Monday, April 25, 2016

Entretien : Michel Onfray, Philosophe français

C’est le philosophe français le plus lu dans le monde et le plus controversé. Michel Onfray publie chez Grasset un essai au titre évocateur «Penser l’islam». Dans la presse, il cumule les Une hostiles et les éditos favorables. En homme libre, il continue son travail de philosophe. Pour lui, vivre en philosophe est plus important que de constituer une œuvre théorique. Après les attentats de Paris, il a pris du recul et s’est retiré de la scène médiatique. Il revient avec un essai annoncé comme un véritable brûlot. Propos recueillis par Olivier Stevens

Michel Onfray,

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Pourquoi vous êtes vous imposé cette diète médiatique ?

Michel Onfray : J’ai souhaité que «Penser l’islam» ne paraisse pas en janvier au moment des célébrations commémoratives des attentats contre Charlie Hebdo. Je voulais calmer les esprits. De même, je me suis retiré de Twitter dans un souci d’apaisement. J’ai été fort critiqué dans tous les sens : j’étais un islamophile, un islamophobe, je faisais le jeu de Daech puis celui du Front National. Reporter une publication n’est pas y renoncer. Je n’ai rien changé à mon livre.

Avez-vous hésité à le sortir au lendemain des attentats de Bruxelles ?

Non. Mais il faut bien sûr être vigilant avec les mots qu’on emploie, c’est pour cela que j’ai volontairement limité le nombre de mes interviews lors de la sortie de ce livre.

Que pensez-vous du débat sur la déchéance de nationalité ?

C’est un aveu d’impuissance du pouvoir en place. Ce n’est évidemment pas une réponse crédible à ce qui se passe. Retirer leur nationalité à des gens qui ont la volonté de se faire exploser entraînant dans la mort des dizaines ou des centaines de victimes, c’est évidemment ridicule. C’est organiser un débat intellectuel, d’un niveau très faible d’ailleurs, parce qu’on ne sait vraiment pas quoi faire sur le terrain. Hollande, le gouvernement Valls ou les Républicains n’ont aucune solution à proposer. Le peuple le sait, il n’est pas dupe de ce spectacle lamentable. Les politiques occupent l’espace médiatique avec des effets d’annonce, avec de faux débats, de fausses querelles qui leur permettent de gagner du temps.

Que faut-il faire selon vous ?

Il faut d’abord écouter le peuple. La vox populi lorsqu’on ne l’abrutit pas avec des émissions de télévision débiles, lorsqu’on ne le transforme pas en idiocratie, témoigne d’un solide bon sens. Il a le sens de la vérité, détecte très vite qui est sincère ou pas. Je viens d’un milieu simple, rural et ouvrier, je l’ai beaucoup dit, mais mon père qui était ouvrier agricole était virgilien sans jamais avoir lu Virgile. De même, je crois que le peuple – je ne parle pas des foules- a un sens politique très sûr.

Dans «Penser l’islam» vous faites un parallèle entre le terrorisme et la politique étrangère de la France. Les auteurs des attentats de Paris et Bruxelles sont-ils une création occidentale ?

C’est évidemment plus complexe que cela. Il faut voir les choses avec un peu de hauteur et sur la longue durée. On ne peut pas penser qu’un terroriste naisse ex-nihilo sans raisons. De même nous, démocraties occidentales, ne sommes pas automatiquement dans le camp du Bien, loin de là. Pour comprendre cela, il faut faire de l’Histoire, de la Philosophie, ce qui est difficile aujourd’hui. Comprendre n’est pas légitimer. Mais, il faut ouvrir les yeux : depuis 1991, la politique initiée par Bush et continuée par ses successeurs et alliés a causé la mort de 4 millions de musulmans sur la planète. Les musulmans sont dans une logique d’oumma, de communauté qu’ils soient Blancs ou Noirs, Marocains, Libanais, Soudanais, Français ou Suédois. Dans leur logique, on a tué leurs frères. Qui les a tués ? «L’Occident», un terme général qui depuis une génération désigne l’ennemi.

Vous inscrivez ces rapports conflictuels entre Orient et Occident dans une histoire de longue durée. Cette opposition n’est donc pas neuve…

Non, elle n’est pas neuve. Je peux même remonter à l’Hégire et dire qu’elle résultait déjà d’un conflit latent. Aujourd’hui, l’Histoire s’emballe. En partie à cause des nouvelles technologies qui accélèrent le rythme de l’information. En partie aussi à cause de l’idéologie mondialiste qui prône un nouvel ordre mondial et essaye de passer en force même dans les régions du monde qui lui sont hostiles. Je crois que nous ne sommes plus à la hauteur d’un vrai échange entre les civilisations. La colonisation a été une erreur ; le néo-colonialisme latent l’est aussi. La repentance à tout va est contre-productive également. Nous n’avons plus qu’une valeur en occident : l’argent. Je dis donc que ce que nous faisons avec l’islam depuis quelques décennies n’est pas sans rapport avec l’apparition de Daech et du terrorisme.

Les conceptions de la vie sociale de l’Occident et du monde musulman sont-elles compatibles ?

On ne peut pas répondre à cette question sans postulats préalables. Aujourd’hui, l’Occident c’est le monde des affaires, de la politique politicienne, du libéralisme, du militarisme. Cette civilisation n’est compatible avec aucune autre qu’elle soit chinoise, indienne, musulmane, animiste et je dirais même chrétienne même si je suis résolument athée. Tant que nous ne proposerons rien d’autre au monde, notre avantage ne sera que technologique et économique. De plus, il s’avérera de plus en plus fragile et éphémère.

Vous soulignez aussi la violence de certaines sourates du Coran. Ne sont-elles pas également à l’origine des conflits actuels ?

Oui, certainement. C’est pour cela que je prône un islam compatible avec la laïcité et les valeurs de la République. Dans le Coran, il y a des sourates belliqueuses, antisémites, violentes et dégradantes à l’égard des femmes. Il y a aussi des sourates qui ouvrent à la miséricorde, à l’entraide, à la charité, à l’introspection vigilante et sereine. Mais en Europe, et plus particulièrement en France, nous avons une longue tradition historique de tolérance religieuse à partir du moment où ces religions sont compatibles avec un modèle de vie laïc prôné par les Lumières et issu de la Révolution française. Chez nous c’est l’Etat qui symbolise la citoyenneté. C’est donc l’Etat qui doit prendre en charge la construction des mosquées, la formation des imams, surveiller les prêches pour qu’ils soient conformes à l’esprit de la République. En échange nous devons assurer la protection des musulmans, veiller à la liberté de leur culte.

Certains contestent la possibilité d’un islam français ou même européen. Y croire, n’est-ce pas faire preuve d’un optimisme béat ?

Je pense que c’est au contraire faire preuve de réalisme. Il y a au minimum 10 millions de musulmans en France, peut-être beaucoup plus. On ne les renverra plus «chez eux» car «chez eux», c’est ici. On doit leur proposer un contrat social qui les agrée, mais qui soit aussi conforme à nos valeurs, à notre manière de vivre. Leur dire : «un certain nombre de sourates sont condamnables dans le Coran, condamnez-les avec nous. Vivez librement votre religion en privé, construisez un espace public avec les éléments du Coran compatibles avec nos valeurs millénaires, pas seulement chrétiennes, mais aussi issues de l’Antiquité gréco-latine : la féminité, la mixité, le vivre ensemble, le corps, l’éducation, la tolérance, etc.»

Dossier « De la délinquance à Daech » L’Observateur du Maroc et d’Afrique n° 349 du 08 au 14 avril 2016



via Abdo El Rhazi Entretien : Michel Onfray, Philosophe français

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