est celui qui pose les bonnes questions. J’ai beaucoup répété avec le réalisateur qui était à l’écoute ; il a trouvé que mon point de vue et mon approche étaient intéressants et il a été d’accord avec les propositions que lui ai faites. C’est quelqu’un qui a l’habitude de tourner avec des professionnels dans de grands films étrangers, il est ouvert d’esprit et le courant est très bien passé entre nous. Il a réussi avec brio à donner de la force à ce personnage, il y a des scènes d’émotion très fortes, très belles, que j’ai adoré jouer.
Qu’attendez-vous généralement d’un réalisateur ?
Qu’il maitrise bien son travail et qu’il sache exactement ce qu’il veut, histoire de nous faciliter la tâche, nous acteurs. Lorsqu’on tombe sur des réalisateurs qui ne savent pas ce qu’ils veulent et qui tâtonnent un peu surtout lorsqu’il s’agit de leur premier long métrage, on est obligé de faire beaucoup d’efforts, des fois on est dans l’incompréhension, …Comme Lotfi Ait Jaoui connait parfaitement son métier, ça nous fait gagner du temps. J’ai beaucoup apprécié le rythme du film, il y a comme une sorte de chorégraphie avec pleins de plans différents et assez variés. Et le rendu est très dynamique.
Le tournage a duré environ 5 semaines, c’était très éprouvant, on a travaillé sans relâche, 24h/24, c’était intense. Ce qui m’a touché chez Lotfi, c’est que c’est quelqu’un de passionné et de très courageux, il a mis tout son cœur dans ce film et beaucoup d’énergie …Lorsqu’on a fini le tournage, on était tous exténués, il m’a pris dans ses bras et il a commencé à pleurer, c’était très émouvant !
Vous avez toujours su que vous alliez être actrice ?
Oui, absolument, j’ai toujours eu une fascination pour le cinéma, les lumières et la mise en scène. D’ailleurs, je ne me suis jamais vue derrière un bureau, c’était comme me mettre dans une cage ou une prison. J’ai toujours dit à mes parents que je voulais être actrice, c’est cela pour moi l’essence même de la liberté, la seule chose qui allait me permettre de m’épanouir. Vous savez, trois choses épanouissent l’être humain : la nature, l’art et bien sûr l’amour.
L’Art fait partie de la nature humaine, c’est presque de l’ordre du spirituel. Toute forme de création émane de l’intérieur de l’être. Lorsque j’interprète un personnage par exemple, je rentre dans un état de transe, je ne suis plus moi-même. En se glissant dans la peau de plusieurs personnages, l’acteur est comme un canal par lequel passent des émotions, des messages… il suffit d’être sincère et passionné pour toucher les gens !
Avez-vous une méthode particulière pour votre jeu d’acting ?
Oui, je suis une grande fan de la « méthode Stanislavski » ou « Method Acting » inventée et développée par l’acteur et réalisateur russe Constantin Stanislavski et reprise plus tard par Lee Strasberg à l’Actors Studio. C’est une technique qui consiste à travailler à partir de l’impulsion du corps ou de « l’action physique ». Il ne s’agit pas de jouer bien, mais de jouer juste, développer des performances sincères et émotionnellement expressives afin de toucher ce qui est vrai. Je n’ai pas eu la chance d’étudier à l’Actors Studio mais j’ai beaucoup appris de la méthode utilisée par la grande actrice américaine Uta Hagen, élève elle-même de l’Actors studio.
Comment choisissez-vous vos rôles ?
Ce qui m’intéresse le plus, c’est le sujet, le scénario. Un bon film, c’est d’abord un bon sujet, une bonne histoire et une belle écriture.
Je suis plus attirée par les films d’auteurs, par les histoires et les personnages de femmes fortes et belles mais j’ai aussi joué dans des comédies comme le film de Hakim Noury « Elle est diabétique, hypertendue et elle refuse toujours de crever », parce que j’estime les gens ont besoin de rire. Le cinéma peut à la fois divertir et faire réfléchir !
J’aime les films qui traitent de sujets de femmes. Pour moi, c’est la femme qui fait une société, c’est elle qui l’éduque, qui la porte. Le cinéma est à mon sens, un exemple de notre vie de tous les jours, il est le miroir de notre société où la femme joue un rôle primordial. Je trouve que les réalisateurs et scénaristes hommes n’ont pas la même approche d’un sujet donné que les femmes. J’ai travaillé avec Narjiss Nejjar sur quelques téléfilms (Les hirondelles reviennent toujours, Les casablancaises, L’actrice,…), c’était à chaque fois des sujets qui me touchaient moi en tant que femme.
Des rôles que vous refuseriez de faire ?
Oui, je refuse de jouer des rôles qui cherchent la provocation gratuite, qui attirent l’attention mais qui n’ont pas de profondeur.
Quel genre de films vous affectionnez particulièrement ?
J’adore tout. J’aime les grands classiques comme « Il était en fois an Amérique » mais aussi des films engagés, qui te prennent aux tripes comme le film algérien « Papicha » de Mounia Meddour. C’est un film choc qui m’a profondément touché parce qu’il qui montre, à travers l’histoire d’une jeune étudiante qui rêve d’être styliste, le calvaire que vivent les femmes en Algérie et la difficulté pour elles de s’affirmer dans une société profondément conservatrice.
Je me suis tout de suite identifié à l’héroïne du film, j’avais l’impression de me voir en elle, c’est un des rôles qui m’a fasciné et que j’aurais aimé jouer. Car finalement, en quoi se résume notre rôle d’actrice ? jouer devant la caméra ? ce n’est pas le but ! j’ai envie de passer des messages, de pousser les gens à réfléchir, de dénoncer des injustices…On fait avancer un pays pas seulement avec le politique, mais aussi et surtout avec de l’Art, la philosophie,… Les paroles d’une chanson peuvent t’influencer et te faire réfléchir.
A part le cinéma, qu’est-ce qui vous fascine ?
Il y a 4 ans, j’ai sorti une chanson avec Karim Teer Ver « Casablanca », pour le plaisir. Alors peut-être qu’un jour, je ferais de la chanson. Je fais déjà de la peinture abstraite, du collage…ce sont mes hobbies, et je trouve que c’est ce qui complète mon jeu d’acteur, et sans prétention, j’ai une belle voix, je peux danser, monter à cheval…
Des acteurs qui vous ont marqué ?
En 20 ans de carrière, j’ai eu le privilège de jouer avec de grands acteurs marocains comme Ben Brahim ou Mohamed Bestaoui…Ce sont des acteurs de théâtre incroyables qui jouaient du Shakespeare comme personne !
Vous êtes une grande passionnée de l’image, de la lumière et de la photographie ?
Oui, je devais exposer en novembre dernier une série de photos de ma collection du célèbre Guy Bourdain, à Christie’s Paris, mais malheureusement, ça a été annulé à cause du Covid puis reporté pour cette année. J’étais très fière qu’une grande maison de vente aux enchères, réputée mondialement comme Christie’s, puisse me choisir et reconnaitre ma sensibilité de l’image pour figurer dans l’une de leurs prestigieuses expositions.
J’ai toujours été éprise de l’image et de tout ce qui est lumière depuis mon plus jeune âge. J’ai découvert les photos de mode de Guy Bourdain dans les magazines Vogue que ma mère achetait, il a révolutionné le monde de la photographie de Mode dans les années 70 en lui intégrant une mise en scène, semblable à celle du cinéma. J’étais fascinée par les couleurs de ses photographies qui étaient pour moi, comme des chefs d’œuvres, moi, qui ne voyait à la télévision que les films en noir et blanc à l’époque ! Le grand photographe et réalisateur David LaChapelle, un des admirateurs de ses clichés, le considérait comme son maitre.
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via Abdo El Rhazi Asmaa Khamlichi « Je suis attirée par les rôles de femmes fortes »
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