La guerre est si familière aux contemporains abonnés à l’info continue, que n’importe qui se prend pour un expert militaire. On croise des gens qui parlent de stratégie avec l’assurance des anciens combattants, revenus de guerres aussi lointaines qu’imaginaires. Plus personne n’ignore ce que signifient AK47, théâtre d’opérations, sniper, etc. tous ces mots barbares inconnus de nos parents. La diplomatie, en revanche, garde ses secrets. Le spectacle des conférences internationales où des inconnus bien habillés donnent l’impression de s’ennuyer intimide et décourage la curiosité des médias. Pourtant, si la presse faisait correctement son métier, elle raconterait les passions très humaines qui agitent la scène mondiale. Elle expliquerait que les soucis conjugaux de Nicolas Sarkozy ont pesé lourd dans ses relations contrastées avec le colonel Kadhafi. Qu’un chasseur bombardier russe n’aurait peut-être pas été abattu au-dessus de la frontière turque si le Kremlin avait évité de mettre en cause le fils de Recep Tayyip Erdogan. Que George Bush humilié par le 11/09 a voulu solder les vieux comptes laissés par son père. L’Amérique a mis à prix la tête de Saddam Hussein et ainsi entrainé le Moyen-Orient dans un chaos dont il n’est pas prêt de sortir.
Cette semaine, au lieu de disserter savamment sur l’animosité que se portent depuis quatorze siècles sunnites et chiites ou sur les cours fluctuants du pétrole, les journaux exploreraient les arcanes du régime à Ryad. Le roi Salman est monté sur le trône, il y a un an. Il est le 25e fils du fondateur de la dynastie et il s’est préparé à lui succéder en gouvernant d’une main de fer pendant un quart de siècle la province de Ryad, qu’il a réformée et dont il a fait le centre de tous les pouvoirs. A peine couronné, il a liquidé les fiefs familiaux. Les ministres ne sont plus des princes mais des techniciens qui gèrent leurs départements. Sauf, deux super-ministres. Le prince héritier Ben Nayef qui tient la Défense et dont l’autorité est respectée, notamment de la CIA. Et le prince Ben Salman, le propre fils du roi qui a l’impulsivité de la jeunesse, qui est devenu incontournable auprès de son père et que celui-ci a élevé au rang de vice-prince héritier. Cette désignation avait fait l’effet d’un mini-putsch dynastique. Elle a introduit au cœur du pouvoir un élément de rivalité qui aiguise la fragilité d’un régime qui se sent assiégé. Car il est lâché par son allié américain. Et directement menacé par le monstre qu’il a enfanté, l’Etat Islamique.
Cette concurrence entre les deux cousins expliquerait le coup de force qu’a constitué l’exécution soudaine d’une cinquantaine de condamnés. La plupart étaient liés au terrorisme sunnite. La décapitation et la crucifixion du cheikh Nimr, opposant notoire mais surtout représentant influent de la communauté chiite devait faire symétrie. Elle a engagé une épreuve de force avec les voisins iraniens qui se considèrent comme les protecteurs naturels de tous les chiites et surtout des religieux formés à Qom. Le soir même de l’exécution, l’ayatollah Ali Khamenei, la plus haute autorité iranienne, a diffusé sur son site internet une photo montrant côte à côte le bourreau saoudien et un autre de l’Etat Islamique. Avec une légende lapidaire : « Quelle différence ? ». Une querelle de famille a ainsi donné le coup de grâce à la coalition anti-terroriste que Ryad se félicitait d’avoir montée à la mi-décembre.
via Abdo El Rhazi Le golfe, en famille
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