Tuesday, November 17, 2015

Aziz Jaouad, Le savoir-faire du fer

fer

‘Artiste engagé, le sculpteur, peintre et créateur de meubles Aziz Jaouad nous dévoile sa passion pour la sculpture de fer, l’art du recyclage et son penchant pour le style figuratif, abstrait et surréaliste’

Né à Meknès en 1953, Aziz Jaouad, suit des études d’ingénierie à l’ENSAM (Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Métiers) à Paris, avant de s’essayer à la sculpture et la peinture en côtoyant des artistes confirmés en France, en Belgique et en Hollande. En 1989, il rentre à Casablanca pour embrasser une carrière de directeur technique au sein de multinationales prestigieuses qui durera une quinzaine d’années. Puis, décide de tout plaquer pour se consacrer entièrement à l’art. Résolument modernes et originales, ses sculptures d’animaux en fer sont pleines de vie et d’émotion. Au-delà du coté esthétique, l’ensemble de son oeuvre interpelle et communique des histoires, réelles ou imaginaires. Derrière la matière, l’ingéniosité de la technique et la précision du geste artistique, se matérialise un concept, une idée ou une histoire qui enchante, révolte ou répugne, à l’image de sujets auquel il est particulièrement sensible comme le printemps arabe, le viol des enfants, le droit à l’avortement ou la peine de mort…

L’observateur du Maroc et d’Afrique . Comment est née votre passion pour la sculpture ?

Aziz Jaouad : J’ai commencé à faire de la sculpture dans les années 80, je faisais des études d’ingénierie en parallèle. Cela dit, je fais de la peinture depuis l’âge de 9 ans, comme on avait peu de moyens, je fabriquais les jouets de mes amis, j’étais un peu l’artisan du quartier Zitoun à Meknès. J’avais la maniabilité des mains, et à 13 ans, l’envie de faire de la sculpture me rongeait déjà. Ce qui me plait le plus, c’est la création et le côté tridimensionnel de l’oeuvre. Quand on dessine, ça reste un travail sur un plan, or, en sculpture, il faut maîtriser la notion d’espace et pouvoir travailler en 3 dimensions. La sculpture, c’est du réel et j’ai choisi pour cela des métaux pas faciles à dompter, comme le fer, le bronze ou l’aluminium.

Le fer, c’est votre matériau de prélidection ?

C’est le métal le plus noble qui puisse exister, sauf que l’ingratitude de l’être humain a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. C’est grâce au fer que l’homme a survécu et s’est développé.

Le style qui vous parle le plus ?

Au Maroc, je fais beaucoup de figuratif, je pense que si on fait de la peinture ou de la sculpture, on ne peut pas commencer par de l’abstrait. Aujourd’hui, tout le monde prétend faire de l’abstrait et du contemporain ! On ne peut pas reproduire ce qu’il y a en Europe et prétendre faire du contemporain, on ne doit pas brûler les étapes. Tout le monde s’improvise peintre, et malheureusement, un artiste plasticien aujourd’hui, c’est le métier de celui qui n’a rien à faire. Du coup, le rendu manque cruellement de créativité et d’inspiration. Je fais aussi de l’abstrait et du surréalisme.

Et votre goût pour les oeuvres monumentales ?

Je crée des sculptures impressionnantes parce que c’est difficile à reproduire. J’ai même fait une girafe de 6 m, qui pèse une tonne de fer, d’une valeur de 180 000 DH et qu’on m’a volé à la Cathédrale Sacré coeur de Casablanca en 2013 ! Au Maroc, les règles de jeu ne sont pas claires et il n’y a pas de transparence.

En tant qu’artiste engagé, quels sont les sujets qui vous inspirent ?

Je m’inspire beaucoup des animaux en mouvement et du corps de la femme. En chacun de nous, il y a la femme, l’homme et l’enfant, il y a une dualité qui s’exprime en permanence. La femme, c’est la beauté, l’affection, l’amour, les sentiments, la sécurité, l’infini, la transparence.

L’actualité est au coeur de vos oeuvres.

Oui, c’est un moyen d’expression par exellence. J’ai une sculpture qui symbolise le printemps arabe et qui véhicule un message de paix. Et pour la réaliser, j’ai utilisé des matériaux de récupération, des déchets recyclables. Je suis très attiré par l’art du recyclage, j’aime l’idée de transformer un déchet en quelque chose de beau, il y a dicton japonais qui dit : « Dans tout ce qu’on jette, il y a toujours de l’utile ».

Vous vivez de votre art ?

Non mais je vis dignement. Avant, je gagnais bien ma vie, en tant que directeur technique, aujourd’hui, je vis de mes économies,… Souvent, je préfère garder des oeuvres que de les brader. Il faut être un artiste digne, je connais des artistes au Maroc qui sont morts de pauvreté !

Qu’est ce qu’il faut faire pour améliorer la situation des artistes plasticiens au Maroc ?

Nous avons des artistes plasticiens de calibre international qui sont mis à l’écart. Le ministère de tutelle ne fait rien pour l’art plastique, c’est à la tête du client ! Il faut éliminer les associations d’artistes qui existent parce qu’elles ne défendent que les intérêts personnels de quelques « vampires » qui refusent de céder la place aux jeunes créateurs, et qui ont soudoyé plusieurs critiques d’art. Il faut éduquer les gens dès leur plus jeune âge et créer des espaces d’exposition ; chez nous, les meilleurs tableaux sont reproduits avec des imprimantes numériques et se vendent à 15 DH. En somme, il faut une vraie structure qui défende les droits des artistes plasticiens. Aussi, ce qui tue l’art c’est l’art commandé, moi, je trouve un plaisir à extérioriser mes folies, même si mon oeuvre ne plait pas dans l’immédiateté, un jour, quelqu’un lui donnera sa vraie valeur, la création, c’est des moments de souffrance qu’on extériorise et qu’on calque sur une toile.

La souffrance est-elle finalement un gage de créativité ?

En quelque sorte. La souffrance n’est pas forcément la misère, Sartre disait : « ce n’est pas la peine de vivre si on vit pour soimême ». L’autre, ça fait partie de toi en tant qu’artiste. La différence entre l’artiste et l’autre, c’est que l’artiste a des degrés de sensibilité plus accentués que les autres.

Les artistes qui vous inspirent ?

Rodin, Giacometti, Michel Ange, Jacques Brel,… Abdelkrim El Ghattass, c’est un artiste qui s’investit, qui ose et qui ne travaille pas sur commande. J’aime Binebine et Zaghloul, un peintre méconnu à Casablanca.

Des projets ?

J’ai un projet du plus grand cheval au monde, il devrait mesurer 18 m au Garot, soit 23 m de hauteur, il pèsera entre 8 et 10 tonnes d e fer, et nécessitera un budget de 800 000 DH. Malheureusement, par faute de moyens, j’ai du mal à le finaliser. J’ai déjà réalisé la tête , on m’a fait une offre en Hollande et en Algérie. Au Maroc, je n’ai reçu aucune aide ! ✱



via Abdo El Rhazi Aziz Jaouad, Le savoir-faire du fer

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