Friday, March 5, 2021

Ghosting : Du paracétamol pour guérir les blessures du cœur   

 

          

Des neurobiologistes américains viennent de découvrir qu’en plus de calmer  les douleurs du corps, le paracétamol peut apaiser les blessures du cœur. Ceci  en inhibant le sentiment d’abandon que peut générer une rupture amoureuse mal faite.

 

Par Hayat Kamal Idrissi

 

J’ai été ghostée

« Cela faisait un an qu’on entretenait une relation amoureuse des plus prometteuses. On s’est rencontré sur facebook et très vite on est tombé sous le charme l’un de l’autre. Tout se passait au mieux jusqu’au jour où en essayant de lui envoyer un bonjour et je n’y arrive pas. En essayant de l’appeler, même constat : Il m’a bloqué sur tous les canaux: facebook, téléphone, whatsapp !!! J’étais sous le choc et le pire c’est que je n’arrive toujours pas à comprendre le pourquoi de tout ça », nous raconte, le verbe ému, Asmaa. B, employée, 27 ans.

L’expérience douloureuse qu’a vécu la jeune femme a en effet un nom et c’est une pratique assez courante : Le ghosting. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est la pratique consistant à couper brutalement et brusquement tout contact avec son interlocuteur et spécialement avec son compagnon. Intimement lié aux amours cybernétiques, le ghosting, de plus en plus courant, fait de plus en plus de victimes.

« Ce qui est traumatisant dans le ghosting, c’est cet effet brusque, inattendu. La personne croit nager dans le bonheur avec son amoureux et d’un seul coup, elle se retrouve sans nouvelles, sans explication. C’est un véritable choc », nous explique Nadia Mouâtassim, psychologue. Cette dernière décrit cette disparition comme un traumatisme profondément affligeant. Si une rupture amoureuse se fait normalement après discussion, différents ou autre conflits qui peuvent la justifier, dans le ghosting, la personne concernée est prise au dépourvu. « Ca génère un sentiment d’abandon qui s’ancre au fil des tentatives désespérées et infructueuses  de relier contact et surtout de comprendre pourquoi cette rupture », ajoute la psychologue.

 

Relations amoureuses en mutation

 

Une analyse qui nous rapproche de l’état d’âme de Asmaa qui au bout de trois mois est toujours en état de choc et n’arrive pas à digérer cette rupture incompréhensible.  Mais dans ce cas Asmaa n’est pas seule, d’après la praticienne, cette pratique devient de plus en plus courante. Les mutations que connaissent  les relations humaines et spécialement celles amoureuses à cause de la révolution médiatique en sont pour quelque chose. D’après une étude américaine menée en 2018 sur 1300 participants et dont les résultats ont été publiée dans le Journal of Social and Personal Relationships, 25% des interviewés ont déjà « ghosté » quelqu’un et 20% ont été « ghostés ». Et fait marquant, ça ne se limite pas aux relations amoureuses comme l’on peut croire.

On peut également être victime de ghosting de la part d’un ami ou même d’un collègue dans le cadre du travail. « Si le profil des « ghosteurs » peut changer, la sensation d’incompréhension et d’abandon qui en résulte chez les ghostés reste la même et s’avère assez compliquée à gérer », nous assure Nadia Mouâtassim.

Amours consuméristes  

 

Mais comment l’on peut arriver à ce stade dans une relation qui semble pourtant bien marcher ? Selon la thérapeute, cette attitude résulte d’une vision et d’un rapport consumériste vis-à-vis de l’autre. « En ces temps de grande accessibilité et de facilité de la communication, on commence à envisager l’autre comme une simple opportunité, un objet qui sert à satisfaire ses propres besoins immédiats. On fait passer alors son propre contentement et satisfaction avant l’humanité de l’autre », analyse la psychologue. Une manière « erronée » d’appréhender les relations amoureuses que l’internet, les réseaux sociaux  et les autres applications de rencontres aggravent davantage.

 

 

Sur « ce marché ouvert », tout un chacun peut se constituer comme sélecteur en se servant à volonté. « La profusion de rencontres instantanées, faciles, faites à la va vite… confrontent les individus à des choix difficiles. On teste « la personne/ produit » rapidement et on passe à autre chose. On n’a plus le temps de s’attarder sur une relation, de bien connaitre la personne… Car on est déjà tenté par une autre « personne/produit » plus attractive », nous explique la psychologue.

 

On oublie de rompre

 

Un genre de situation qui n’est cependant pas récent mais qui est toutefois transcendé par la manière de rompre. Si auparavant on prend la peine d’expliquer et de mettre fin à une relation en bonne et due forme, aujourd’hui on est plutôt porté sur le mode disparition totale des radars. « Il faut dire que c’est la manière la moins « engageante » pour ceux qui ne savent pas rompre ou qui n’ont pas le courage d’affronter ou ont peur de blesser l’autre », détaille la spécialiste. D’après cette dernière, parfois le ghosting est une manière « safe » de fuir l’engagement, les discussions sérieuses et même de fuir l’attachement car se surprenant à ressentir de l’amour pour le ghosté.

Une rupture dévalorisante qui reste assez douloureuse et insurmontable pour beaucoup de personnes. « Abandon, sentiment de rejet, incompréhension, colère, incapacité à faire le deuil de la relation… les personnes ghostées vivent une dure épreuve et peinent à accepter ce qui leur ai arrivé », décrit la praticienne.  « J’ai vécu ça comme une mort, sa mort. Ce genre de décès brusque par accident d’un proche très cher. Soudain, il n’y est plus. Pas le temps de dire adieu ou de demander pardon. J’ai l’impression que j’ai juste rêvé de tout ça. Un vide que seules mes questions sans réponses meublent. Aujourd’hui encore je me demande : Où est-ce que j’ai failli ? », nous explique, les larmes aux yeux, Asmaa qui s’est attachée d’un amour sincère à son soupirant ghosteur.

 

Un comprimé contre le mal du ghosting

 

Un mal profond et insidieux qui empoisonne l’existence des ghostés auquel des chercheurs neurobiologistes américains semblent trouver le remède. D’après cette étude, le paracétamol réduirait les réponses neuronales associées à la douleur de rejet social liée au ghosting. Prendre un comprimé de paracétamol inhiberait le signal indiquant au cerveau que quelque chose va mal. Ainsi l’on peut s’attaquer au triste feeling par le paracétamol.

« Mais il faut surtout se renforcer émotionnellement en s’immunisant contre les déceptions », conseille la clinicienne. Comment cela ? « Comprendre et accepter les « nouvelles règles de jeu » en matière de relations amoureuses et spécialement celles issues d’internet. Aussi reconnaitre l’aspect éphémère et fugace de cette nouvelle génération de rencontres sans trop s’attacher. C’est la clé », conclut-elle. A bon entendeur !

 

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