Connue pour la fluidité de son style et le poésie de ses mots, l’écrivaine et chercheuse Mouna Hachim nous parle de son dernier opus « Ben Toumert ou les derniers jours des voilés », un roman historique qui s’interroge sur les ravages du dogmatisme et l’instrumentalisation de la religion en politique.
Après « Les manuscrits perdus », Mouna Hachim sort « Ben Toumert ou les derniers jours des voilés ». Un nouvel ouvrage où elle nous propose de suivre les pas de Mohamed Ben Toumert, figure aussi charismatique que redoutable de la « secte almohade ». Un récit palpitant à dimension politique, à portée spirituelle et profondément humain.
Le roman remonte à l’époque où l’empire des Almoravides voilés, qui couvrait les deux rives du détroit de Gibraltar avec Marrakech pour capitale, vacillait dans la première moitié du XIIe siècle sous le coup de la secte almohade dirigée par un prédicateur fanatisé et non moins redoutable penseur.
Mohamed Ben Toumert, le Mahdi bien guidé, restaurateur de la foi au sommet de la montagne escarpée, véridique dans ses dires, unique en son temps. C’est lui qu’annonce la conjonction des étoiles. Lui, l’homme au dirham carré. Lui aussi qui fit résonner le tambour de la guerre…
Érudit et épique, ce roman historique fondé sur des événements et des personnages réels, suscite des interrogations contemporaines portant sur les ravages du dogmatisme en contextualisant le drame d’une foi défigurée par l’extrémisme.
Alors que certains personnages sont mus par la haine et la soif de pouvoir enrobée de considérations morales, d’autres tentent juste d’aimer et de survivre au milieu de la folie des hommes.
Dans cette fresque médiévale tantôt politique, intime ou spirituelle, dans ce tourbillon qui nous mène de Marrakech à Tinmel en passant par Zagora, les femmes, aussi présentes, jouent un rôle inattendu et bouleversant.
Pourquoi avoir choisi thème ?
Cette fresque historique se déroule de 1120 à 1147, soit depuis la montée en puissance de Ben Toumert à son retour d’Orient et son séjour dans la capitale impériale Marrakech jusqu’à la chute définitive de la dynastie des Almoravides.
Les thèmes sont nombreux et tournent autour des splendeurs et décadences civilisationnelles, les faiblesses politiques et inégalités sociales qui constituent un terreau fertile pour semer les germes de la révolte politique enrobée de considérations religieuses, l’instrumentalisation de la religion en politique… Ce sont des thèmes intemporels qui nous interpellent aujourd’hui.
Pourquoi le choix du personnage de Ben Toumert ?
Ben Toumert est un personnage fascinant. C’est d’abord un grand érudit. Il est auteur de plusieurs traités en langues arabe et amazigh. Il est surnommé pour cela Asafou (lumière), flambeau de la connaissance acquise en Orient et Occident musulman notamment à Cordoue, à La Mecque ou à Bagdad où il a rencontré durant une dizaine d’années de nombreux savants dont les héritiers des rationalistes mu’tazila, nourri de plus de la pensée du théologien al-Achari et du philosophe mystique al-Ghazali.
Ben Toumert est aussi un ascète dont les récits rapportent qu’il s’habillait de vêtements humbles, se contentait d’une galette de pain d’orge et s’adonnait du matin au soir aux actes de dévotion.
En plus, Ben Toumert n’a jamais brigué de pouvoir politique malgré son implication en ce sens, il a toujours été un chef spirituel et a légué de son vivant le pouvoir temporel à son lieutenant Abdelmoumen.
Mais c’était clairement un illuminé doublé d’un censeur des mœurs, obsédé par son projet politico-religieux qui a abouti à la chute de l’empire almoravide et à la naissance de l’empire almohade sur ses ruines.
Il s’agit là donc clairement d’un personnage énigmatique et fascinant mais bien que présent dans le titre avec force au vu de son rôle majeur dans le déroulement des faits, ce n’est pas le personnage central, bien d’autres, notamment des figures féminines occupent le devant de la scène.
Vous soulevez également les ravages du dogmatisme et de la foi déguisée par l’extrémisme. Pouvez-vous nous en parler plus et quelles similitudes avec les travers religieux (repli identitaire, extrémisme, obscurantisme, intolérance…) que nous vivons actuellement ?
La violence fait partie intrinsèque de la doctrine almohade au nom d’une conception du jihad qui englobe également les musulmans et considère les gens du Livre comme incroyants.
C’est ainsi qu’Ibn Toumert disait à ses disciples : « Appliquez-vous au Jihad des infidèles voilés, il est plus important de les combattre que de combattre les chrétiens et tous les infidèles deux fois ou plus encore ». D’ailleurs ces divisions ont profité aux chrétiens en Péninsule ibérique qui ont freiné leurs propres dissensions et repris du terrain.
Cette violence n’épargne pas même les membres des tribus masmoudiennes de l’Atlas. Les chroniques médiévales rapportent les procédés utilisés par Ben Toumert pour se débarrasser de ses opposants et pour affermir son autorité.
A la divergence dogmatique s’ajoute la mission de censeur des mœurs, critiquant le mode de vie fastueux des Almoravides assimilé à de la débauche…Autant d’éléments qui évoquent certains épisodes très actuels…
Mais reconnaissons pour conclure que cette période de persécution générale a été surtout caractéristique de la première période almohade en faveur d’un assouplissement sous le règne d’un Mohamed Nasir à titre d’exemple, d’autant que des divergences apparaîtront au sein même des cercles du pouvoir, reniant de plus en plus le puritanisme intransigeant du père fondateur Mohamed Ben Toumert.
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via Abdo El Rhazi « Ben Toumert ou les derniers jours des voilés ». Le nouveau roman épique de Mouna Hachim
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