Il y a un sujet sur lequel je refuse de culpabiliser les gouvernants, c’est celui de l’école. Depuis l’indépendance, l’éducation engloutit au moins le quart du budget national. Aucun gouvernement n’a baissé cette part. Depuis Azzedine Laraki, l’école est en déperdition absolue. Ce médecin, istiqlalien, a introduit l’éducation dans un tunnel. Professeur en médecine, il avait dit à ma propre sœur : «pourquoi tu ne vas pas enseigner et aider tes parents au lieu de faire des études très longues». C’est lui qui a arabisé l’enseignement dans la précipitation, a créé les CPR, importé des Egyptiens et des Syriens, banni la philosophie, a détruit l’école.
Depuis, nous en sommes à la énième réforme. Chaque fois, nous échouons collectivement, parce que nous ne réussissons pas à remettre l’école au cœur de la Nation, un joli slogan que l’on disait à l’équipe d’Akhchichène et à une certaine Fatima Loukili, elle-même produit de l’école marocaine quand celle-ci fonctionnait.
L’actuel Roi du Maroc a suivi le cursus de l’école publique, avec un surplus de l’enseignement traditionnel. Feu Hassan II y tenait. La majorité des intellectuels de ce pays, parfaitement bilingues, sont issus de cet enseignement. Comment avons-nous fait pour organiser cette faillite générale ?
Il faut d’abord se mettre d’accord sur le constat, c’est une faillite. Même quand la gauche était au pouvoir, elle se gargarisait de la généralisation, alors que la déperdition était plus forte, que le niveau était alarmant. Savez-vous que dans nos campagnes, les jeunes filles ne sont pas scolarisées parce qu’il n’y a pas de toilettes ?
La responsabilité citoyenne doit nous inciter à poser les problèmes crûment et à dire ce que nous voulons faire de l’école, croire que le ministre en charge va résoudre le problème, c’est accepter de perdre d’autres générations.
L’école doit être un lieu de transmission du savoir, d’éducation citoyenne, mais aussi un lieu d’intégration sociale et d’égalité des chances. Elle ne peut remplir ces fonctions tant qu’elle est prisonnière des idéologies.
Les islamistes pensent que l’arabisation forcenée est une question d’identité. Le Roi du Maroc, Amir Al Mouminine, a étudié les maths et la physique en français. La majorité des gens de ma génération étaient parfaitement bilingues et totalement Marocains. Le Maroc ayant choisi l’intégration à l’économie mondialisée, c’est une hérésie de continuer à former des incultes dans toutes les langues, puisque quarante ans d’arabisation n’ont permis de produire que de rares éléments, la majorité cherchant la fonction publique, pour y cacher des incapacités.
Pour s’en sortir, il nous faut un sursaut national. Le corps enseignant est délétère, le mercenariat ayant pris le pas sur la vocation. Les familles n’ont plus le même attachement à l’école parce que celle-ci n’est plus un ascenseur social, la petite bourgeoisie croit que le privé est la panacée, la haute bourgeoisie s’adresse aux systèmes d’enseignement étrangers. C’est la faillite absolue du Maroc post-indépendant.
Arrêtons les réformettes sans lendemain, reconstruisons une école creuset d’intégration, d’élévation morale des individus, et de transmission de la science. Si nous perdons ce combat, et nous sommes en train de le perdre, l’avenir ne peut être que catastrophique.
via Abdo El Rhazi L’école, une faillite nationale