Sous le titre « Maroc : comment le royaume a construit son leadership africain », le site du magazine Le Point a publié un long décryptage, de l’enseignante-chercheuse marocaine Yousra Abourabi expliquant comment le « Maroc sous Mohammed VI est devenu « une puissance africaine »
Se référant à l’ouvrage « La Politique africaine du Maroc : identité de rôle et projection de puissance », Yousra Abourabi résume « l’histoire de l’orientation africaine de la diplomatie depuis le début du règne de Mohammed VI (1999) dans ses fondements, ses intérêts, ses champs d’action, ses difficultés et ses conséquences ».
La professeure de science politique à l’Université internationale de Rabat montre comment « la prééminence royale sur la politique étrangère a joué un rôle central » dans le changement de paradigmes dans les relations du Maroc avec son continent, et inversement. « La pérennité des accords de coopération reposait sur la caution symbolique apportée par le monarque à l’entretien de liens personnels avec les chefs d’État africains », souligne l’auteure. Et Yousra Abourabi de rappeler qu’en l’espace de 15 ans, entre 2001, date de sa première visite en Mauritanie, et 2016, date de la demande de réadmission à l’UA, le Roi a effectué une quarantaine de visites d’État sur le continent, instaurant de nouveaux cadres de coopération multisectoriels, en priorité avec les pays francophones.
L’enseignante-chercheuse rappelle aussi que dans le prolongement ou en préparation des visites royales, les déplacements du ministre des Affaires étrangères permettaient d’assurer le bon déroulement des négociations. « La reconnaissance des provinces sahariennes n’étant plus une condition à l’établissement d’un cadre de coopération, le champ était, désormais, beaucoup plus libre. Les visites royales n’ont pas tardé à produire des résultats positifs », écrit-elle.
La professeure universitaire souligne que dès 2016, une dizaine de pays africains, sur les 26 qui soutenaient habituellement les positions algériennes, ont retiré officiellement leur reconnaissance du Front Polisario comme représentant légitime du peuple sahraoui, tandis que 28 pays africains déposaient une motion pour suspendre la « RASD » de l’Union africaine. Conclusion : « Le Maroc était désormais reconnu comme une puissance continentale, au même titre que l’Afrique du Sudou le Nigeria ».
Percée économique
En donnant l’exemple de l’efficacité de la gestion de l’électrification dans le royaume, où le pays a atteint un taux de 99% dans le rural en 2019 contre moins de 30% en 1999, Yousra Abourabi montre que la présence économique marocaine s’est dès lors affirmée dans différents secteurs en Afrique, parmi lesquels les industries minières, les infrastructures, les banques et assurances, l’agriculture et l’agroalimentaire, les télécommunications et les finances. « Dès le milieu des années 2010, le royaume devenait ainsi le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest et le deuxième à l’échelle continentale, après l’Afrique du Sud », indique-t-elle.
Ces résultats, détaille l’universitaire, sont le fruit de la nouvelle politique africaine du Maroc qui repose sur une approche à la fois réaliste et constructiviste. Explications : « réaliste car elle s’efforce de dépasser les clivages idéologiques pour défendre de façon plus rationnelle et pragmatique un certain nombre d’intérêts nationaux et parce que le système décisionnel est centralisé autour du chef de l’État, ce qui a notamment pour avantage de pouvoir réguler l’action individuelle des opérateurs économiques à des fins de politique étrangère. Elle est constructiviste car elle repose sur la défense d’une identité de rôle à l’échelle internationale.
De nombreux États ont une identité de rôle : « gendarme du monde », « défenseur des droits humains », « neutralité active » etc.
Juste milieu
Pour Yousra Abourabi, l’identité de rôle du Maroc peut être qualifiée par la notion de « juste milieu », renvoyant à la volonté du Royaume d’être reconnu dans sa modération religieuse et politique, et surtout dans son rôle de pont entre différentes aires géoculturelles, sur la base de sa propre identité nationale d’État multiculturel. « C’est au nom de cette identité de rôle que le Maroc s’est consacré à la coopération Sud-Sud en Afrique, en déployant notamment des diplomaties humanitaires, culturelles et religieuses », analyse la professeure.
Exemples donnés :
« Sur le plan humanitaire par exemple, Mohammed VI reproduit en matière de politique étrangère les mêmes pratiques qui caractérisent son style politique au niveau intérieur : des dons directs, la rencontre des populations et plus généralement un investissement personnel dans le développement social. L’incarnation de ce rôle à deux niveaux (intérieur et extérieur) formera dès lors la caractéristique principale de son style politique.
Sur le plan religieux, le Maroc a entrepris la diffusion de son modèle d’encadrement de l’enseignement et des pratiques religieuses, présenté comme un levier contre l’extrémisme, dans le cadre d’une ‘’diplomatie de sécurité religieuse‘’. Celle-ci s’est illustrée par la formation d’imams de différents pays d’Afrique de l’Ouest, parallèlement à la formation militaire dans ces mêmes pays, ainsi que par l’institutionnalisation du soufisme et des réseaux confrériques régionaux, entre autres choses ».
La docteure en science politique souligne que l’implication du Maroc dans le domaine religieux n’a pu être possible que parce que le Roi possède aussi le titre de « commandeur des croyants », au nom duquel on lui reconnaît un leadership africain dans le champ religieux. « La particularité de cette diplomatie de sécurité religieuse réside dans sa dimension spécifiquement africaine, puisqu’elle a accompagné l’affirmation du royaume en tant que pays africain, au-delà de son caractère arabo-amazighe », poursuit-elle.
Yousra Abourabi rappelle enfin qu’en 2013, une nouvelle politique migratoire a été instituée de façon à faciliter la régularisation et l’intégration des migrants subsahariens et qu’en 2018, la demande d’adhésion du Maroc à la Cedeao prenait aussi de court l’ensemble de la classe politique internationale. « Toutes ces initiatives ont participé à conforter l’identité africaine du Maroc, si bien que les puissances extérieures ne peuvent plus continuer de considérer la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) et l’Afrique subsaharienne comme deux espaces géopolitiques distincts sans risquer de perdre de vue cet élan continental. », conclut-elle.
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