Monday, December 28, 2015

Libre cours

Naim KAMAL

Naim KAMAL

Peut-on avoir comme trouble obsessionnel compulsif l’envie itérative d’interdire ? Adorer la prohibition au point de la sublimer, de l’ériger en idéal absolu, en finalité ultime, en raison d’être et en objet d’autoréalisation sociale ? On me dira qu’à ce stade là, le sujet devient maladif. Sans doute. Ce qui n’est certainement pas le cas de Mustapha El Khalfi, ministre de la communication, porte-parole du gouvernement. L’interdiction chez lui n’est pas une maladie, mais une religion.

Le halal est clair et le haram l’est tout autant. Ou vous avez la foi ou vous ne l’avez pas. Il a interdit Much loved et érigé son acte en décision de souveraineté. Résultat, on ne parle que de ce film et partout. Nabil Ayouch, son réalisateur, qui se pavane à Tunis à l’occasion du festival de Carthage au milieu d’une demi-douzaine de gardes du corps. Il nous fallait notre Salman Rushdi, désormais on n’a plus l’Iran à envier. Si ça ne tenait qu’à Mustapha El Khalfi, Mawazine et tout ce qui lui ressemble n’existeraient plus. Son rêve c’est d’en finir avec son cauchemar, 2M. Ce qui est bien avec le porte-parole du gouvernement c’est qu’il s’assume et revendique sur le ton des péremptoires ses interdictions comme un bilan de bonne gouvernance. On prête à Lyautey cet aphorisme : Au Maroc, gouverner c’est pleuvoir.

Avec Mustapha El Khalfi, gouverner c’est interdire. Son projet de code de la presse ne réjouit pas la profession, journalistes comme patrons. Journalistes et patrons de presse même combat. Il n’y a que le ministre de la communication pour fusionner contre lui les par définition antagonistes. En août 2015, par un amendement de la loi 77.03 sur l’audiovisuel, il a interdit dans l’audiovisuel public et privé la publicité des jeux de hasard. Un double appauvrissement : Celui des opérateurs télé et radio et celui des sociétés, publiques, qui gèrent les jeux en en affaiblissant l’impact. En conséquence un manque à gagner pour les caisses de l’Etat.

Elles sont trois entreprises à opérer dans ce secteur : La Société Royale d’Encouragement du Cheval (SOREC), la Marocaine des Jeux et des Sports (MJDS) et la Société de Gestion de la Loterie Nationale (SGLN). Entre 2010 et 2015, elles ont versé aux impôts près de 5 milliards de dirhams. Presque 4 autres milliards sont allés au soutien des sports et des actions sociales. Chacun connait les soubassements idéologiques de l’action de Mustapha El Khalfi. Mais depuis sa mésaventure avec les cahiers des charges de la SNRT et de 2M, il avance masqué. Son plaidoyer ferait couler des larmes à la veuve et à l’orphelin.

N’agit-il pas pour la protection des enfants et ne lutte-il pas ainsi contre les risques d’addiction aux jeux ? Et cite des pays où ce type d’interdiction existerait. La France et la Turquie sont ses modèles préférés. Or rien n’est moins vrai. Mais il n’est pas à un faux et usage de faux près. Sa prochaine étape est fort probablement la presse papier. Pour l’instant, c’est la pub audio et audiovisuelle sur Internet qui passe à la casserole. Une décision qui revient à interdire un jeu de hasard dans un casino à ciel ouvert.

PS : L’interdiction ou l’affaiblissement des jeux de hasard légaux ouvre la voix, comme dans toutes les situations de prohibition, aux jeux clandestins avec tout ce que ça comporte comme blanchiment d’argent, organisation de gangs et menaces sur la sécurité et l’ordre public. J’y reviendrai.



via Abdo El Rhazi Libre cours

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