Confirmant les scores des municipales, les législatives espagnoles ont acté la fin du bipartisme et l’émergence de Podemos et Ciudadanos. On ne voit pas très bien les contours d’une éventuelle coalition, mais ce n’est que la conséquence la plus visible de ce scrutin. Comme tous les partis au pouvoir, en ces temps difficiles, le parti populaire recule, malgré la reprise économique et ce ne sont pas les socialistes qui en profitent non plus. La question c’est pourquoi ? Elle est d’autant plus légitime que l’on observe ce phénomène d’enrayement du balancier partout dans les grandes démocraties. Des forces nouvelles émergent, quand ce n’est pas l’extrême droite qui en profite. On remarque une similitude sur une thématique, celle de l’incapacité de la classe politique. En fait, depuis des décennies, la gauche a cédé devant le libéralisme triomphant de l’époque et s’est convertie aux lois du marché. Depuis la crise de 2008, elle s’est départie de son aspect «social», exaspérant son socle électoral. Des couches sociales entières se sentent abandonnées par la classe politique traditionnelle et son offre politique, jugée uniforme. Podemos est un conglomérat de personnalités issues du tissu associatif. Le parti Ciudadanos est issu de la droite traditionnelle. Les deux ont fait campagne contre la classe politique, sa vision jugée dépassée, son éloignement du peuple et sa prétendue corruption. Prétendue parce qu’il n’y a pas de procès en ce sens. On voit que ce discours porte, puisque ces deux mouvances ont recueilli près de 40% des voix. Autre point de convergence, les deux réclament des réformes constitutionnelles, susceptibles, selon eux, d’améliorer la représentation du peuple. On peut dire que c’est là la caractéristique profonde de l’émergence de ces courants. Ils sont une réponse à l’essoufflement de la démocratie représentative, telle que vécue depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Certains analystes lient cet essoufflement à l’inimitié envers le clivage droite-gauche. En réalité ce n’est qu’un aspect du problème. La forme d’une élite politique enclavée, où il y a peu de renouvellement, ayant les mêmes parcours, les mêmes écuries de cooptation a fini pas casser le lien entre les électeurs et les élus. Par exemple, la crise et le chômage engendrent des drames humains auxquels les politiques répondent par des propositions techniques. Ce divorce entre un vécu insupportable et un discours peu audible est une réalité qui explique les résultats électoraux dans beaucoup de démocratie. En l’absence de grande utopie, les électeurs attendent des politiques des solutions à leurs problèmes et non pas des débats politiciens. C’est une tendance de fond qui, en fonction de l’histoire de chaque pays, nourrit soit un populisme d’extrême droite, ou un autre gauchisant prônant plus de solidarité, avec des solutions utopiques. La classe politique traditionnelle n’a pas beaucoup de marge sur le fond. L’économie mondialisée est une réalité qui impose ses effets aux plus grandes puissances. Le dogme budgétaire est imposé par les marchés financiers, affranchis de tout contrôle des Etats. Dans ce contexte, la préservation des modèles sociaux est, en soi, une gageure. Mais la classe politique peut changer ses modes de fonctionnement, ses codes, renouveler son personnel, donner du sens au débat public, sortir de la dictature de l’image, de la communication. En un mot, redonner à la chose publique sa noblesse. Sinon, les tendances de rejet deviendront une lame de fond, qui changera fondamentalement la démocratie représentative telle qu’on la connaît aujourd’hui. C’est l’enjeu de l’époque qui s’ouvre et le rythme s’accélère.
via Abdo El Rhazi Les démocraties et la difficile régénérescence
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