La toile est en émoi devant la vidéo choc de l’accueil réservé à l’envoyée spéciale de la chaine Al Arabiya par les enfants de Daech dans les camps syriens. Une attitude franchement hostile, une réaction violente et des mots durs qui deviennent fielleux dans la bouche d’innocents enfants. Leur a-t-on donné la haine et l’intolérance dans le biberon ?
Par Hayat Kamal Idrissi
Quand je serai grand, je te tuerai !
« Tu es une apostat et tant que tu ne porte pas le voile, on ne t’adressera pas la parole », lancent en chœur des enfants chétifs du fond des camps syriens, à la journaliste de la chaine Al Arabiya. N’en croyant pas ses oreilles, cette dernière insiste pour qu’ils lui parlent de leur vécu clairement désastreux, dans ces camps malfamés. Des campements de réfugiés où manquent les conditions minimales pour une vie digne et saine pour adultes et encore moins pour des enfants en si bas âge.
Tentant sa chance au début auprès des femmes, ces dernières entièrement voilées la fuient et ne daignent même pas la regarder. Se tournant vers les enfants, l’accueil n’est pas plus hospitalier. Pire, il est franchement hostile. « Quand je serais grand, je te tuerai, promis ! Tu ne porte pas le voile noir, c’est une honte et tu mérite ce châtiment », juge un enfant à peine âgé de 6 ou 7 ans, en s’adressant à la journaliste choquée. Cela avant de se mettre, avec ses copains, à la lapider en jouant aux « petits terroristes ».
La bête immonde enfante
Une haine et une intolérance insoutenable venant d’un enfant innocent qui devrait être à l’école au lieu de mener des combats qui ne sont pas les siens. Largement partagée sur les réseaux sociaux, cette vidéo a été un dur rappel : La bête immonde est toujours là et le pire c’est qu’elle enfante. « Ils sont passés à la vitesse supérieure et ils préparent les futurs terroristes dès l’enfance. Le travail de l’endoctrinement ne sera que plus profond et plus ancré dans l’esprit de ces enfants victimes », nous explique Morad Maâtaoui, chercheur en sociologie et spécialiste des mouvements radicaux.
Pour le chercheur, des idées aussi radicales inculquées dès le jeune âge seront très difficiles à démonter et à désincruster plus tard. « C’est un travail en profondeur qui manipule l’esprit de l’enfant et l’empêche de s’ouvrir sur d’autres idées et de s’enrichir de différences. Résultat : Un être fermé sur lui-même, un esprit cadenassé avec le peu de connaissances qu’on lui a permis d’apprendre et surtout une bombe de haine prête à exploser à n’importe quel moment », s’inquiète Mâataoui. Des bombes à retardement qui menacent d’exploser à n’importe quel moment surtout si l’on considère les conditions catastrophiques dans lesquelles ces enfants et leurs familles vivent dans les campements.
Les camps de la misère
Rappelons que dix ans après le début de la révolution, 1,3 million de réfugiés syriens vivent en Jordanie. La situation confuse en Syrie n’arrangent nullement les choses et poussent ces derniers à rester sur place. Accueillant plus de 80.000 personnes, Zaâtari reste le plus grand camp de réfugiés syriens au monde. De son côté le Liban accueille plus de 1,5 million de réfugiés. Au nord, près de la frontière avec la Syrie, les camps se sont multipliés en dix ans, accueillant des dizaines de milliers de personnes.
Des camps de fortune qui sont souvent sous équipés, n’offrant guère l’occasion de mener une vie digne. Souvent déplorée par les ONG internationales de droits humains, la situation dans ces camps est inhumaine et chaotique. Il y a quelques semaines, une mission d’une équipe belge de médecins et psychologues au camp d’al-Hol en Syrie a été annulée à cause du chaos qui y règne en termes sécuritaires. « Il y a des combats autour du camp et une insécurité à l’intérieur du fait de la pression fondamentaliste. Daech est devenu maître du camp » explique alors Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant en Belgique. Même constat de la part de Sophie Désoulières, directrice de la communication de Médecins sans frontières, suite au meurtre d’un membre de l’ONG dans ce même camp. « La spirale de violence grandit dans le camp ces dernières années, une spirale faite de meurtres, d’attaques, d’incendies… Il y a à la fois la violence des autorités et celle des personnes qui habitent dans le camp envers les autres » explique la représentante de MSF.
Nids de Daech
Un environnement hautement dangereux, ces camps seraient des nids de Daech où les enfants sont victimes d’endoctrinement et de radicalisation. La vulnérabilité socio-économique y régnant en fait un terreau fertile pour les prêcheurs de la haine. « La radicalisation religieuse intègre une idéologie d’exclusion conduisant l’individu à choisir l’action violente contre les autres membres de sa société. Une société dont il rejette, inconditionnellement, les valeurs et le mode de vie », nous explique Khalid Cherkaoui Semmouni, directeur du CREPS (Centre pour les Etudes Politiques et Stratégiques) et chercheur en sciences politiques et droit constitutionnel.
Ce dernier met l’accent sur « les sentiments exacerbés d’injustice, de colère contre la mauvaise gouvernance des ressources publiques, de frustration face à l’exclusion sociale et de la méfiance à l’égard des processus politiques… ce sont là les principales causes profondes qui contribuent à la fragilisation des endoctrinés et au renforcement de leur volonté d’adhérer à des groupes extrémistes », analyse le chercheur.
Quand aux enfants, le mal serait encore plus insidieux et plus profond. « Il est certain que l’éducation peut jouer un rôle primordial dans la prévention de la radicalisation et l’extrémisme. Elle constitue un instrument efficace de promotion des valeurs communes », explique Semmouni Cherkaoui. Mais quand le processus est inversé comme dans le cas des enfants des camps syriens sous control de Daech, le résultat est tout aussi impactant.
Echec du système éducatif
« Quand le système éducatif échoue dans sa mission de garantir l’égalité des chances et d’offrir aux gens l’espoir d’un avenir meilleur et d’être des membres productifs et respectables de la société, les couches défavorisées n’ont plus que le désespoir, l’analphabétisme et l’ignorance : Un terreau propice à l’endoctrinement et la radicalisation », regrette le chercheur en insistant sur la crucialité d’une éducation préventive et de l’action active de la société civile pour immuniser les nouvelles générations contre le virus de la haine et de l’intolérance. « La société civile peut garantir l’inclusion sociale des jeunes radicalisés grâce à l’éducation et à la formation ainsi qu’à des programmes ciblés de prévention, de dé-radicalisation et de réinsertion » insiste-t-il en transposant la problématique au contexte marocain.
« J’estime que l’approche sécuritaire ne permet pas de répondre aux exigences de prévention, et que l’État ne peut relever seul le défi de la lutte anti-radicale », soutient-il. Selon lui, dans cette lutte idéologique, un travail colossal de prévention peut être joué par la société civile, les intellectuels, les écrivains, les artistes, les prescripteurs d’opinion. « Aussi, les organisations non- gouvernementales (ONG), les médias, les associations culturelles, les organisations pour la jeunesse seront les principaux partenaires dans la mise en œuvre d’activités « épanouissantes » et immunisante pour les jeunes contre toute déviation radicale. S’attaquer au vide que les prêcheurs de la violence replissent par leurs idées noires est le meilleur moyen de s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation », conclut le chercheur.
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via Abdo El Rhazi Daech : La haine dans le biberon
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