Friday, April 15, 2016

Chems Akrouf*, expert en renseignement et en intelligence stratégique : «La zone Schengen devient une passoire»

Quatre mois après les attaques de Paris, c’est Bruxelles qui est attaquée par des terroristes. Deux attentats qui ont fait 31 morts et de nombreux blessés. Ces attaques interviennent seulement quatre jours après l’arrestation de Salah Abdeslam. Pour Chems Akrouf, avec ces attantats, Daesh a démontré sa capacité d’action malgré le renforcement du dispositif sécuritaire.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Frapper Bruxelles n’est-ce pas frapper le cœur de l’Europe pour Daesh ?

Chems Akrouf

Chems Akrouf

Chems Akrouf : Je pense que par défaut oui, mais ce n’est pas forcément l’effet recherché. Le premier effet recherché c’était plutôt d’agir avant d’être identifiés. Les terroristes voulaient réagir rapidement parce qu’ils avaient peur que Salah Abdeslam donne des informations qui mènent la police vers eux. Dans un second temps, s’ils agissent après les déclarations des procureurs français et belge, c’est pour afficher leur défiance par rapport aux déclarations officielles. Surtout après les félicitations exprimées concernant la coopération qui a permis d’arrêter Salah Abdeslam. C’est donc pour marquer leur défiance par rapport aux déclarations officielles mais également par rapport au niveau de sécurité. C’est un acte qui permet aux terroristes de communiquer, encore une fois, mais ils démontrent aussi qu’ils sont opérationnels.

Peut-on parler d’une branche européenne de Daesh ?

Non ! Ce sont des gens qui ont rejoint la Syrie ou l’Irak. Il y a une très grande détresse des demoiselles qui sont parties rejoindre la Syrie. Elles l’ont fait pour de mauvaises raisons. Nous n’arrivons pas à expliquer à ces jeunes qu’ils se jettent dans les mains de gangsters. Ils se donnent une dimension religieuse de combattants, alors qu’ils ne sont pas musulmans. Les recruteurs de Daesh arrivent à embrigader des jeunes sur les réseaux sociaux. Ces jeunes, notamment des filles, pensent qu’il y a un complot. On n’arrive pas à les dissuader. C’est une forme de conditionnement, ils sont dans une emprise sectaire. Mais l’attentat est-il une réaction à l’arrestation de Salah Abdeslam ou un attentat préparé ? Le procureur belge a annoncé que Salah Abdeslam avait confié qu’il préparait des attentats en Belgique. Cela a implicitement enclenché l’action de cette cellule, liée visiblement à Salah Abdeslam. Les lieux ont peut-être été identifiés avant ainsi que le timing, les attentats ayant eu lieu à des moments de forte affluence aussi bien dans le métro qu’à l’aéroport. Mais, le déclenchement de l’action est une sorte d’urgence, de précipitation. Les terroristes craignaient une éventuelle remontée des services de renseignements grâce aux informations que Salah aurait pu fournir.

Que révèlent les doubles attentats de Bruxelles de la stratégie de Daesh en Europe ?

Déjà, nous pouvons constater que les terroristes ont la possibilité de mobiliser beaucoup de gens. Par ailleurs, ils utilisent plusieurs moyens de communications ce qui facilite leur «invisibilité». Cela leur permet aussi d’être opérationnel malgré le niveau d’alerte et malgré les dispositions juridiques mises en place. Ces attentats montrent surtout que la zone Schengen devient une passoire.

Les services de renseignement ont-ils encore échoué ?

Depuis le 13 novembre les terroristes sont parmi des gens qui sont sur le territoire et que nous ne réussissons pas à contrôler ou à identifier, notamment à leur entrée et sortie. C’est un vrai problème. Le mot d’échec est un peu dur. En revanche, le mode opératoire des services de renseignements n’est plus adapté. Nous pouvons nous demander pourquoi n’ont-ils pas d’informateurs infiltrés dans ces groupuscules ? Ont-ils employé des gens issus de l’immigration qui auraient pu être de bonnes cibles pour les recruteurs ? Ils se sont concentrés sur les télécommunications, à l’américaine. Mais après le 11 septembre nous avons compris qu’il y avait un manque de ressources humaines. Le travail d’infiltration, de remonter l’information et le travail d’anticipation ne sont pas faits. Ainsi, quand des terroristes communiquent sur des vecteurs qui ne sont pas sous surveillance, ils deviennent invisibles. De plus, il faut une Agence européenne de renseignements dans la lutte anti-terroriste dans un premier temps. Nous savons que la diplomatie européenne n’est pas homogène. Il sera donc difficile d’avoir des services qui n’ont pas les mêmes intérêts. Or, un service européen permettrait d’avoir un suivi, notamment sur le déplacement à travers les terroristes.

Les terroristes de Bruxelles ont participé à la préparation des attentats de Paris. Que cela révèle-t-il sur la coopération européenne ?

La coopération s’opère de mieux en mieux, mais ne pas avoir d’éléments à échanger n’est pas efficace.

Vous pensez au fichier PNR que le parlement européen n’a toujours pas voté ?

Oui, c’est une nécessité! Mais c’est là également la difficulté d’obtenir du renseignement. Au départ nous n’avons pas communiqué avec les services syriens pour avoir la liste des gens présents en Syrie et qui sont formés là-bas. Les services syriens ont collecté beaucoup de documents de Daesh. Ils ont de ce fait des informations utiles. Nous avons préféré nous passer de ces informations capitales pour des raisons politiques alors qu’ils sont nécessaires pour la lutte anti-terroriste. Nous avons perdu beaucoup temps. C’est la ligne diplomatique de Fabius et cela semble perdurer. Nous n’arrivons pas à distinguer la coopération avec les services syriens des actions de Bachar al-Assad. C’est une incohérence majeure. Le rôle de la diplomatie c’est de parler avec son ennemi.

La France et l’Europe de manière globale est très en retard sur les questions de déradicalisation. Comment changer la donne ?

Je préfère parler de désendoctrinement. Ce sont des phénomènes de manipulations mentale et politique. Les victimes perdent le sens de la réalité. Il faut mettre des professionnels issus de la médecine avec des experts du renseignement pour présenter les acteurs tels qu’ils sont et non pas comme des guerriers qui se battent pour une juste cause.

Il y a un débat sur le rétablissement du contrôle aux frontières européennes. Quel est votre avis à ce sujet ?

Cela me parait évident de le faire étant donné qu’il y a des terroristes qui sont rentrés sans que nous puissions les contrôler. Le contrôle doit évidemment être accentué en période d’attentat. Nous sommes dans un état d’urgence, il faut donc mettre en place des mesures exceptionnelles.

Quelle est, selon-vous, l’action prioritaire que doit mener l’Union Européenne dans sa lutte contre le terrorisme ?

Il faut changer la doctrine du renseignement pour être plus pertinent. Il faut avoir une capacité d’infiltration de ces groupuscules. Parallèlement, il faut engager les jeunes dans l’armée ou la police pour leur donner un rôle dans la lutte anti-terroriste et ne pas juste les stigmatiser. Il faut étudier le phénomène, comprendre pourquoi ces jeunes sont embrigadés. Il faut aussi écouter les jeunes quand ils évoquent leurs problématiques de recherche d’emploi, de manque de formation et de discrimination notamment à l’emploi. Il faut aussi que ces jeunes arrêtent de penser qu’ils n’ont pas d’avenir pour qu’ils cessent de s’engager dans ce qu’ils pensent être une cause humanitaire, alors qu’elle est en réalité terroriste.

Quelle coopération faut-il avoir avec les pays étrangers, notamment les pays d’origine des terroristes ?

Une vraie coopération doit se faire avec les services de renseignements du Maghreb, mais encore une fois avec les Syriens. C’est nécessaire. Il faut constituer des groupes de travail et d’échange d’informations pertinentes. Il faut frapper les bases-arrières des terroristes. Il faut aussi travailler sur le trafic de stupéfiants et d’armes.

* Chems Akrouf est un ancien officier de renseignement au sein de la Direction du renseignement militaire.

Cette interview a été publiée dans L’Observateur du Maroc et d’Afrique du 25 mars 2016



via Abdo El Rhazi Chems Akrouf*, expert en renseignement et en intelligence stratégique : «La zone Schengen devient une passoire»

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