L’escalade entre l’Arabie saoudite et l’Iran traduit beaucoup plus qu’une autre vague de rivalités entre chiites et sunnites, qui remontent à la bataille de Karbala au septième siècle. Cependant, il doit être absolument clair que ce vieux conflit nourrit la rancœur et la suspicion des deux côtés de cette fracture musulmane fondamentale. Ceux qui prétendent qu’elle n’est plus pertinente ont du mal à expliquer, par exemple, la violence sunnite contre les chiites au Pakistan, ou les tensions de longue date entre les Arabes sunnites et chiites en Arabie saoudite et au Bahreïn. Néanmoins, il est à noter que c’est la concurrence pour le leadership au Moyen-Orient en général, et dans la région du Golfe en particulier, qui amènera Téhéran et Riyad à la guerre.
La religion n’a pas été le facteur déterminant dans les efforts de longue haleine déployés par Téhéran en vue d’imposer son hégémonie dans le Golfe. Ce sont les forces du Shah, le fondateur de l’Iran moderne et (laïc) qui ont saisi, en 1971, les Îles Tomb et d’Abou Moussa de l’Emirat de Sharjah juste au moment de la création de la Fédération des Emirats arabes unis. Les troupes du Shah ont également soutenu le Sultan d’Oman dans ses efforts -qui se sont révélés fructueux à terme- de mater la rébellion de Dhofar en 1975. Laquelle a été initialement soutenue par l’Arabie saoudite, et a duré 14 ans.
La chute du Shah et l’émergence du nouveau régime des mollahs en Iran n’ont en aucun cas refreiné les ambitions de Téhéran. L’Iran continue à réclamer Bahreïn comme étant sa 14e province. Il devient le premier allié régional de Hafez al Assad, et a accueilli, depuis 1979, Hasan Mahdi al-Shirazi, le leader religieux d’origine irakienne, mais ethniquement perse. Ce dernier avait déclaré que la famille Alaouite d’al Assad était une branche de l’islam chiite. Chose encore plus importante, l’Iran est devenu l’un des principaux commanditaires du terrorisme régional et international. Il fût l’un des premiers partisans qui ont toujours soutenu le Hezbollah du Liban. Parmi les cibles de ses assassinats, on trouve des diplomates saoudiens. Cette dernière pratique a été relancée une fois encore lorsque l’Iran a commandité une tentative d’assassinat contre Adel al-Jubeir, alors ambassadeur saoudien à Washington en 2011.
Pendant la guerre Iran-Irak, Téhéran a répliqué au soutien financier saoudien apporté à Bagdad en menaçant le royaume -ainsi que le Koweït, qui a également financé l’opération irakienne- et en envoyant ses chasseurs violer l’espace aérien saoudien. Les deux pays ont rompu leurs relations après un incident ayant eu lieu au cours du Hajj en 1987, lorsque des unités des services de sécurité saoudiens avaient tiré sur des manifestants iraniens provoquant la mort de plusieurs centaines d’entre eux. En réponse à une interdiction des rituels du Hajj par l’Arabie saoudite, des manifestants iraniens ont saccagé l’ambassade saoudienne à Téhéran, tout comme ils l’ont fait au cours des derniers jours.
La région du Golfe a la mémoire longue, et à bien des égards, la crise actuelle entre l’Iran et les Etats du Golfe provoquée par l’Arabie n’est que le prolongement de décennies de conflits et de querelles entre Téhéran et non seulement Riyad, mais aussi le Koweït, le Bahreïn et les Émirats arabes unis. Les forces de police saoudienne et émiratie ont été dépêchées au Bahreïn en 2011 en réponse à de violentes manifestations déclenchées par des militants chiites, que le gouvernement de Bahreïn supposait avoir été soutenues par l’Iran. Les Saoudiens et les Iraniens ont appuyé deux camps opposés dans deux guerres civiles en cours. En Syrie, l’Iran soutient le régime Assad et les Saoudiens appuient les rebelles principalement sunnites.
Du côté du Yémen, l’Iran soutient les rebelles chiites Houthi et l’Arabie saoudite, les Emirats, le Koweït, le Bahreïn, ainsi que cinq autres Etats sunnites ont mené des opérations militaires à l’appel du gouvernement de Abd Rabo Mansour Hadi. Les affrontements qui se sont déclenchés pendant le Hajj 2015 au cours duquel nombre de pèlerins iraniens ont été tués vient rappeler les troubles de 1987. Et la promotion de Adel al-Jubeir au poste de ministre des Affaires étrangères en 2014, signifie que la cible de tentative d’assassinat parrainée par l’Iran est désormais une figure encore plus importante dans les cercles politiques saoudiens.
Le dernier affrontement irano-saoudien, enflammé par l’exécution du dignitaire religieux chiite et dissident Nimr al-Nimr sur la base d’accusations de terrorisme, n’est encore qu’un autre épisode de la rivalité politique et religieuse de longue date entre les deux Etats. Il n’est donc pas étonnant de voir les Emirats déclasser ses relations diplomatiques avec Téhéran, et le Kuwait, le Bahreïn, le Soudan se joindre aux Saoudiens pour les rompre carrément, compte tenu de leur histoire constellée de tensions et de rivalités avec leur puissant voisin du nord.
Le fait que ce dernier clash risque encore d’exploser des hostilités n’est sûrement pas uniquement dû à l’histoire ou à la religion, mais à l’échec lamentable de la politique du Moyen-Orient adoptée par l’Administration Obama.
Les Saoudiens et leurs alliés ont observé avec consternation le retrait de Washington de l’Irak. Lequel retrait a créé un vide que l’Iran a depuis rempli à l’aide de ses clients chiites irakiens, dont les politiques anti-sunnites ont donné une impulsion à l’émergence de l’Etat islamique. Riyad était profondément préoccupé par l’attitude servile et complaisante de l’Administration américaine, non seulement envers l’accord nucléaire avec Téhéran, mais aussi vis-à-vis de la nouvelle relation avec l’Iran qui semble promettre la re-émergence de ce pays en tant qu’hégémonie régionale.
Cette inquiétude a été récemment renforcée par la réticence de l’Administration Obama de réagir non seulement aux essais de missiles balistiques effectués par l’Iran en Octobre 2015 -en violation flagrante de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU- mais aussi aux tirs de roquettes lancés par Téhéran à un mile des navires de l’US Navy.
La quête obstinée de Washington pour une normalisation avec l’Iran malgré le rejet répété par les ayatollahs et le fait que les Etats-Unis sont une fois de plus un exportateur majeur de pétrole, et que les cours pétroliers sont restés bas, a clairement donné un sentiment d’isolement, au moins aussi longtemps que l’actuelle Administration reste en poste, aux Arabes du Golfe en général et en particulier les Saoudiens, confrontés de plus en plus à des difficultés financières.
Vu que les guerres civiles en Iran et en Syrie n’ont pas l’air de s’atténuer, et les Iraniens et la coalition menée par l’Arabie continuent à soutenir des camps opposés, il semble bien ne pas y avoir une fin en vue à cette dernière explosion de tensions qui a secoué le Moyen-Orient, malgré les efforts de médiation de John Kerry.
Le mieux que l’on puisse espérer, du moins jusqu’à ce qu’un nouveau Président soit installé à la Maison Blanche, est que l’Iran et l’Arabie saoudite se ressaisissent pour éviter le pire. Mais la réalisation de cet espoir peut s’avérer très problématique, car la Maison Blanche ne changera pas de résidents pour une autre année. C’est plus de temps qu’il n’en faut pour que des tragédies frappent la région la plus instable du monde.
via Abdo El Rhazi Arabie saoudite-Iran : Comment l’Amérique a contribué à l’éclatement
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