Monday, July 29, 2019

Réécrire le monde, entre Filiation et Rupture !


Obsédé par la question de l’égalité entre hommes et femmes, le commissaire général de la 1ère Biennale de Rabat « Un instant avant le monde » qui aura lieu du 24/09 au 18/12/2019 revient avec nous sur cet événement d’envergure qui a pour objectif de réécrire le monde avec des artistes du monde entier. Une Biennale conçue tel un archipel pour valoriser l’art féminin et répondre aux inégalités dont elles font l’objet dans tous les domaines y compris celui de la culture. A travers des œuvres où seront confrontées des logiques de rupture et des logiques de filiation, entre le Nord et le Sud.

Comment est ce qu’on monte une 1ère Biennale dans une capitale marocaine comme Rabat ?

Quand le président de la Fondation Mehdi Qotbi m’a parlé du projet de la Biennale, je lui ai dit : que pour qu’une Biennale existe, il faut qu’elle émane d’une volonté politique et là, il m’avait garantit an disant que c’était la volonté de SM, une Biennale qui questionnerait le contemporain à partir d’une ville comme Rabat. Le 2e objectif c’était de trouver une articulation. Et donc, le projet devait superposer la « cartographie mémorielle du pays » effectuée par la Fondation Nationale des Musées à la question de création contemporaine. Le 3e objectif, c’était que Rabat y participe physiquement. D’où l’idée d’une Biennale qui s’installe à l’échelle de toute la ville donc, on a travaillé sur cet imaginaire de la ville en sélectionnant plusieurs lieux. Le 4e déterminant, c’était de la concevoir comme un archipel. Pour qu’elle soit à la fois affirmée et suffisamment ouverte pour permettre la collaboration du maximum d’acteurs.

Quelle en est justement sa particularité, sa prise de position ?

Une Biennale doit avoir le souci d’une urgence et je suis habité par la question de l’urgence mondiale de l’égalité et de la revendication de l’égalité. La question de l’égalité entre les hommes et les femmes est primordiale pour moi, car en regardant l’histoire de l’art, on se rend compte que les femmes artistes sont quasiment absentes, donc j’ai proposé de faire une Biennale sous forme d’un archipel. A côté de l’Exposition internationale 100% féminine (qui s’installera dans plusieurs lieux : musée Mohammed VI, musée des Oudayas, le Fort Rottembourg, l’agence Bouregrag…), une Carte Blanche est donnée à l’artiste marocain Mohamed El Baz et une autre à Narjis Nejjar, directrice de la Cinémathèque. J’ai aussi intégré certaines œuvres du Street art « Jidar ». On a également programmé avec les étudiants pour réaliser une œuvre à la Bibliothèque Nationale.
Pourquoi « Un instant avant le monde » comme titre de la Biennale ?

Le titre affirme la volonté de réécriture, et c’est cela l’objectif de la Biennale : réécrire depuis le début, revenir à une sorte de moment qui est avant même toute création et reprendre à partir de cet endroit là, avec les artistes. On essaie de penser un monde futur qui ne soit pas seulement le monde qu’on hérite mais aussi un monde qu’on désire et qu’on veut. L’objectif de cette 1ère Biennale, c’est avant tout d’ouvrir le débat. C’est aussi une manière que j’ai de définir l’Art ; les artistes, consciemment ou inconsciemment veulent faire ce voyage, parce qu’à cet instant, il n’y a ni espace, ni couleur, ni lumière, il n’y a aucun déterminant, tout est à faire. Ce qui m’intéresse aussi c’est cette différence entre la manière avec laquelle s’écrit la modernité dans le Nord et dans le sud surtout dans nos pays. Notre préoccupation à nous, c’est la filiation, notre obsession c’est de retrouver notre mémoire, c’est de clarifier où se situe notre souvenir. Le débat européen est plutôt sur la projection vers le futur. Les artistes du Sud ont une manière de construire la subversion ou la critique par des continuités et non des ruptures. Donc, j’espère qu’on va se retrouver avec des télescopages où on aura les logiques de rupture d’un côté, les logiques de filiation de l’autre.

Comment tous ces artistes de disciplines différentes se rencontrent-ils ?

Je suis parti de deux artistes par lesquels j’étais convaincu. La 1ère c’est la ville de Rabat et la 2e c’est la chanteuse Oum Kelthoum dont je suis un grand fan et qui avait donné un concert mémorable à Rabat en 1968. Autour de ces 2 entités, il fallait trouver l’équilibre entre les artistes confirmés comme Mona Hatoum, Ghada Amer et des artistes beaucoup plus jeunes. Il fallait trouver des équilibres entre des artistes du Sud et du Nord, entre les différentes formes d’art : vidéos, cinéma, sculpture, peinture…et entre ce que nous étions en capacité de produite comme œuvres nouvelles et ce que nous allions emprunter comme œuvres existantes. Les œuvres vont se rencontrer dans les différents lieux, les musées mais aussi dans l’espace public, avec des œuvres monumentales. Parfois la vidéo sera confrontée à la photographie, la peinture cohabitera avec la sculpture, l’ancien crâne d’Homo Sapiens découvert au Maroc sera aussi exposé ainsi que les Vénus ou « Les femmes anonymes » qu’on retrouve dans le musés archéologique de Rabat.

Parlez-nous un peu du Forum « Le territoire de la tendresse subversive » ?

Au 1er étage du musée de l’archéologie, il y aura un espace où tout peut se dire, parler d’une question, débattre…Certains artistes y participent comme l’artiste algérienne Sonia Gasmi, qui va m’envoyer depuis Alger une lettre chaque jour du 24/09 au 18/12, et qui sera lue devant le public dans cet espace. Cette artiste que j’appelle « celle qui manque », est un clin d’œil au « principe de la correspondance » : être présente dans un lieu d’exposition sans l’être physiquement !

En quoi consiste la « Carte blanche » avec Mohamed El Baz ?

Pour construire cet archipel, Mehdi Qotbi voulait avoir un pavillon spécifique pour la création contemporaine, et j’ai proposé d’inviter un artiste à la place un commissaire, pour nous présenter avec 6 artistes la vision qu’ils se font de la création contemporaine maintenant au Maroc. El Baz a réussi à faire la synthèse entre les attitudes entre le Nord et le Sud, il est à la fois dans l’obsession de la filiation et il a aussi expérimenté les formes de rupture et c’est ce que j’aime dans son travail, il ne s’est jamais enfermé dans un lieu ou un autre.

Et pour la « Carte Blanche avec Narjis Nejjar » ?

Il me fallait un interlocuteur pour le cinéma parce que je ne suis pas un spécialiste du 7e art. Du coup, 9 films seront ainsi programmés tout au long de la Biennale et à chaque projection, des réalisateurs et réalisatrices seront invités pour discuter d’« un instant avant le monde »… afin de comprendre les conditions d’un nouveau récit du monde.

Qu’en est-il du « Parlement des écrivaines » ?

Cette initiative accueillie par l’Académie du Royaume, est lancée par la romancière tunisienne Fawzia Zouari et la marocaine Leila Slimani, que j’avais rencontré à Orléans en France, là où s’est tenue la 1ère édition du Parlement. Je trouvais intéressant d’inviter le roman dans cette Biennale vu son importance dans la culture maghrébine. J’ai demandé à Sanaa Laghwati professeur de littérature à Rabat et Fawzia Zouari, de contacter des poètes, des romanciers pour qu’ils écrivent une nouvelle mythologie du commencement, un nouveau Big Bang, un nouveau récit de la création, qu’ils nous proposent une autre vision, une autre alternative, une autre possibilité. Ce livre, un recueil de romans sera publié après la Biennale.

Vous êtes déçu par ce monde, c’est pourquoi vous cherchez une alternative ?

Une vie ne sert pas à accepter son monde, elle sert à être déçu de son monde et vouloir à tout prix le changer. Partout sur terre, les gens veulent changer le monde alors qu’on peut juste en écrire un autre, faire la proposition d’un Monde et réfléchir quelles pourraient être ses modalités ? Le monde dont je rêve c’est celui où le beau est réhabilité, où on a l’obsession de l’égalité, où on accepte d’être l’errant permanent du monde et on accepte la totalité du monde.

Est ce que vous pensez que l’art a ce pouvoir réel de changer le monde, là où le politique a échoué ?

Si le politique n’était pas convaincu que l’art peut changer le monde, nous n’aurions hérité d’aucune œuvre d’art dans l’histoire de l’humanité. Nous venons d’un monde (en référence à la tradition musulmane incomprise) où on se battait pour acheter une poésie (souk oukad à la Mecque). Moi qui suis algérien, je viens de cette mémoire, donc, je pense que cet attachement à l’art est toujours là. Je pense que l’art sauvera le monde, c’est une très belle alternative, même si c’est naïf d’y croire. Il y aussi le pouvoir qu’a une image, un mot sur une société, …on peut réparer ou guérir quelqu’un avec une phrase, un mot, et c’est cela cet attachement à la poésie.

Comment évaluez-vous l’évolution de l’art contemporain au Maroc ?

L’histoire de l’art au Maroc est écrite déjà, dès les années 40, 50, il y a une vraie filiation. Les années 60-70 ont été soutenues, achetées, il y a des collections qui se sont constituées. Là où je suis rassuré, c’est que je ne peux pas dire si une œuvre est marocaine ou pas ! Les œuvres sont contemporaines, posent des questions, puisent dans le terreau marocain profond, dans les questions marocaines très importantes. A l’image de Bouchra Ouizguen qui fabrique un modèle social ! La création contemporaine marocaine est devenue hybride et diversifiée, et commence à trouver les équilibres entre l’ancrage nécessaire pour trouver les vraies questions à poser et puis se mondialisation. Il y a aussi un réseau de galeries très structuré, mais ça ne suffit pas ! La formation et de l’éducation artistique et culturelle sont aussi une nécessité et si on souhaite qu’une scène contemporaine se maintienne, il faut des regardeurs, des publics.

Avez-vous rencontré de problème de Censure ?

Beaucoup m’ont critiqué au début en Europe quand j’ai accepté ce projet, ils me disaient : comment tu peux garantir ta liberté ? En fait, depuis que j’ai commencé jusqu’à maintenant, je n’ai pas eu un mot prononcé ni de la part de Qotbi ni d’aucune forme d’autorité, sur le choix, les orientations ou les typologies du projet.

Accroche

Je n’ai rencontré aucun problème de censure pour la réalisation de cette Biennale !

Cet article Réécrire le monde, entre Filiation et Rupture ! est apparu en premier sur L'Observateur du Maroc & d'Afrique.



via Abdo El Rhazi Réécrire le monde, entre Filiation et Rupture !

No comments:

Post a Comment