Gloire d’un « assassin » le temps d’un week end… Cette vidéo surprenante des aveux en live de deux accusés de meurtre a fait le buzz, tout en soulevant beaucoup de questions sur l’éthique de ce journalisme « new age » et son impact sur la société. Jusqu’où peut-on aller pour faire le buzz ?
Par Hayat Kamal Idrissi
« Nous sommes allés le voir pour nous approvisionner en cannabis. Nous avions 35 dhs dans la poche, il nous manquait juste 5 dhs pour acheter notre dose. Mais le dealer ne voulait rien savoir et il nous a chassé en nous attaquant avec de l’acide. J’ai essayé de me défendre en m’emparant de son arme blanche et il a fini avec la gorge tranchée… », c’est en ces termes que ce jeune homme racontait « son crime » dans cette vidéo surprenante. Avant même que les deux amis accusés de meurtre ne soient interrogés par la police, ils étaient là sur Youtube à avouer et à raconter dans les détails ce qui s’est passé.
Aveux en live
Largement partagée, cette vidéo a été visionnée par des centaines de milliers de personnes en quelques heures. Se targuant d’avoir réalisé « une première », le journaliste a joué dans cette vidéo le rôle du détective, du juge, du conseillé et a oublié dans la foulée les droits des accusés d’être conseillés et orientés par un avocat. « Offerts au public, ces deux accusés étaient jugés avant même d’être arrêtés par la police », commente Yassine Guennoun, chercheur en sociologie.
S’inquiétant par rapport à la portée d’une telle manœuvre, le chercheur s’interroge sur son fondement déontologique et sur son impact sur l’affaire ultérieurement. « Ces aveux « bruts » fait en live sans encadrement légal par un avocat ou autre laissent perplexes. A-t-on pensé à leur intérêt à eux ? A celui de la victime et de sa famille ? », s’interroge le chercheur. Ce dernier évoque un autre point qui n’est pas moins crucial : Le message véhiculé par de telles vidéos et l’effet sur le public.
Influence et course au buzz
« Au-delà de cette vidéo relatant le meurtre de ce week end, présenter, en général, un tueur présumé ou un criminel, lui tendre le microphone en suscitant des sentiments empathiques surtout chez le jeune public est dangereux », analyse Guennoun en rappelant l’influence des réseaux sociaux et de leur contenu sur les jeunes générations et même sur les adultes. Il évoque le récit extrêmement violent de ce fait divers et les confessions des deux jeunes accusés qui visent clairement la compassion des auditeurs.
« Il faut noter que ce n’est pas un phénomène purement marocain. C’est une tendance internationale. Dans la course au buzz, on peut tout tenter sur les réseaux sociaux » note de son côté Hassan Baha, chercheur doctorant en sociologie de l’image de l’Université Hassan II. « Les réseaux sociaux regorgent de vidéos relatant toutes sortes de violences. Titillant la curiosité des téléspectateurs, on leur offre matière à voyeurisme », analyse -il.
Fascination par la violence
Ce dernier note cette grande fascination par la violence que les réseaux sociaux transcendent davantage. «Nous pouvons aller plus loin et dire qu’elle suscite du plaisir », s’aventure Baha. D’après le chercheur, lorsqu’un individu assiste à une scène de violence, qu’on la lui raconte « en avant première », il marque par une telle attitude « une sorte de volonté de participer à la scène. Inconsciemment, il échappe à son état habituel de passivité, de simple spectateur, à son inertie et devient acteur et complice », analyse le chercheur en sociologie de l’image. Le désir de savoir, d’être le premier informé, s’est accentué chez l’individu avec l’apparition des réseaux sociaux. « Cette tendance a développé en lui une forme de curiosité malsaine », enfonce-t-il le clou. Ainsi le fait d’«informer», d’avoir « le scoop », prime sur tout autre chose et ceci au détriment d’autres qualités humaines telles l’empathie ou la solidarité, nous explique-t-il.
Les réseaux sociaux et les médias nouvelles générations seront-ils ainsi en train de banaliser la violence ? L’anarchie qu’offre la plateforme des réseaux sociaux et même de certains sites d’information participe à la naissance d’une nouvelle forme de voyeurisme, soutient le doctorant. Il mentionne par la même occasion cette notion de «spectacle» lorsqu’il s’agit de relater une violence bien réelle sur les pages virtuelles ou par vidéos. Pour Guennoun, il faut savoir faire la distinction entre information et « spectacle ». Ce dernier relève d’ailleurs l’aspect dangereux de la diffusion de telles images et de tels messages : La banalisation de la violence. « A force d’être gavés par de telles images, nos enfants, adolescents et autres jeunes finiront par se familiariser et s’habituer à la violence et ses différentes manifestations. C’est là tout le danger » conclut Hassan Baha.
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via Abdo El Rhazi L’apologie du crime à l’ère du buzz
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