Friday, September 11, 2015

Christine Lagarde : « Au Maroc, au-delà des avancées considérables, la poursuite des réformes reste indispensable»

Christine Lagarde, Directrice Générale du FMI. (Photo FMI)

Christine Lagarde, Directrice Générale du FMI. (Photo FMI)

Sur la base d’une analyse fine des réalités socio-économiques du Royaume, la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) met en avant, à travers cet entretien, les avancées réalisées dans le pays et relève les défis majeurs qui restent à relever.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Dès son accession au trône, le Roi Mohammed VI a donné la priorité à la réduction des inégalités, à travers des projets concrets comme l’Initiative nationale de développement humain, sachant que la réduction de ces inégalités peut favoriser la croissance et donc le développement du pays. Quel regard portez-vous sur cette orientation et comment le FMI peut-il contribuer à cette stratégie ?

Christine Lagarde : Le FMI accorde une importance particulière à la création d’emplois et à une distribution plus équitable des revenus car, au-delà de l’impératif moral, nos études montrent qu’une société plus inclusive permet d’atteindre une croissance plus élevée et plus soutenable, dans la mesure où un degré élevé d’inégalités constitue un frein à la croissance de moyen et long termes. La réduction des inégalités constitue donc un défi important qu’il est essentiel de relever. La pauvreté au Maroc s’est considérablement réduite au cours des dix dernières années, comme en attestent l’augmentation du PIB par habitant, l’indice de développement humain, ainsi que des indicateurs plus larges de mesure de la pauvreté et du niveau de vie. Cette amélioration a été atteinte grâce à des taux de croissance plus élevés, mais aussi grâce aux progrès réalisés en matière de dépenses de santé, d’amélioration de la situation sanitaire et d’accès aux services financiers, qui ont été notables, et supérieurs à la moyenne des pays importateurs de pétrole de la région. Je salue donc ces initiatives et encourage le Maroc à poursuivre dans cette voie car de nombreux défis persistent.

La pauvreté, bien que réduite, reste importante, surtout dans les zones rurales. Les inégalités ont légèrement augmenté ces dernières années et les disparités régionales restent grandes. Le chômage structurel reste élevé, en particulier parmi les jeunes et les femmes et il est nécessaire d’améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité de l’éducation et de la formation professionnelle.

Le FMI offre au pays, comme à tous ses états membres, des diagnostics et des conseils pour soutenir les efforts entrepris. Dans le cas du Maroc, nous apportons de surcroît un soutien particulier au programme des autorités grâce à une Ligne de précaution et de liquidité que le Maroc a renouvelée en juillet 2014. Cette LPL, dont notre Conseil d’administration a approuvé, le 24 juillet dernier, la deuxième revue est, en quelque sorte, une assurance contre les chocs extérieurs qui pourraient fortement perturber l’économie marocaine.

Par ailleurs, nous apportons également de l’assistance technique pour l’identification et la mise en œuvre des réformes nécessaires.

Le Maroc a conduit plusieurs réformes économiques, comment ont-elles été appréciées au FMI ?

La situation économique du Maroc s’est nettement améliorée au cours des deux dernières années. Les déficits se sont réduits, les réserves internationales sont maintenant proches de six mois d’importation et la stratégie de diversification des exportations ainsi que l’émergence de nouveaux secteurs, à plus haute valeur ajoutée, ont permis de réduire la vulnérabilité du Maroc aux chocs extérieurs.

De plus, la croissance, qui avait pâti d’un environnent international défavorable se redresse et l’inflation reste faible. Les réformes économiques engagées par les autorités sont encourageantes et en ligne avec nos recommandations. La suppression des subventions aux produits pétroliers a réduit de façon significative la vulnérabilité du budget de l’État aux fluctuations des cours mondiaux et permis de réduire la charge des subventions de presque deux tiers entre 2012 et 2015.

Dans le même temps, nous saluons l’extension des programmes sociaux dans la santé et l’éducation ainsi que les autres mesures pour atténuer l’impact de la réforme des subventions sur les plus vulnérables. Il sera important de veiller à ce que la marge budgétaire générée par cette réforme se traduise par une augmentation de l’investissement et des dépenses sociales.

Le FMI soutient également la réforme de la taxation engagée par les Assises fiscales en 2013 visant à améliorer l’équité du système fiscal et à le rendre plus favorable à la compétitivité.

De plus, l’adoption récente d’une nouvelle loi organique des finances constitue un pas important vers l’amélioration et la modernisation de la gestion des finances publiques. Dans le domaine financier, nous saluons également l’adoption de la nouvelle loi bancaire qui renforce le cadre réglementaire et macroprudentiel et la supervision, notamment des risques liés au développement de l’activité internationale des banques marocaines.

Mais au-delà de ces avancées considérables, la poursuite des réformes reste indispensable à une meilleure performance économique et à la réduction du chômage et des inégalités. Les efforts d’investissement dans les infrastructures, la santé et l’éducation doivent être soutenus tout en continuant à réduire le déficit budgétaire afin que le poids de la dette ne vienne pas compromettre les résultats engrangés. En particulier, l’éducation et la formation professionnelle ont un rôle crucial à jouer. Leurs réformes permettraient d’en améliorer la qualité, d’augmenter la scolarisation, en particulier des filles, et de former une main-d’œuvre mieux adaptée aux besoins des entreprises.

La réforme du système de retraite est urgente pour en assurer la pérennité et élargir sa couverture, c’est-à-dire permettre à un plus grand nombre de bénéficier d’une retraite le moment venu. Adapter le Code du travail pour rendre le marché de l’emploi plus dynamique, tout en accordant une protection adéquate aux travailleurs, favoriserait la réduction du chômage et permettrait d’augmenter le taux de participation des femmes dans la population active qui est inférieur à 30%.

Par ailleurs, même si l’environnement des affaires s’est amélioré, comme en atteste le classement de la Banque Mondiale en la matière, de plus amples mesures sont nécessaires pour améliorer la compétitivité, la gouvernance et la transparence et lutter contre la corruption. Améliorer l’accès des ménages et des petites et moyennes entreprises au crédit est également nécessaire pour soutenir la croissance.

Le système financier marocain a démontré sa résilience en période de crise et s’est ouvert sur l’Afrique où il participe au développement de plusieurs pays. Quels sont les défis et les opportunités pour le Maroc et les pays africains de cette expansion et quel est le rôle du FMI dans ce domaine ?

Le secteur financier marocain est solide et est devenu plus grand et plus complexe au cours de la dernière décennie. Les banques marocaines ont étendu leurs opérations à l’international, bénéficiant de leur résilience pendant la crise financière mondiale et de la position privilégiée du Maroc au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du monde arabe. Cette expansion des banques marocaines vers l’Afrique subsaharienne offre des opportunités pour le Maroc comme pour les pays d’accueil.

Pour le Maroc, elle apporte de nouveaux débouchés, favorise une plus grande diversification des risques et stimule des économies d’échelle et une meilleure répartition des ressources. Mais elle pose également des défis de supervision et ouvre de nouveaux canaux pour la transmission des risques potentiels macro-financiers entre les pays concernés.

Les autorités marocaines sont conscientes de ces défis. Elles s’efforcent en permanence de renforcer la qualité de la supervision bancaire, qui est déjà de haut niveau, ainsi que les mécanismes de résolution des crises. De même, la récente mise en place de collèges de supervision pour les trois principales banques transfrontalières permet de renforcer la coopération avec les autorités des pays hôtes.

Le FMI soutient les mesures qui permettent de renforcer la supervision financière transfrontalière. Nous sommes à la disposition des pays concernés pour fournir de l’assistance technique dans ce domaine. Le FMI a récemment publié une étude approfondie sur le sujet de l’émergence de grandes banques panafricaines, qui est disponible sur notre site Internet (Voir : http:// http://ift.tt/1K1a5Ba pol020215a.htm ).

Le Maroc s’intègre de plus en plus au commerce international, y compris à travers les accords de libre échange, notamment avec l’Union Européenne et les Etats-Unis. Que doit faire le Maroc pour tirer profit de cette intégration?

L’intégration dans le commerce international est une chance pour le Maroc, et le résultat d’efforts entrepris sur de nombreuses années. Elle permet d’intensifier les échanges avec ses partenaires traditionnels mais également de diversifier les produits et les partenaires commerciaux. L’Union Européenne (U.E.) demeure son premier partenaire commercial historique. Elle absorbe, par exemple, plus de 90 % des exportations marocaines du secteur émergent de l’automobile. La diversification permet, quant à elle, d’avoir accès à des marchés nouveaux et de ne plus dépendre d’un seul partenaire : les exportations hors-U.E. sont ainsi passées d’environ 30 % du total des exportations, il y a une décennie, à environ 45 % à présent.

Dans ce même esprit, le Maroc a signé des accords bilatéraux et multilatéraux de libre-échange et des conventions commerciales et tarifaires avec l’Europe, les Etats-Unis, la Turquie, un grand nombre de pays arabes et africains et bien d’autres. L’émergence de nouveaux secteurs d’exportation tels que l’automobile, l’électronique et l’aéronautique constitue une opportunité d’avenir et permet une réduction significative du déficit de la balance commerciale.

Déjà, en 2014, ces secteurs ont pris le pas sur les secteurs traditionnels d’exportation tels que le phosphate et le textile L’accès à ces marchés extérieurs offre des opportunités d’exportation pour le Maroc. Mais pour profiter de ces opportunités, les autorités marocaines doivent renforcer la compétitivité du pays en assurant de meilleurs coûts de production. De plus, le climat des affaires doit s’améliorer et un effort soutenu serait également nécessaire pour continuer d’attirer les capitaux étrangers qui permettent de financer les initiatives économiques naissantes ou existantes. Enfin, un régime de change plus flexible permettrait aussi à l’économie de mieux résister aux chocs extérieurs et d’accompagner la diversification des échanges commerciaux.

La balance commerciale marocaine enregistre un déficit chronique, que doit faire le pays pour arriver à un équilibre ?

Tout d’abord, il est important de prendre une perspective de long terme. La transformation de l’économie au cours de la dernière décennie lui permet aujourd’hui de reposer sur une base solide d’agriculture, de ressources minières (phosphate), d’industrie et de services. Les marchés aussi, comme je le disais, se sont diversifiés.

Si l’Europe reste son principal partenaire, le Maroc tire de plus en plus partie de sa géographie, à la croisée de l’Europe, du Maghreb et du Moyen Orient, de l’Atlantique et de l’Afrique sub-saharienne. Et même si la balance commerciale est aujourd’hui déficitaire, le Maroc utilise bien ses atouts en matière de services, en particulier le tourisme.

Le pays reçoit également d’importants revenus des Marocains de l’étranger et de flux financiers d’investissement qui témoignent de l’attrait de la destination Maroc pour les non-résidents. Au total, les réserves internationales du pays augmentent depuis deux ans.

Cela dit, la volatilité des cours des matières premières, en général, et du pétrole, en particulier, représente toujours une source de vulnérabilité de la position extérieure du Maroc et du déficit de la balance commerciale. Ce dernier était modéré jusqu’au milieu de la décennie 2000, avant que les cours des matières premières, y compris ceux du pétrole, ne s’envolent. La facture énergétique, à elle seule, représente à peu près la moitié du déficit de la balance commerciale. A cet égard, nous soutenons la volonté des autorités marocaines de diversifier leurs sources d’énergie.

Les exploitations de l’énergie solaire, éolienne, thermale et hydraulique telles qu’envisagées dans la nouvelle stratégie énergétique nationale devraient à terme réduire la volatilité et le volume des importations de produits énergétiques.

L’assainissement des finances publiques est une condition importante pour recourir au marché financier international, pensez-vous que le Maroc remplit toutes les conditions, sinon que doit-il encore faire pour y parvenir ?

Depuis 2012, le Maroc est allé sur le marché international chaque année avec succès et à des taux d’émission favorables. Cette dynamique est le reflet des progrès réalisés par le Maroc dans un contexte international et régional difficile en matière de finances publiques, comme en témoigne la rationalisation des subventions et la réduction du déficit des finances publiques de 7.4 % du PIB en 2012 à 4.9 % du PIB en 2014.

La persistance des efforts des autorités marocaines dans la durée devrait permettre de consolider les progrès réalisés et établir les bases d’une croissance soutenue qui, à son tour, aura un effet positif sur l’emploi et la perception des marchés.



via Abdo El Rhazi Christine Lagarde : « Au Maroc, au-delà des avancées considérables, la poursuite des réformes reste indispensable»

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