A travers cette interview, Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationale et stratégiques (IRIS) sur les questions ibériques, décortique les tenants et aboutissants du mouvement indépendantiste catalan.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Pensez-vous que la Catalogne pourrait devenir réellement indépendante ?
Jean-Jacques Kourliandsky : Une démarche indépendantiste supposerait pour aboutir que deux conditions soient réunies. La première qu’elle soit appuyée par une large majorité des électeurs catalans. Or la dissolution du parlement catalan afin d’organiser une législative à caractère plébiscitaire le 27 septembre 2015 a donné aux partisans de l’indépendance un peu moins de 48% des suffrages exprimés. Les élections parlementaires du 20 décembre 2015 ont élargi la brèche en faveur de partis défendant le statu quo (Parti Populaire ; Ciudadanos) ou proposant une troisième voie (Podemos et PSC).
Le seconde de définir une stratégie indépendantiste conforme au droit. Ce qui suppose de la part des forces indépendantistes un dialogue avec les autorités exécutives espagnoles et les partis politiques représentés au parlement de Madrid, afin que puisse être organisée une consultation de l’ensemble de la population concernée. Toute autre démarche serait inconstitutionnelle et à ce titre immédiatement contestée par le gouvernement central.
Conclusion, les conditions d’une éventuelle indépendance de la Catalogne ne sont pas réunies.
Quelles sont les conséquences majeures si jamais l’indépendance devenait une réalité ?
La déclaration unilatérale d’indépendance voie choisie par les autorités régionales catalanes sans légalité ni légitimité ne peut avoir aucune incidence concrète.
Certains analystes et experts estiment que les indépendantistes n’ont pas d’autres projets concrets à part celui de s’opposer à la politique de Madrid. Partagez-vous cet avis ?
Le processus ayant conduit à l’impasse actuelle a deux responsables. Le premier est l’ex-président de la Généralité catalane, Artur Mas et sa formation politique, Convergence. Partisans d’un rapprochement avec le Parti Populaire, le centre droit nationaliste espagnol, Artur Mas et Convergence, ont dénoncé les projets de renforcement de l’autonomie catalane de ses prédécesseurs socialistes. Le PP arrivé au pouvoir, en 2011, faute de concessions fiscales de la part de Madrid, Artur Mas a dénoncé Madrid comme étant la cause des difficultés économiques et sociales de la Catalogne. Il a matérialisé la rupture de cette alliance par la revendication de l’indépendance.
Le second responsable est le Parti Populaire et Mariano Rajoy son premier dirigeant, actuel président du gouvernement. Le Parti Populaire a tout fait pour empêcher le succès de la réforme du statut de la Catalogne proposé en 2005 par le gouvernement tripartite de la Catalogne (Socialistes-Vert et communistes-Républicains catalans) dirigé par Pascual Maragall. La crispation nationaliste espagnole, ayant fermé la voie à un compromis qui bénéficiait et bénéficie toujours du soutien d’une majorité en catalogne, a conduit au choc de trains actuel.
Des politologues avancent que le processus d’indépendance cache de graves problèmes politiques en Catalogne engendrés par la mauvaise gestion des indépendantistes de la Catalogne (Problèmes de services sociaux de base, dette…). Qu’en pensez-vous ?
La Catalogne a souffert et souffre des effets d’une crise globale qui a touché toute l’Espagne. Le gouvernement catalan d’Artur Mas a affronté la crise avec les politiques classiques de la droite européenne, reposant sur la rigueur budgétaire, et la réduction des politiques sociales. Le choix de la fuite en avant indépendantiste de la part du parti Convergence est une façon de se défausser de ses responsabilités. Madrid a été présenté aux électeurs catalans, victimes de la crise espagnole, et de la politique de rigueur catalane, comme bouc-émissaire captant les richesses catalanes et donc fauteur de crise en Catalogne.
La Catalogne serait-elle capable de se passer de l’UE ?
L’économie catalane est partie prenante des marchés espagnol et européens. Le patronat catalan a signalé à plusieurs reprises son inquiétude face aux évolutions en cours. Convergence et Artur Mas ont à plusieurs reprises rappelé leur attachement à l’Europe. Attachement paradoxal pour deux raisons. La première est que indépendante, la Catalogne, Etat nouveau, ne serait de fait plus membre de l’Union européenne. Un processus d’adhésion devrait être ouvert. Processus d’autant plus difficile que pour éviter le retour devant les électeurs Convergence, pour disposer d’une majorité parlementaire, a passé une alliance avec le parti CUP, dont le programme revendique la sortie de l’Union européenne.
Y a-t-il réellement unanimité des Catalans sur la revendication de l’indépendance ?
Je vous renvoie au résultat des élections de septembre et décembre 2015. Les électeurs catalans sont polarisés en deux blocs, un bloc indépendantiste d’environ 47% des suffrages exprimés, et un autre de 52 à 53% qui est hostile à l’indépendance.
Si une option de troisième voie était proposée aux Catalans, il est probable, comme en témoignent des sondages présentant cette option, qu’elle recueillerait une majorité assez nette des suffrages.
via Abdo El Rhazi « Les conditions d’une éventuelle indépendance de la Catalogne ne sont pas réunies »
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